LES COMMENTAIRES d'Eric
Dupin
dans FRANCE-SOIR
du mois de décembre 1998
- Un SDF nommé Mégret (9 décembre)
- Guerre à la misère (11 décembre)
- Jospin face aux racines du FN (16 décembre)
- Quand le gendarme du monde fait peur (18 décembre)
- La Chine sous le joug du communisme et du capitalisme
(30 décembre)
UN SDF
NOMME MEGRET
(9 décembre 1998)
"Viva la muerte !" Une meurtrière violence déchire
le Front national. Enfiévrés, les lepénistes traitent
Bruno Mégret de "Naboléon" et ses partisans de "méghrébins".
Ceux-ci répliquent en accusant Jean-Marie Le Pen de népotisme
et en le surnommant "Caligula", le célèbre empereur romain
qui nomma son cheval consul. Dans ce tumulte, une chose est sûre:
nous assistons à la mort du Front national comme parti capable de
fédérer toutes les sensibilités de l'extrême-droite
française. Sauf miracle, l'avenir de Le Pen est derrière
lui. C'est en détruisant son œuvre qu'il parvient à sauver
son pouvoir.
Le destin de Mégret est plus incertain. Au fil des
événements, il semble se diriger inéluctablement vers
la porte de sortie du FN. En dépit de son talent manoeuvrier et
de ses appuis dans le parti, on imagine difficilement que le "délégué
général" puisse arracher le Front à son président-fondateur.
Y aura-t-il alors, pour lui, une vie politique après le FN ?
A première vue, le "maire consort" de Vitrolles dispose
de réels atouts pour rebondir. Patiemment, Mégret s'est construit
une réputation et une influence largement appréciées
dans une certaine mouvance. A l'extrême-droite, il est de longue
date le champion d'intellectuels comme ceux du "club de l'Horloge". Il
a réussi la prouesse d'attirer à la fois les catholiques
intégristes proches du journal "Présent" et la tendance paganiste
incarnée par Pierre Vial. Le mégrétisme est une maladie
très contagieuse parmi les élus et les cadres du Front soucieux
de leur avenir. Leur inspirateur est enfin considéré avec
une indulgence intéressée par une notable fraction de la
droite la plus affirmée.
Mégret était le numéro deux de l'extrême-droite.
Il pourrait désormais aspirer à devenir le numéro
un d'une droite extrême. Nuance. Ce faisant, il se fixerait comme
objectif d'occuper l'espace de la "droite dure". Un territoire aujourd'hui
très largement laissé en friche. Qui tente réellement
- et surtout efficacement - de tenir le créneau d'une révolution
conservatrice à la française ? Le projet secret de Mégret
est de récupérer, à partir des positions radicales
qui sont les siennes, les électeurs déçus par Charles
Pasqua, Philippe de Villiers, Charles Millon et... Jean-Marie Le Pen. Le
sanglier des Hauts-de-Seine n'est plus que l'ombre de ce qu'il fut. Le
hobereau de Vendée a toujours le plus grand mal à être
pris au sérieux. Le duc de Rhône-Alpes demeure prisonnier
de ses douloureuses contradictions. Toutes ces impuissances ouvrent une
opportunité dans laquelle pourrait s'engouffrer Mégret. Si
Le Pen réussit à suicider son mouvement, il y a sans doute
place pour une nouvelle force calée à la droite d'un RPR
de nouveau placé sous la coupe de Jacques Chirac.
Ce rêve mégrétiste peut néanmoins
rester un songe. En bonne logique, un éclatement du FN le priverait
d'une large part de la base populaire qui fait sa force de frappe électorale.
A cet impitoyable jeu de massacre, Mégret peut être détruit
en même temps que Le Pen. Ce serait, au demeurant, une bonne nouvelle
pour le RPR... comme pour la démocratie française.
GUERRE
A LA MISERE
(11 décembre 1998)
Pas facile de couper le sifflet à Martine Aubry. Pierre
Larrouturou, l'infatigable troubadour des 35 heures, y est un jour parvenu
en lui parlant de la mendicité omniprésente dans le métro
parisien. La ministre de l'Emploi et de la Solidarité est restée
coi. En ces jours de flonflons célébrant le cinquantième
anniversaire de la Déclaration des Droits de l'Homme, la misère
suinte de partout dans notre société globalement riche. Et
lorsqu'ils se mettent en mouvement, les pauvres font peur au pouvoir politique.
