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DOSSIER : l'interprétation en langue des signes
(Février et Mai 2001)
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Le
quotidien d'une interprète de LSF en province Article de Laurence Bourdon, AAE-ESIT. Linterprétation en langue des signes (L.S.F.) connaît un essor constant depuis une vingtaine dannées. Cette pratique initialement empirique sest peu à peu professionnalisée. Le nombre dinterprètes formés nest cependant pas pléthorique. La France nen compte quune petite centaine. Si Paris est bien lotie, il en va tout autrement de la province : nous ne sommes que trois (avec des degrés divers de formation) à couvrir le Languedoc-Roussillon. Le faible nombre dinterprètes sexplique par les faits suivants :
La formation à linterprétation en L.S.F. existe (seule lESIT permet dobtenir un diplôme dEtat), encore faut-il que les candidats aient le niveau nécessaire pour y accéder. Par ailleurs, force est de constater que la pénurie de bilingues français - L.S.F. rend a priori moins indispensable une véritable qualification. Il est par exemple fréquent que sourds et entendants se contentent de prestations pour le moins approximatives au motif que « cest mieux que rien ». Je faisais déjà office dinterprète depuis quelques années lorsque la section langue des signes de lESIT a été créée. Envisager une formation ne relevait pas de lévidence : un diplôme dEtat représenterait certes une garantie, mais encore allait-il falloir lobtenir. Dans la pire des hypothèses, je risquais même de ne pas être retenue lors de la sélection dentrée. Comment y réagirait mon employeur ? Mes réflexions préalables ne concernaient pas la formation en tant que telle, mais ses enjeux pragmatiques. Ce cap passé, il ma fallu entrer dans une démarche de formation, à savoir, accepter une forme de déconstruction pour fonder une pratique moins empirique tout en conservant mon emploi, sans donc être totalement déstabilisée. Cette dimension que javais initialement totalement occultée sest révélée bien plus problématique que la quantité de travail à fournir. Deux difficultés me sont assez vite apparues :
Jai aussi dû accepter que la formation ne soit pas immédiatement rentable dans mon travail et faire leffort détablir des liens entre les divers apports théoriques et ma pratique. Linterprétation consécutive nest par exemple, pas de mise entre locuteurs utilisant des langues sappuyant sur deux canaux compatibles simultanément. Qui plus est, prendre des notes sur un discours signé (quil faut donc regarder) est une réelle gageure. La première année de formation a donc consisté à sexercer sur une modalité superflue (la consécutive) lorsquon travaille sur le français et la L.S.F. qui savérait poser des difficultés quasi insurmontables (écrire sans regarder la feuille de notes). Je nai mesuré la dimension propédeutique de ce type dexercice quen deuxième année, laquelle sest aussi révélée plus conforme à ma pratique. La pratique des interprètes français - langue des signes se distingue sensiblement de celle des interprètes en langues vocales. Linterdiction de la L.S.F. pendant un siècle a renforcé son statut de langue vernaculaire plus ou moins bien maîtrisée par ses locuteurs. Si les interprètes en langues véhiculaires sadaptent au registre de langue des interlocuteurs, nous devons prendre en compte leur degré de maîtrise de la L.S.F. (ce qui est patent lorsque nous intervenons auprès de sourds isolés de villages reculés, sans contact avec les communautés sourdes urbaines). Nous sommes amenés (particulièrement en province) à intervenir dans une variété de situations que jimagine plus disparates que celles que rencontrent nos homologues en langues vocales : interprétation de conférences, de réunions, interprétation dite pédagogique, interprétation de liaison (cadre administratif, judiciaire, médical), interprétation de cérémonies religieuses, etc. La L.S.F. nayant pas décriture, nous devons être en contact régulier avec la communauté sourde pour repérer les néologismes et évolutions langagières. Ceci peut éventuellement poser problème. En effet, nos interventions nous font parfois entrer dans la vie privée de personnes que nous rencontrons ultérieurement dans des situations moins intimes, ce qui peut être gênant pour elles malgré nos garanties de secret professionnel. Un sourd oubliant quil a relaté une situation vécue auprès dun collègue et notant que cette information est relayée dans la communauté sourde risque dincriminer linterprète qui ny est pourtant pour rien. Rien ne nous distingue de nos homologues en langues vocales lors de conférences, excepté notre extrême visibilité. Linterprétation dite pédagogique est spécifique et nécessiterait un article à elle seule puisquelle doit prendre en compte le fait que si les étudiants sourds accèdent à des cours en L.S.F., ils doivent restituer leurs connaissances en français (examens écrits). Si la déverbalisation reste la clé de voûte du processus interprétatif, nous ne pouvons totalement occulter la langue qui soutient le discours et devons régulièrement épeler certains termes techniques. Ce passage discours/langue, outre une grande concentration, requiert une excellente connaissance des enjeux de la formation. Linterprétation dexamens est parfois délicate. La loi prévoit que les candidats sourds ont droit à la présence dun interprète pour leur passer les consignes, y compris écrites, ce qui nest pas toujours bien accepté par les examinateurs qui ne reconnaissent pas nécessairement comme légitime le fait dinterpréter un document écrit à des sourds physiquement capables de lire. Il nous faut donc de surcroît expliquer les difficultés daccès des sourds à la langue française, même lorsquils disposent dun support écrit. Linterprétation dexamens oraux devrait, a priori, être plus simple à gérer. Cependant, là encore, certains examinateurs méfiants nous interdisent toute intervention. Il est, le plus souvent, préférable de ne pas insister plutôt que de mettre lexaminateur dans de mauvaises dispositions vis-à-vis du candidat, quitte à ce que ce dernier fasse appel de la décision en cas déchec. Les spécificités de linterprétation de liaison tiennent souvent moins aux situations quà leur aspect inédit pour les entendants : il nest en effet pas rare de devoir parlementer avec des policiers pour les convaincre dôter les menottes dun sourd lors de son interrogatoire. Il est des situations dans lesquelles nous intervenons assez régulièrement, qui ont probablement un caractère exceptionnel pour nos collègues en langues vocales :
Dune manière générale, sauf en situation de liaison, nous travaillons beaucoup plus du français vers la langue des signes que linverse, ce qui est particulier, puisque, contrairement à ce qui est préconisé dans la profession, nous ne fonctionnons pas de manière privilégiée vers notre langue maternelle. Ceci ne nous pose pas de problème drastique, mais nous oblige à constamment travailler notre langue B, jusquà ce quelle devienne, non notre langue A mais quasiment une langue A. La diversité est lheureux lot des interprètes en L.S.F. La formation que propose lESIT, sintéressant principalement à la conférence, ne peut couvrir toutes les situations (dautant que chacune est singulière), mais offre le cadre théorique nécessaire sur lequel sappuyer pour les appréhender sans se fourvoyer, à savoir, être passeur de sens. Le reste est affaire de pratique, dadaptabilité, et surtout de bon sens. © Copyright 2001 - Association des Anciens Elèves de l'Ecole Supérieure d'Interprètes et de Traducteurs de l'Université de Paris - Tous droits réservés. |
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d'une interprète de LSF en province Tour d'Europe de la langue des signes La langue des signes française Entretien avec Jean-François Labes, Directeur de l'Ecole française de langue des signes
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