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REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier tous ceux et celles qui ont rendu possible cette mission d’observation.

Nous remercions les organismes, les individus, les parents et les ami-es qui ont contribué à la levée de fonds pour l’envoi de notre délégation en Irak.

Nous remercions également tous ceux et celles qui ont contribué directement au fond d’aide humanitaire ou qui ont acheté des billets pour la soirée bénéfice, de même que les nombreux artistes qui ont participé gratuitement à cette soirée.

Les photos qui jalonnent ce rapport sont de Josée Lambert, photographe et membre de la délégation. Nous la remercions de les avoir gracieusement offertes pour l’illustration de ce rapport.

Nous remercions le groupe américain «Voices in the Wilderness» pour sa précieuse et généreuse collaboration avant et pendant le voyage en Irak.

Finalement, nous remercions tous ces Irakiennes et ces Irakiens qui nous ont chaleureusement accueillis, qui nous ont ouvert leurs maisons et qui nous ont offert leur hospitalité. Nous leur devons ce témoignage.

 

Ce rapport a été coordonné et produit pour
Objection de conscience/Voices of Conscience (OCVC)
par
Rachad Antonius et Raymond Legault,
avec la participation des divers membres de la mission qui ont chacun rédigé les sections qui relèvent de leurs domaines de compétence.

La reproduction, en tout ou en partie, de ce rapport est permise à condition d’en indiquer clairement la provenance. Par ailleurs, les photos restent la propriété de Josée Lambert, et leur utilisation à des fins autres que la reproduction de ce rapport demeure strictement interdite sans l’autorisation écrite de la photographe.

© Objection de conscience/Voices of Conscience, mars 2000.

OCVC, 8166 Henri-Julien, Montréal, H2P 2J2.
Tél. (514) 858-7584.
object@colba.net


Cette version internet du rapport
est une création de Michael Lessard au nom d'OCVC.



TABLE DES MATIÈRES

 

[Début du rapport: Page couverture, recto]

PRÉSENTATION (ci-dessous)

PRÉFACE

I. LA MISSION

II. LE CONTEXTE HISTORIQUE, POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX

III. L’EFFET DES SANCTIONS : L’ÉCONOMIE ET LES INSTITUTIONS

IV. L’ÉDUCATION

V. LA SANTÉ

VI. LA SITUATION DES FEMMES

VII. LA DIMENSION CULTURELLE

VIII. LES INSTANCES INTERNATIONALES ET LES ONG

IX. LE PROGRAMME « PÉTROLE CONTRE NOURRITURE »

X. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

XI. RÉFÉRENCES

[Page couverture, verso: 'Ils ont dit...' (citations)]


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PRÉSENTATION

Notre délégation, formée sur l’initiative du groupe québécois OCVC (Objection de conscience/ Voices of Conscience), a séjourné en Irak du 5 au 14 janvier 2000, pour observer l’effet des sanctions imposées à l’Irak sur la population civile (voir la composition de la délégation dans la première section). Le rapport que vous avez entre les mains constitue l’essentiel de nos observations et de nos conclusions. Il comporte aussi des éléments d’information sur le contexte historique, politique, social, et religieux qui permettront de mieux comprendre les enjeux de la situation.

Ce rapport de mission est en partie fondé sur nos observations personnelles et sur les multiples témoignages recueillis, tant des Irakiens et des Irakiennes ordinaires que des acteurs privilégiés rencontrés.

Mais comme cette expérience directe d’une dizaine de jours demeure insuffisante pour appréhender dans leur ensemble les impacts des bombardements et des sanctions, le rapport repose également sur des renseignements tirés de plusieurs documents officiels d’institutions internationales que nous avons étudiés avant notre départ ou qui nous ont été remis pendant notre séjour en Irak. Une liste de ces rapports est fournie en annexe.

Finalement, comme la préparation et la réalisation de notre mission, ce rapport est à la fois le fruit d’un travail collectif et individuel. Bien que le résultat final soit endossé par l’ensemble de la délégation, ce sont des individus qui ont été les auteurs spécifiques des diverses sections de ce rapport. Nous reconnaissons bien sûr à chacun et à chacune le droit de reproduire ou d’utiliser à son propre compte dans d’autres publications les parties de ce document dont il ou elle est l’auteur.