Les manifestations de chômeurs sont de retour à l'approche
de Noël.
La grosse tache de pauvreté qui défigure la
société française mérite un vrai débat.
Dix ans après sa création, le Revenu Minimum d'Insertion
ne peut rester en l'état. Sans doute faut-il avoir le courage de
reconnaître que le RMI concerne deux populations très différentes.
Certains de ses bénéficiaires ne pourront, avec la meilleure
volonté du monde, réintégrer le circuit normal. La
société doit assumer à leur endroit un devoir de solidarité
sous la forme d'un revenu minimum vital. Aucune contrepartie ne serait
exigée mais certains travaux d'utilité sociale leur seraient
proposés dans un esprit de dignité.
Mais une majorité de rmistes peut et doit s'en sortir.
Elle mériterait un véritable contrat d'insertion sociale.
Celui-ci mobiliserait les associations, les entreprises, les collectivités
locales et l'Etat. Les entreprises qui se veulent "citoyennes" auraient
à cœur de participer à cet effort en faveur des "handicapés
sociaux". "Laissez-lui une nouvelle chance", disent les Américains.
Sur ce plan, les Français feraient bien de les imiter. Cette distinction
des situations au sein de l'actuel RMI permettrait de mieux poser la question
de son extension aux jeunes de moins de 25 ans. Autant le droit à
un contrat d'insertion serait logique, autant l'octroi d'un revenu minimum
serait dangereux.
Tout cela coûterait plus cher. On n'ose suggérer
une augmentation du taux de la TVA sur certains produits de luxe pour lutter
contre la misère. Remarquons simplement qu'en 1988, l'impôt
sur les grandes fortunes rapportait autant que le coût du RMI. Ce
n'est plus du tout le cas aujourd'hui. En raison d'une assiette trop centrée
sur l'immobilier, la fiscalité sur les gros patrimoines est d'un
rendement très inférieur à ce qu'elle pourrait être.
La gauche devrait avoir le courage de prendre de front ces
questions. A moins de laisser la charité privée pallier les
carences de la justice sociale. Dans le même esprit, on attend avec
impatience les propositions du gouvernement pour en finir avec les abus
du travail précaire qui font basculer nombre de jeunes, et de moins
jeunes, dans la gêne.
Que la droite avance, elle aussi, ses propres idées.
Qu'elle ose prôner un "SMIC jeunes" et vanter les mérites
d'une flexibilité qui peut effectivement aider certains à
reprendre pied. Que la société, enfin, ne se dégage
pas trop facilement de ses responsabilités sur le pouvoir politique.
La misère est aussi la conséquence d'accidents individuels.
La solidarité familiale devrait être la première des
bouées de secours. A cet égard, ce sont les immigrés
que certains Français de souche feraient bien d'imiter.
JOSPIN
FACE AUX RACINES DU FN
(16 décembre 1998)
L'éclatement du Front national ne signe pas la disparition
de l'extrême-droite. Le sanglant étripage entre lepénistes
et mégrétistes coûtera certes électoralement
cher à ce courant. Grâce à la légitimité
historique de son fondateur, le FN devrait même dominer, sans l'écraser,
le nouveau parti de Bruno Mégret. Ce qui bouchera, pour un temps,
l'avenir d'un néo-fascisme moderne.
Mais ces déboires politiques de l'extrême-droite
ne doivent pas faire oublier qu'elle s'enracine dans un terreau social
toujours fécond. Lionel Jospin a eu raison de déclarer, hier
matin sur RTL, que les démocrates ne pourront crier victoire que
le jour où ses "idées" auront fondu. Le Premier ministre
est moins convaincant lorsqu'il estime que son action a permis de "bloquer
le FN". L'actualité met plutôt en scène des tourments
de la société française qui sont pain béni
pour les extrémistes.
Les deux nuits d'émeutes urbaines à Toulouse
font regagner aux idées d'intolérance et de racisme ce que
deux jours de batailles de chiffonniers entre Le Pen et Mégret ont
pu faire perdre. Jospin a vanté sa politique de sécurité.
Ces événements dramatiques - "bavure" policière mortelle
mais aussi saccages sur fond de délinquance organisée par
bandes - prouvent pourtant que ce discours peine à être appliqué
sur le terrain par une répression efficace parce que menée
avec "discernement". La lutte contre des trafics, de recel ou de drogue,
dirigés par de jeunes caïds qui terrorisent jusqu'aux habitants
de leurs propres quartiers passe pourtant par là.
