Mardi 18 Juin 2002
*11h23*
Le succès fut toujours un enfant de l'audace.
- DeCrebillon -
Une envie, faire le vide. A toute vitesse. Fermer les cases, n'en garder qu'une. Avancer sans me retourner. Sans que je ne réfléchisse trop les nuits, sans que je ne me cherche des intrigues et des inquiètudes. Faire le vide. Ne pas m'aliener au trop-plein de visages et de voix. Se tourner vers soi est une épreuve au jour le jour, le challenge. Ne pas m'aliener aux souvenirs. Depuis hier je trouve celà difficile.
Je suis mal, mal, mal. Il n'y a aucun intérêt à l'écrire, et pourtant, aujourd'hui je suis si mal, mal, mal.
*12h28*
Révolte. Révolte! Contre moi-même. Contre cette ville. Contre le vent qui ne souffle pas. Contre lui. Contre tout ce que je ne suis pas. Contre tout ce qu'il est. Contre ce corps qui m'a frôlé hier sans reconnaître notre point de chute. Contre toutes les jeunes filles en fleur que j'aurais voulu être. Contre ce que je vois dans la glace. Contre mon passé. Contre mon futur. Et un peu au présent peut-être. Révolte. Ce n'est pas une histoire de ma vie! Il n'est pas dans ma vie! Il n'est qu'un songe d'une nuit d'été. Je n'ai plus l'âge de jouer à cache-cache. Je n'ai plus l'âge de marcher, fière, dans les rues, le regard bien droit à la recherche, à sa recherche dans le matin. Je n'en ai pas l'âge, je n'en ai pas l'âme. Je n'ai pas la conscience, l'inconscience de divaguer sans cesse sur les vagues d'une illusion muette. Je n'ai rien de tout ça. Je ne peux pas tomber si bas. Je n'ai pas le courage d'affronter, silencieuse dans la ville, les regards défiants, les regards blessants, les concurrences déloyales des filles qui s'asseoient à sa table aux terrasses des cafés. Je n'en ai pas le coeur, ni même l'envie. Je ne veux pas me battre contre le sort. Je ne veux pas me battre pour un mot de lui, pour encore un autre geste de lui. Je ne veux pas me traîner, là, en bas, pour un garçon qui m'a déjà tout apporté un été il y a trois ans, qui ne m'apporterait rien de plus au présent. Je ne suis plus l'adolescente qui se complaisait à rendre des sourires interdits, je ne suis plus cette gamine qui grapillait les miettes d'amour éparpillées aux quatre coins de cette ville. Elle, elle est tellement loin, je l'ai laissé à des siècles d'ici. Elle, elle ne peut pas revenir. Celle qui se laissait charmer, rien que charmer, pour un peu plus de passion, pour un peu plus d'action. Elle, elle a retrouvé la voix, et la voie, de la raison. Elle a accepté la solitude et a choisi l'ombre plutôt que les oiseaux de proie. Elle ne peut pas tout foutre en l'air. Celle-là que j'étais, celle-là qu'il n'a même pas connue. Lorsqu'il m'a connue j'étais déjà si sage... Révolte. Révolte de mon coeur pourquoi faut-il qu'alors j'en souffre? Pourquoi faut-il qu'à mon âge j'eusse quinze ans à nouveau? Pourquoi faut-il que je rêvasse dans l'attente de l'impossible. Pourquoi faut-il qu'aux files d'attente des grands magasins je sois si absente à me murmurer du Shakespeare pour devenir Juliette abandonnée. Pourquoi faut-il que j'en sois là à reconnaître que les beaux jours, inutiles ces beaux jours avec lui, me manquent comme la pluie manque aux champs ces jours-ci. J'ai vécu la vie, j'ai vécu l'amour, j'ai vécu des appartenances, j'ai vécu des amitiés et des complicités, et je ne lui ai jamais donné une place dans tout celà, pourquoi faut-il qu'alors aujourd'hui je crève ma peine, je crève d'un démon en moi, je crève d'un ange qu'il est.
Cette nuit j'ai récupéré des bouts de lui dans ma mémoire. Des bouts de son affection, de ce début d'amour qui n'en était pas un, pas un. Peut-être mille finalement. Cette nuit j'ai repêché au fond de l'eau de mes songes les perles de ses yeux lorsqu'ils me disaient restes. J'ai plongé ma main au fond du lac de mes souvenirs et y ai retrouvé son rire et le parfum dans ses cheveux. Pour la première fois je n'ai plus regretté, cet instant de trop où dans sa fougue il avait eu ce geste lourd de représailles du monde autour. Pour la première fois je m'en suis moquée que nous l'ayons choqué, ce monde autour, dans mon infidèlité, dans mes émotions que j'aurais, ce jour-là, préfèré réprimer. Je me suis moquée d'avoir enffreint les lois, brisé les règles, parce que pour celà, nous étions deux contre tous, nous étions deux dans cette bulle tour à tour teintée de bonheur et de déchirance. Nous étions deux et je m'en fous si aujourd'hui encore de quelques uns se souviennent, que je n'étais pas parfaite, qu'il n'était pas l'innocent dont il voulait se donner l'air. Nous étions deux, et ce qu'il reste de nous est que nous l'avons fait ensemble. Vivre comme s'il n'y avait pas d'avant. Pas d'après. Rien que le ici et maintenant. Le seul cadeau que l'on ait pu se faire. Se donner l'audace de vivre pour l'instant.
Cette nuit encore j'ai retrouvé, dans la fontaine de mes doutes la chaîne qu'il m'avait donnée, moins un objet qu'un symbole, qu'il avait sortie de sa poche et attaché à mon cou. Un de ces riens qui comptent si terriblement. Un de ces riens qui font que celui vers qui j'ai à peine tourné les yeux hier, que celui qui m'a à peine frôlé d'un sourire hier est quelqu'un que j'ai connu, est quelqu'un qui me manque, est quelqu'un qui porte encore sur son visage et dans sa mémoire tous les élans de mon impatience et de ma soif d'aimer, tout ce que je suis, tout ce que j'ai été.
Je ne lui dit pas je vais te retrouver. Je lui dit Retrouves-moi.
*21h39*
Je ne m'imagine pas demain entrer dans cette salle d'examen. Je ne m'imagine pas jeudi prendre ce train. Je ne m'imagine pas vendredi, ni samedi, ni après. Ca ira mieux. Ca ira mieux, demain et après. Mais je ne l'imagine pas.Alors je m'en irai. Je m'en irai à tire d'ailes en espèrant m'éloigner ainsi de ce souvenir qui me ronge. Je m'en irai comme je suis partie cet été-là, en le laissant appartenir à ce que je n'aurais jamais dû connaître et ce que je ne connaîtrai jamais plus. Je n'aurai qu'à me dire que j'avais le choix. Et que j'ai fait le bon.