LA DÉLÉGATION

'Cliquez' sur l'image pour visionner l'originale (beaucoup plus claire)

2e rangée :
Svend Robinson, Raymond Legault, David Dalmau, Suzanne Loiselle, Carolyne Harvey, Rachad Antonius

1ère rangée
Denise Byrnes, Françoise David, Amir Khadir, Josée Lambert

 


PRÉFACE

Je veux rendre hommage ici au groupe Objection de conscience grâce auquel ce projet de mission humanitaire a vu le jour. Sans ressources financières ni infrastructure, ce groupe a réussi à mobiliser différents organismes pour mettre sur pied la première mission humanitaire canadienne et québécoise en Irak depuis 9 ans. Cela fait bien 9 ans qu’un embargo criminel frappe le peuple irakien. Cet embargo est soutenu par notre gouvernement, avec la complicité souvent inconsciente des citoyennes et citoyens du Canada. L’initiative d’Objection de conscience est une illustration concrète du rôle que peut jouer ce que nous avons convenu d’appeler la « société civile » dans l’instauration d’une justice sociale internationale.

Les membres de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) font partie intégrante de cette société civile. Ils travaillent depuis des décennies à l’instauration d’un monde plus juste, centré sur le développement humain. Pour poursuivre ces nobles idéaux, nous pouvons compter sur l’engagement volontaire de dizaines de milliers de citoyennes et de citoyens impliqués d’une façon ou d’une autre dans les différentes organisations qui composent l’AQOCI ou dans d’autres organisations de la société civile. C’est en soi une richesse inestimable pour mener notre action. Mais l’argent étant, comme chacun le sait, indispensable à l’action, nous faisons aussi appel aux dons du public et à nos gouvernements pour nous soutenir financièrement.

Le précieux soutien financier des gouvernements comporte toutefois ses dangers, notamment celui d’influencer nos choix d’intervention en fonction de la politique extérieure gouvernementale alors même que nous sommes en désaccord avec elle. C’est là que la responsabilité citoyenne prend tout son sens. Nous avons le devoir de témoigner de ce que nous savons, des milliers de vies humaines sont en jeu. À lui seul l’embargo qui sévit en Irak fait des dizaines de milliers de morts chaque année. Nous n’avons pas le droit de nous taire et nous remercions Objection de conscience de nous avoir rappelé nos responsabilités face à ce drame.

La levée de l’embargo en Irak est urgente. Je veux saluer ici le travail exemplaire accompli par les membres de la mission humanitaire. Depuis leur retour et en dépit de leurs nombreuses occupations, ces personnes se sont consacrées non seulement à la préparation de ce rapport éloquent, mais aussi à témoigner, sur toutes les tribunes qui leur étaient offertes, de la tragédie qu’ils ont observée. Forts de leur travail et de leur engagement à le poursuivre, nous devons aller plus loin dans la mobilisation de la population canadienne pour que nos pressions finissent par convaincre le gouvernement canadien de retirer son appui à l’embargo meurtrier et d’investir dans la reconstruction de l’Irak et la restauration de la dignité de son peuple humilié. Le régime autocratique de Saddam Hussein est loin d’être affaibli par l’embargo, au contraire, il s’en nourrit. C’est la population civile que nous détruisons sciemment. En tant que membre du Conseil de sécurité des Nations unies, le Canada doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre un terme à ce drame. Nous avons la responsabilité de le lui rappeler inlassablement jusqu’à ce que justice soit faite.

Francine Néméh
Directrice de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale.


I. LA MISSION

La délégation d’observatrices et d'observateurs canadiens et québécois qui a séjourné en Irak du 5 au 14 janvier 2000 a été formée sur l’initiative du groupe québécois OCVC (Objection de conscience/Voices of Conscience), qui a initié une campagne contre les sanctions imposées à l’Irak.

Après plus de 9 ans de sanctions internationales aux effets dévastateurs, documentés dans de nombreux rapports Note de bas de page ouverte, nous ne partions pas dans l’ignorance totale de la situation prévalant en Irak. Mais nous entendions constater nous-mêmes les effets concrets des sanctions et des bombardements sur la population civile irakienne, mieux en saisir la dynamique, en ramener des faits, des images, des paroles, spécifiques et indélébiles…

Plus spécifiquement, nos objectifs étaient les suivants :


Notre délégation était formée des personnes suivantes (par ordre alphabétique) :

- Rachad Antonius, spécialiste du Proche-Orient, délégué de la Near East Cultural and Educational Foundation (NECEF);

- Denise Byrnes, déléguée de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI);

- Françoise David, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ);

- Caroline Harvey, auteure-compositeure-interprète, membre du conseil d'administration des Artistes pour la paix et maintenant membre d’OCVC;

- Amir Khadir, infectiologue à l'hôpital Le Gardeur, délégué de Médecins du monde-Canada et également membre d’OCVC ;

- Josée Lambert, photographe, récipiendaire du prix «Artiste pour la paix 1998»;

- Raymond Legault, professeur au Collège Ahuntsic et membre d’OCVC;

- Suzanne Loiselle, directrice de l’Entraide missionnaire;

- Svend Robinson, député fédéral et porte-parole du NPD en matières d'affaires internationales et de droits humains sur le plan international.