Le chef du gouvernement a également opposé la
"vision républicaine" à une certaine "vision ethnique". Il
est assurément extrêmement dangereux de laisser se développer
un discours présentant ces violences contre une "Intifada" à
la française. Quelles que puissent être les outrances policières,
ces jeunes ne vivent pas en territoire occupé et ne luttent par
pour "l'indépendance". Pour la plupart, ils sont Français
et c'est un discours d'intégration nationale - avec ses droits et
ses obligations - qu'il faut leur tenir. Le refus de regarder les choses
en face conduit à l'impuissance puis au désintéressement
face à des ghettos d'où ne peut surgir qu'une violence sociale
vengeresse. Voilà qui, un jour ou l'autre, ferait le lit d'une nouvelle
extrême-droite.
Un même volontarisme serait opportun contre le chômage
et la pauvreté. Le relèvement limité mais rétroactif
des minima sociaux va dans le bon sens, sans naturellement résoudre
le problème. Là encore, c'est en éradiquant la source
des angoisses sociales que l'on déracinera durablement l'extrême-droite.
L'arbre du FN s'est méchamment auto-mutilé, mais il peut
repousser sous une autre forme si la société française
continue à se déliter.
Ces problèmes sont autrement plus sérieux pour
Lionel Jospin que ceux que lui posent les savantes stratégies prêtées
à Jacques Chirac. Le Premier ministre n'a pas eu tort de ne guère
polémiquer sur le discours présidentiel de Rennes, aussi
bien emballé dans la forme que creux sur le fond. La droite se refait
une petite santé, tant mieux pour elle. Mais c'est d'abord aux attentes
des Français que Jospin doit répondre. Ce qui est le plus
difficile.
QUAND
LE GENDARME DU MONDE FAIT PEUR
(18 décembre)
En se répétant, l'histoire se caricature fréquemment.
L'opération "Renard du désert" est incomparablement moins
sérieuse que la "Tempête du désert" de 1991. Un énorme
soupçon de malignité pèse sur des frappes militaires
déclenchées par Bill Clinton la veille du vote, par le Congrès,
de sa propre destitution. C'est au moment précis où le soutien
de l'opinion américaine au président mis en cause pour ses
frasques et ses mensonges vacillait que celui-ci a déclenché
les hostilités.
La précédente guerre du Golfe n'était
pas parasitée par de basses considérations de politique intérieure.
Ses raisons étaient simples à comprendre: l'Irak avait brutalement
envahi le Koweït. Aujourd'hui, le prétexte des bombardements
est mince: trois des 130 sites militaires inspectés ont posé
problème... Le but de l'opération "Renard" est des plus incertain.
Le secrétaire d'Etat américain à la Défense,
William Cohen, a dû avouer que l'objectif poursuivi n'était
pas de renverser Saddam Hussein. Bill Clinton avait pourtant justifié
ses menaces, il y a quelques semaines, par le désir d'en finir avec
le dictateur irakien. Veut-il seulement le "corriger" ? Mais chacun sait
que ce méchant homme est totalement incorrigible ! Entend-il détruire
définitivement, à coup de bombes, le potentiel militaire
accumulé par l'Irak? Le calcul est hasardeux, sauf à prendre
le parti de frappes systématiques dont le coût humain serait
gigantesque. Au stade actuel, le malin "Renard" a seulement eu deux conséquences
concrètes: le report de quelques jours du vote sur la destitution
de Clinton et une approbation de son initiative par l'opinion. Mais peut-être
s'agit-il là des véritables objectifs de cette curieuse opération...
Nous sommes décidément très loin du "nouvel
ordre mondial" chanté en 1991. D'aucuns parlaient alors avec emphase
d'une "guerre du droit" sous l'égide de l'ONU. Cette fois-ci, les
Etats-Unis ne se donnent même pas la peine de faire cautionner par
les Nations Unies leurs propres décisions. Ce mépris a provoqué
la tristesse de Kofi Annan, le secrétaire général
de l'ONU, et l'irritation de nombreux pays. Devant le Conseil de sécurité,
l'opération américaine, menée avec son traditionnel
allié britannique, n'a été franchement soutenue que
par le Japon.