À ce groupe s'est joint un délégué de Médecins sans frontières-Espagne, David Dalmau, médecin de Barcelone. Deux journalistes ont aussi accompagné la délégation, Pierre Foglia de La Presse et Daniel Black de Radio-Canada International (RCI).

Finalement, Rick McDowell du groupe américain «Voices in the Wilderness» (ViW), groupe qui a été l’un des pionniers de la lutte anti-sanctions et qui a piloté une trentaine de délégations en Irak, nous a servi de guide et de responsable de la logistique pendant le voyage.


Itinéraire, visites et rencontres

Les membres de la délégation se sont d’abord rendus à Amman, capitale de la Jordanie. Très tôt le matin du 5 janvier, nous sommes partis vers Bagdad, un trajet routier d’environ 1000 kilomètres Note de bas de page ouverte essentiellement à travers le désert. Nous avons atteint Bagdad en soirée.

Notre mission d’observation s’est concentrée sur les régions du centre et du sud de l’Irak où vit 86 % de la population irakienne sous l’autorité du gouvernement central. Nous n’avons pas eu le temps d’aller dans le Nord du pays. Plus précisément, nous avons séjourné dans deux grandes villes : Bagdad, la capitale, et Basra (ou Bassorah), au sud, région particulièrement touchée par la guerre Iran-Irak, par la guerre de 1991 et finalement par les sanctions. Nos itinéraires quotidiens étaient déterminés de façon collective, quelques jours à l’avance, sur la base des suggestions de Rick McDowell de ViW, d’objectifs spécifiques de certains membres de la délégation et de contacts qu’ils ou elles avaient obtenus à l’avance.

Les visites d’institutions publiques doivent être soumises au Croissant Rouge irakien pour autorisation Note de bas de page ouverte. En général, nous les avons faites ensemble, accompagnés d’un représentant du Croissant Rouge et, en raison de la présence d’un député canadien dans nos rangs, d’un représentant du ministère des Affaires étrangères de l’Irak. Dans ce cadre, nous avons visité des écoles, des hôpitaux, une clinique, un orphelinat, un centre pour enfants de la rue, un camp de réfugiés internes, un abri public (celui de ‘Amiriyah, bombardé en 1991) et un quartier populaire atteint par un missile en 1999.

Par ailleurs, les rencontres avec les agences onusiennes, les ONG travaillant en Irak, les communautés religieuses et les institutions privées se font sans accompagnement officiel. Dans ce contexte, nous avons rencontré des représentants et des représentantes du Programme humanitaire des Nations unies en Irak (connu par son sigle anglais UNOHCI), de l’UNICEF, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du Programme alimentaire mondial (PAM), du Comité international de la Croix Rouge (CICR), de la Fédération internationale des sociétés du Croissant Rouge et de la Croix Rouge; également de l’ONG italienne Un Ponte Per Bagdad, des ONG françaises Première Urgence et Enfants du Monde-Droits de l’Homme, et du Conseil des églises du Moyen-Orient (Middle East Council of Churches, MECC). Nous avons également rencontré l’Archevêque catholique de Basra.

Quelques membres de notre délégation, en particulier le député néo-démocrate Svend Robinson, ont également sollicité et obtenu des rencontres à caractère plus officiel. Nous avons ainsi pu discuter avec le ministre de l’Information et de la Culture, le ministre de l’Éducation, le sous-ministre aux Affaires étrangères, une représentante de la Fédération des femmes irakiennes, le Conseiller culturel du gouvernement ainsi que le directeur de l’École d’architecture. Dans ces rencontres, en plus de discuter de la situation créée par la guerre et les sanctions, nous avons évoqué sans ambiguïté nos préoccupations face aux violations des droits de la personne par le régime irakien.

En dehors de l’horaire commun, les membres de la délégation ont également pu prendre rendez-vous avec plusieurs personnes, sans accompagnement, par petits groupes ou individuellement. Nous avons notamment rencontré plusieurs artistes, des membres de communautés religieuses, des médecins, des étudiants et des étudiantes, des travailleurs d’ONG, des sociologues et des éducatrices spécialisées.

Finalement, il y a eu des moments où nous nous sommes simplement promenés dans divers quartiers, ce qui nous a permis d’autres observations et des conversations au hasard avec des gens, et nous a même valu des invitations dans les maisons des personnes rencontrées.