Unique gendarme du monde depuis l'écroulement de l'URSS,
les Etats-Unis font ce qu'ils veulent. La Chine peut protester, son isolement
lui interdit de peser lourd. La Russie s'indigne également, mais
la profonde crise politique et économique dans laquelle elle patauge
la neutralise. L'Europe s'apprête à célébrer
la naissance d'une monnaie unique mais elle est dépourvue de diplomatie
commune. La France et l'Allemagne se sont contentées, jusqu'à
présent, de faire part de leur gêne et de leur embarras vis-à-vis
de la frappe américaine.
Cette liberté sans entraves des Etats-Unis est dangereuse
pour le monde dans la mesure où la puissance de ce pays n'a d'égal
que son égoïsme sans complexe. L'Amérique défend
ses intérêts, et rien d'autre, d'un bout à l'autre
du globe. La situation est encore plus périlleuse lorsque le président
des Etats-Unis songe avant tout à ses petits intérêts
personnels.
LA CHINE
SOUS LE JOUG DU COMMUNISME ET DU CAPITALISME
(30 décembre)
Voulez-vous grimper sur la montagne Qingshen Hou Shan, au sud
de la Chine ? Il vous en coûtera vingt yuans, presque le prix d'une
nuit d'hôtel. "Les Chinois passent du communisme au capitalisme avec
des excès tel que celui qui consiste à faire payer l'entrée
des sentiers de randonnée", proteste un voyageur français.
Encore vaut-il mieux être rançonné qu'emprisonné.
Le syndicaliste Zhang Shanguang a été condamné, le
27 décembre, à dix ans de prison. Ce militant a déjà
derrière lui sept ans de geole. En une semaine, il est le quatrième
opposant au régime à être longuement privé de
liberté. Un autre dissident est porté disparu depuis son
arrestation.
La répression bat son plein au pays du "capitalisme
rouge". Le numéro un chinois, Jiang Zemin, au pouvoir depuis 1989,
a beau se présenter comme un fin lettré citant Shakespeare,
il ne relâche pas sa dictature sur le prolétariat. "Tous les
facteurs qui peuvent mettre en danger la stabilité doivent être
éliminés dés le début", a-t-il averti. Le président
adore la musique folk et Mozart. Il joue de la flute en bambou. Mais la
musique n'adoucira pas sa politique.
Car Jiang Zemin sait à quel point le mécontentement
est répandu. Il a lui-même évoqué "l'armée
des ouvriers licenciés" qui ont commencé à manifester.
Ce communisme-là ne garantit plus l'emploi. Quinze millions de citadins
sont au chômage et des millions de suppressions d'emploi sont prévues
dans le secteur public. De l'aveu même du pouvoir, le revenu des
paysans - majoritaires dans le pays le plus peuplé de la planète
- est en "chute libre". La criminalité et la corruption prolifèrent
alors que le plus grand nombre vit dans la pauvreté.
Fameux bilan pour une Chine "populaire" qui se présentait
naguère en modèle pour l'humanité toute entière
! Près de dix ans après le massacre de Tiananmen (juin 1989),
ce pays vit sous la coupe d'une classe dirigeante qui allie la lourdeur
de la bureaucratie à l'arrogance de la ploutocratie. Plus personne
ne croît évidemment au "communisme". En 1992, le régime
avait adopté le slogan fumeux d'"économie de marché
socialiste". Dans les faits, le marché est aussi mal en point que
le socialisme, sans parler de l'économie.
Les investissements étrangers sont certes florissants:
250 milliards de francs en 1997. Au hit parade des capitaux attirés,
la Chine occupe le deuxième rang au monde, derrière les Etats-Unis.
Le capitalisme a un bel avenir dans la patrie de Mao-Zédong. Quelques
60 milliards de francs de biens de l'Etat auraient été vendus
à des particuliers, plus ou moins frauduleusement, dans la dernière
décennie. A terme, pour certains dirigeants, l'Etat ne devrait plus
posséder que les grandes entreprises d'infrastructure et de sécurité
nationale.
L'Assemblée chinoise a adopté hier sa première
loi sur les opérations boursières. Tous ces bouleversements
économiques creusent des inégalités sociales et régionales
d'autant plus mal supportées que ce capitalisme bureaucratique et
clientélaire n'offre pas les avantages des lois du marché.
Les Chinois endurent à la fois les défauts du communisme
et du capitalisme.
Eric DUPIN
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