En dépit des circonstances désastreuses dans lesquelles il vit, nous avons rencontré en Irak un peuple particulièrement chaleureux, accueillant, hospitalier et nous en avons été profondément touchés. Un peuple d’une grande dignité aussi…

Pendant notre séjour, nous avons facilement pu constater la nature étouffante et répressive du régime irakien, en particulier par l’omniprésence policière et militaire et par la peur évidente que les hommes et les femmes de ce pays ont de s’exprimer concernant la politique intérieure. Mais nous avons choisi dès le départ de ne pas prioriser cet aspect, généralement beaucoup plus connu du public et souvent utilisé à des fins de propagande pour justifier bombardements et sanctions. C’est au peuple irakien qu’il revient, d’abord et avant tout, de trouver des solutions à ces problèmes Note de bas de page ouverte.

Nous avons plutôt choisi de faire connaître les effets catastrophiques sur la population irakienne de cette guerre de bombardements et de sanctions qui dure depuis plus de 9 ans et qui n’est pas encore finie. D’une part, parce que les grands médias télévisuels n’ont jamais rendu compte adéquatement de la destruction sauvage causée par les bombardements de 1991. Ils ont rarement parlé des effets désastreux des sanctions et du caractère insuffisant et cynique du programme « pétrole contre nourriture ». Tout cela demeure largement inconnu du public québécois et canadien. D’autre part, les malheurs et la souffrance causés par cette guerre et par les sanctions engagent essentiellement notre responsabilité, puisqu’ils sont le résultat direct de politiques internationales auxquelles le gouvernement canadien souscrit et participe activement depuis le début, comme allié indéfectible des États-Unis d’Amérique.

Les pages qui suivent décrivent dans un certain détail ce que nous avons vu. Nous avons inclus une section importante de mise en contexte, car elle permet de mieux cerner non seulement les effets des sanctions, mais aussi le sens qu’elles ont pour les victimes. Un effort d’empathie nous est demandé pour comprendre, sans cependant abandonner notre sens critique.


II. LE CONTEXTE HISTORIQUE, POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX

Carte de l'IrakL'Irak s’est construit autour de la Mésopotamie, cette terre fertile qui se situe entre le Tigre et l’Euphrate et qui est entourée d’une région désertique. Il partage des frontières avec le Koweït et l'Arabie Saoudite au sud, la Jordanie et la Syrie à l'ouest, la Turquie au nord et l'Iran à l'est. Il a un accès limité au Golfe arabo-persique. L’Irak est un pays relativement riche, qui possède les facteurs principaux du développement : richesses naturelles (mines, pétrole, agriculture et eau), ressources humaines développées, et capital provenant principalement du pétrole. En ce sens, il est unique parmi les pays arabes qui possèdent chacun l’un ou l’autre de ces facteurs, mais pas tous. Ces éléments expliquent en partie que plusieurs civilisations aient pris naissance ou se soient épanouies sur cette terre, un fait dont les Irakiens et les Irakiennes sont bien conscients et dont ils tirent une certaine fierté et un sentiment de dignité.

Le Royaume d'Irak est créé en 1921 suite aux accords Sykes-Picot de 1916. Le 14 juillet 1958, un coup d’État sanglant décime la monarchie et la république est proclamée. Deux autres coups d’État, en 1963 puis en 1968, marquent la nouvelle république. L'Irak quitte le pacte de Bagdad (pro-occidental) et amorce un rapprochement avec l'URSS. Dès 1961, le gouvernement revendique le Koweït comme faisant partie de l’Irak, mais finit par reculer en 1963 devant la position unanime des pays membres de la Ligue arabe, qui ne veulent pas ouvrir le dossier des frontières héritées du colonialisme.

Le régime issu du coup d’État de 1968 met en place un État providence et une économie étatique centralisée. Dès 1970, une réforme agraire est entreprise, incluant un programme de redistribution des terres et un programme de formation de coopératives. Ces mesures entraînent une redistribution importante de la richesse et des revenus, et le système devient plus égalitaire. Les services médicaux sont développés et deviennent gratuits. L’éducation est étendue aux zones rurales, et le nombre d’étudiants et d’étudiantes augmente à tous les niveaux d’éducation, du primaire à l’université.

Les femmes ont bénéficié de ces orientations de façon spécifique. D’abord, la modernisation de l’économie a accéléré l’urbanisation, entraînant des possibilités de travail et d’éducation plus grandes pour les femmes, une transition de la famille traditionnelle, étendue, patriarcale vers la famille nucléaire, ainsi que des modes de comportement offrant une plus grande autonomie pour les femmes. C’est dans les milieux urbains que les femmes ont surtout bénéficié de ces changements. D’autre part, des amendements au Code du statut personnel ont libéralisé quelque peu la loi, permettant aux femmes de se soustraire plus facilement à l’autorité traditionnelle des hommes de la famille dans le choix du conjoint, dans le travail, et éventuellement dans le divorce. Enfin, une certaine participation politique des femmes a été encouragée, dans les limites très strictes de ce qui est permis, c'est-à-dire sans contestation aucune du parti au pouvoir ou des dirigeants. Dans les régions rurales traditionnelles, ces réformes n’ont eu qu’un impact marginal, sauf pour l’alphabétisation des femmes qui est devenue la plus élevée de tous les pays arabes.

Parallèlement à ces réformes sociales, un programme de nationalisation des ressources naturelles est décrété. Les compagnies pétrolières sont nationalisées, ce qui permet au gouvernement de contrôler la production ainsi que l’exportation du pétrole, et de financer ainsi ses programmes sociaux.

Durant les années soixante-dix et quatre-vingt, le régime s’engage dans une voie de militarisation croissante. L’armée est renforcée en nombre et en équipement, de même que les divers services de sécurité et de coercition interne. Une grande proportion d’hommes est mobilisée, en particulier depuis 1980, lorsque le régime déclenche sa guerre contre l’Iran. Si les équipements lourds proviennent de l’Union soviétique, une partie importante de l’armement provient aussi des pays occidentaux, qui voient en Saddam Hussein un rempart contre la révolution islamiste en Iran, et qui appuient les efforts de guerre de l’Irak.

Le régime tire sa légitimité d’un discours révolutionnaire et des programmes sociaux mis en place (surtout en santé et en éducation). Cette «carotte» s’accompagne d’un bâton : un système de surveillance très étroite de la société civile, fondé d’une part sur les cadres du parti Ba’ath, et d’autre part sur les multiples services de la police secrète. Un système de conscription dans ces services de surveillance et de délation est mis en place. L’allégeance totale et aveugle au régime est obligatoire, et elle est récompensée par des bénéfices matériels et par un accès privilégié à certaines ressources. Pour les jeunes, être membre du parti ouvre des possibilités d’obtenir des bourses d’études à l’étranger, des voyages officiels, une ascension dans la hiérarchie du parti ainsi qu’une mobilité sociale vers le haut.

Une des conséquences de cette situation est que la société civile est étouffée et que les associations non gouvernementales ne peuvent se développer. L’opposition politique est réprimée de façon sanglante. La torture est monnaie courante pour les dissidents, et les assassinats et liquidations politiques en prison ou à l’extérieur deviennent le sort attendu pour les activistes des partis autres que le Ba’ath ainsi que pour les dissidents à l’intérieur même de ce dernier. Nous sommes donc devant un régime de terreur. La seule zone d’autonomie, très relative, reste celle des structures religieuses et claniques. Ceci explique que lorsque le régime sera sérieusement contesté en 1991, cette contestation prendra la forme de révoltes ethnico-religieuses : les chi’ites au Sud, les Kurdes au Nord.


L’opposition politique

En ce moment, on peut distinguer trois types de partis d’opposition:

La description qui suit, à cause de sa brièveté, sera nécessairement schématique et sans doute un peu réductrice.

Dans le premier groupe Note de bas de page ouverte, on retrouve le PDK (Parti démocratique du Kurdistan), dirigé par le clan Barzani. Il maintient de bons liens avec la Turquie et avec les États-Unis, et a gardé le dialogue ouvert avec Bagdad. Il tire profit du commerce avec la Turquie, qui a augmenté à cause des sanctions ; l’UPK (Union patriotique du Kurdistan), dirigée par le clan Talabani, contrôle le sud de la région autonome kurde. Elle résulte d’une scission du PDK. Le conflit entre les deux a fait plus de 3000 morts depuis 1994 ; le Parti socialiste du Kurdistan est un parti de gauche fondé en 1979, mais il n’a pas le même appui populaire que les deux premiers ; le Front unifié du Kurdistan regroupe l’UPK et le PDK depuis 1988, 6 partis kurdes de gauche ainsi qu’un parti nationaliste assyrien (minorité chrétienne d’Irak) ; le Mouvement islamique du Kurdistan (sunnite) est proche de Téhéran et de l’opposition chi’ite.

Dans le deuxième groupe, on retrouve surtout l’Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak, qui est très proche de Téhéran, et le Parti Al Da’wa, qui occupe une place importante dans l’opposition irakienne et dont plusieurs dirigeants ont été assassinés par le régime ba’athiste. Un autre parti islamiste, sunnite celui-là, est plus proche de Frères musulmans jordaniens; il s’agit du Parti de la Libération islamique.

Le troisième groupe est constitué surtout du Parti communiste irakien, qui a une implantation historique en Irak et une base significative parmi les intellectuels. Il a été toléré par le régime ba’athiste quand ce dernier avait besoin d’asseoir son pouvoir, mais il a été le plus souvent déclaré illégal, et ses membres emprisonnés, torturés et assassinés. D’autres petits partis font aussi partie de ce groupe.

On pourrait associer à ce dernier groupe certaines organisations qui ne sont pas des partis politiques et qui fondent leur opposition sur un attachement aux principes universels des droits humains. Au Canada, il existe au moins une organisation de ce type, la Iraqi Society of Human Rights-Canada.

Plusieurs coalitions ont vu le jour, mais certaines des plus visibles (dont le Congrès national irakien) ont perdu une part de leur crédibilité à cause de leur subordination aux initiatives et aux priorités américaines et de leur dépendance du soutien financier de Washington. Par contre, certains partis ont gardé leurs distances par rapport à l’administration américaine.

Au Canada, le Canadian-Iraqi Coordination Committee (CICC) est une coalition qui regroupe plusieurs partis irakiens et qui est active surtout en Ontario. D’autres groupes existent aussi, mais leur travail, même en exil, est difficile à cause de la répression qui peut s’abattre sur leurs membres en Irak ainsi que sur les parents et les proches des membres qui résident à l’étranger.

En général, les groupes irakiens d’opposition critiquent les sanctions économiques contre l’Irak et demandent leur retrait immédiat, mais ils estiment que cette demande doit aussi être accompagnée d’une condamnation du régime de Saddam Hussein pour sa répression sanglante et pour sa responsabilité dans le conflit actuel. Par ailleurs, à cause sans doute de la répression très dure qu’ils ont subie et des fausses promesses de la part du régime, certains des partis d’opposition ont développé une méfiance très grande envers les autres forces politiques, ce qui rend leurs efforts de regroupement très difficiles.


La composition de la société irakienne

Il est commun de constater que la société irakienne est composée de plusieurs groupes sociaux et de la diviser en fonction de clivages ethno-confessionnels : les Arabes sunnites, les chi’ites (arabes aussi), les Kurdes qui ont leur propre langue et leur culture, qu’ils partagent avec d’autres Kurdes en Iran et en Turquie, et enfin, une petite minorité de chrétiens irakiens. La communauté juive irakienne, une communauté autochtone qui a de profondes racines en Irak, était présente jusqu’à la moitié du siècle. Mais elle a émigré dans sa presque totalité et il n’en reste, au plus, qu’une centaine de familles, surtout des personnes âgées.

La majorité des musulmans d’Irak sont chi’ites. À travers le monde, la grande masse des musulmans est sunnite, (mot arabe qui désigne ce qui se rattache à la tradition), tandis qu'à peu près un dixième est affilié à des branches autres. La famille non-sunnite la plus importante est constituée par les chi’ites, qui sont les partisans de l’Imam Ali (gendre du Prophète Mohamed et 4e Calife, qui fut assassiné) et que l’on trouve surtout en Irak et en Iran.

La Constitution de la République d'Irak est d'inspiration laïque et fondée sur la séparation de la religion et de l'État. La religion nationale est cependant l’islam, qui regroupe 95% de la population du pays. De ce nombre, 65% sont chi’ites et se retrouvent majoritairement dans le sud du pays. Quant aux 35% de sunnites, ils se retrouvent surtout dans la capitale et dans la région du centre du pays, et ils sont dominants au sein du gouvernement depuis l’indépendance. Il y eut d’importants mouvements d’insurrection chi’ites face au pouvoir central, entre autres au printemps 1991.

Sur l'ensemble d'une population de 24 millions d'habitants principalement de religion musulmane, les communautés chrétiennes représentent environ 5%. Ces communautés se répartissent en divers rites : chaldéen, nestorien et syriaque (les groupes les plus nombreux) mais aussi melkite et arménien, qui sont tous des rites autochtones du Moyen-Orient et du Caucase. Certains chrétiens irakiens suivent le rite latin. L'Église réformée est aussi présente ainsi que des groupes évangélistes. Les communautés chrétiennes sont présentes principalement à Mossoul et à Bagdad, mais on en retrouve dans toutes les régions du pays. Elles peuvent exercer librement leur culte et travailler aux œuvres sociales et pastorales de leurs communautés respectives. La liberté de culte des religions monothéistes fait partie intégrante de la Constitution irakienne.

La présence de l'Église catholique est très ancienne. Quoique très minoritaire, elle joue un rôle significatif dans la vie sociale et culturelle du pays; les femmes contribuent largement au dynamisme de cette communauté. S'étant retrouvés occasionnellement parmi des communautés religieuses chrétiennes au cours de la mission, des membres de la délégation ont pu constater leur amertume par rapport à la communauté internationale, leur désapprobation totale de l'embargo et de son cortège de sanctions qui ont stoppé le développement du pays et appauvri la population civile de façon quasi irréversible. C'est parmi la communauté chrétienne que l'on compte la plus grande proportion de départs pour l'exil.

Cependant, ce serait une erreur de considérer cette classification en fonction de l’ethnie ou de la religion comme étant la plus naturelle, ou ces groupes comme des entités homogènes. D’une part, des clivages (surtout économiques, ou de classe) divisent ces divers groupes, qui comportent des propriétaires fonciers, des élites urbaines et marchandes, ainsi que des paysans pauvres et des classes urbaines défavorisées. D’autre part, l’histoire récente a vu ces groupes s’unir dans la lutte contre le colonialisme britannique. L’édification, après l’indépendance, d’un État providence d’orientation laïque a favorisé un vrai processus d’intégration nationale, avec ses moments de succès. Les échecs du régime, dus à des facteurs externes et internes, en particulier au régime de terreur qui a été instauré, ont signifié la résurgence des identités ethniques et religieuses, menaçant sérieusement l’intégrité nationale. Ceci se manifeste aujourd’hui par le fait que plusieurs mouvements politiques épousent les contours de communautés ethniques ou religieuses.


La guerre contre l’Iran

Il existe une longue histoire de conflits entre l’Iran et l’Irak, mais durant les années soixante-dix deux éléments importants constituent des sources de tensions. D’une part, il y a un conflit frontalier relatif au contrôle du Chatt Al-Arab (voie maritime se situant à l’embouchure du Tigre et de l’Euphrate) et de certaines îles s’y trouvant. Ce conflit s’est soldé par un accord signé en 1975 entre le gouvernement du Shah d’Iran et le gouvernement irakien. L’Irak a fait des concessions territoriales en échange d’un arrêt de l’appui iranien aux groupes kurdes dans le Nord du pays, appui qui constituait la deuxième source de tensions.

Avec la révolution islamique en Iran en 1979, ces sources de conflit s’intensifient : les groupes kurdes traversent plus facilement la frontière irano-irakienne pour faire des attaques en sol irakien puis se réfugier en territoire iranien. De plus, les chi’ites du Sud se sentent interpellés par la révolution islamique, ajoutant ainsi une dimension idéologique aux relations tendues entre les deux pays. Mais les bouleversements internes causés par la révolution islamique en Iran donnent l’impression au régime de Saddam Hussein que le rapport de force est momentanément en sa faveur, et qu’une attaque contre l’Iran lui permettrait à la fois de restituer les frontières concédées en 1975, de mettre fin à l’appui donné aux groupes dissidents chi’ites et kurdes, et d’établir sa supériorité au niveau régional. Plusieurs analystes affirment aussi que les services secrets américains auraient encouragé Saddam Hussein à déclencher une attaque contre l’Iran, en lui faisant miroiter une victoire facile compte tenu de la désorganisation de l’armée iranienne. Cette dernière vivait une crise d’allégeance, sa fidélité passée au Shah déchu la rendant suspecte aux yeux de la révolution islamique. Il faut dire aussi que les monarchies pétrolières se sentaient menacées par cette révolution. En d’autres termes, une convergence d’intérêts entre les puissances occidentales, les monarchies pétrolières et le régime de Saddam Hussein a amené ce dernier à déclencher cette guerre, se sentant d’une part en position de force, et d’autre part appuyé tant par les Occidentaux que par les régimes arabes dont il se présentait comme le défenseur face à « l’agresseur perse » (c’est presque dans ces termes que certains officiels irakiens nous ont présenté cette période de l’histoire).

Cette guerre a duré près de huit ans et a fait plus d’un million de victimes, surtout du côté iranien. Elle a aussi constitué un poids important sur l’économie irakienne. Le gouvernement de Saddam Hussein espérait bien que les pays arabes épongeraient la dette qu’il avait ainsi accumulée. Au contraire, il fut l’objet de pressions économiques qui le mettaient en péril, étant tenu de maintenir ses programmes sociaux pour garantir sa légitimité, et faisant face à une baisse du prix du pétrole, combinée à une politique de pompage du pétrole irakien par le Koweït, sur une zone frontalière contestée (les champs de Rumeïlah). C’est dans ce contexte que la tension avec le Koweït se mit à monter.


L’invasion du Koweït et les sanctions

L’invasion du Koweït le 2 août 1990 était donc l’aboutissement d’une période de tensions et de négociations rompues. Les mobiles de l’invasion étaient surtout d’ordre économique, mais la dimension géostratégique n’en était pas absente (rappelons-nous que l’Irak avait revendiqué le territoire du Koweït depuis 1961). Cependant, Saddam Hussein avait mal calculé la réaction internationale, et surtout celle des autres pays arabes. Il avait peut-être été un peu « aidé » dans cette erreur. On connaît à présent la célèbre phrase lâchée par April Glaspie, l’ambassadrice américaine en Irak, quelques jours avant l’invasion : « les États-Unis ne sont pas concernés par un conflit entre deux États arabes; nous n’avons pas de pacte de défense avec le Koweït », avait-elle dit. Saddam Hussein a interprété cela comme un feu vert pour envahir tout le Koweït. Certains analystes affirment que cette tactique avait pour but de pousser Saddam Hussein à attaquer le Koweït, ce qui fournirait ensuite l’alibi parfait pour la destruction du potentiel militaire de ce pays et pour justifier une présence militaire accrue sur le territoire des monarchies pétrolières, alliées des États-Unis.

Le régime irakien entreprend donc l’invasion du Koweït le 2 août 1990. Le Conseil de sécurité de l’ONU le somme de se retirer immédiatement (résolution 660 du 2 août 1990) et décrète le gel des avoirs irakiens dans la plupart des pays occidentaux. Le 6 août, un embargo commercial, financier et militaire est décrété par le Conseil de sécurité (résolution 661), pour forcer l’Irak à se retirer du Koweït. L’Irak refusant de se retirer, le Conseil de sécurité donne un ultimatum : la résolution 678 du 29 novembre fixe la date du 15 janvier pour que l’Irak applique toutes les résolutions de l’ONU, y compris le retrait du Koweït, sans quoi tous les moyens nécessaires seraient utilisés.

En janvier 1991, après les refus répétés de l’Irak de se retirer du Koweït en dépit des nombreux appels en ce sens, et après d’ultimes efforts de la part de la France pour trouver une solution diplomatique, efforts bloqués par les États-Unis et la Grande Bretagne, une coalition de 26 pays sous commandement américain, comprenant un grand nombre de pays occidentaux dont le Canada et la majorité des pays arabes, lance une guerre contre l’Irak.

Le coût humain de cette guerre a été énorme. « Près de 100 000 morts, 5 millions de personnes déplacées, et 200 milliards de dommages matériels font de ce conflit l’événement le plus dévastateur au Moyen-Orient depuis la première guerre mondiale » Note de bas de page ouverte.

Durant les 6 semaines de la guerre, une grande partie des infrastructures de l’Irak (en particulier des infrastructures sanitaires) ont été complètement détruites. Le conflit a aussi causé une catastrophe économique et sociale en Jordanie. En effet, en plus de voir son commerce perturbé, ce pays a dû absorber une grande partie des réfugiés, mais n’avait pas reçu d’aide car il avait refusé d’appuyer la solution militaire.

La débandade de l’armée irakienne au Sud a permis entre autres de mettre la main sur des tonnes de documents d’archives qui détaillaient la répression irakienne, le traitement réservé aux prisonniers d’opinion et à leurs familles, ainsi que les méthodes de conscription (viols suivis de chantage, coercitions diverses) des citoyennes et des citoyens dans les services secrets de renseignement irakiens.

Les combats cessent le 28 février 1991, et un accord de cessez-le feu provisoire est signé le 3 mars. Le 3 avril, un cessez-le feu définitif est décrété (résolution 687). Dans la même résolution, le Conseil de sécurité impose à l’Irak d’éliminer toutes ses armes de destruction massive et établit la Commission spéciale des Nations unies chargée du désarmement, l’UNSCOM.

Au printemps de 1991, deux insurrections (au Nord, des Kurdes, au Sud, des chi’ites) sont réprimées dans le sang, à la grande déception des insurgés à qui Washington avait fait miroiter un appui sérieux qui ne s’est pas matérialisé.

Le 20 décembre 1991, l’ONU décide de maintenir l’embargo total établi par la résolution 661, embargo qui se poursuit jusqu’à présent mais qui est sujet, depuis 1996, au programme « pétrole contre nourriture » dont nous parlerons plus loin.