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Nous tenons à remercier tous ceux et celles qui ont rendu possible cette mission dobservation. Nous remercions les organismes, les individus, les parents et les ami-es qui ont contribué à la levée de fonds pour lenvoi de notre délégation en Irak. Nous remercions également tous ceux et celles qui ont contribué directement au fond daide humanitaire ou qui ont acheté des billets pour la soirée bénéfice, de même que les nombreux artistes qui ont participé gratuitement à cette soirée. Les photos qui jalonnent ce rapport sont de Josée Lambert, photographe et membre de la délégation. Nous la remercions de les avoir gracieusement offertes pour lillustration de ce rapport. Nous remercions le groupe américain «Voices in the Wilderness» pour sa précieuse et généreuse collaboration avant et pendant le voyage en Irak. Finalement, nous remercions tous ces Irakiennes et ces Irakiens qui nous ont chaleureusement accueillis, qui nous ont ouvert leurs maisons et qui nous ont offert leur hospitalité. Nous leur devons ce témoignage.
REMERCIEMENTS
Ce rapport a été coordonné et produit pour
Objection de conscience/Voices of Conscience (OCVC)
par
Rachad Antonius et Raymond Legault,
avec la participation des divers membres de la mission qui ont chacun rédigé les sections qui relèvent de leurs domaines de compétence.
La reproduction, en tout ou en partie, de ce rapport est permise à condition den indiquer clairement la provenance. Par ailleurs, les photos restent la propriété de Josée Lambert, et leur utilisation à des fins autres que la reproduction de ce rapport demeure strictement interdite sans lautorisation écrite de la photographe.
© Objection de conscience/Voices of Conscience, mars 2000.
OCVC, 8166 Henri-Julien, Montréal, H2P 2J2.
Tél. (514) 858-7584.
object@colba.net
TABLE DES MATIÈRES
[Début du rapport: Page couverture, recto]
PRÉSENTATION (ci-dessous)
II. LE CONTEXTE HISTORIQUE, POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX
III. LEFFET DES SANCTIONS : LÉCONOMIE ET LES INSTITUTIONS
VIII. LES INSTANCES INTERNATIONALES ET LES ONG
IX. LE PROGRAMME « PÉTROLE CONTRE NOURRITURE »
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PRÉSENTATION
Notre délégation, formée sur linitiative du groupe québécois OCVC (Objection de conscience/ Voices of Conscience), a séjourné en Irak du 5 au 14 janvier 2000, pour observer leffet des sanctions imposées à lIrak sur la population civile (voir la composition de la délégation dans la première section). Le rapport que vous avez entre les mains constitue lessentiel de nos observations et de nos conclusions. Il comporte aussi des éléments dinformation sur le contexte historique, politique, social, et religieux qui permettront de mieux comprendre les enjeux de la situation.
Ce rapport de mission est en partie fondé sur nos observations personnelles et sur les multiples témoignages recueillis, tant des Irakiens et des Irakiennes ordinaires que des acteurs privilégiés rencontrés.
Mais comme cette expérience directe dune dizaine de jours demeure insuffisante pour appréhender dans leur ensemble les impacts des bombardements et des sanctions, le rapport repose également sur des renseignements tirés de plusieurs documents officiels dinstitutions internationales que nous avons étudiés avant notre départ ou qui nous ont été remis pendant notre séjour en Irak. Une liste de ces rapports est fournie en annexe.
Finalement, comme la préparation et la réalisation de notre mission, ce rapport est à la fois le fruit dun travail collectif et individuel. Bien que le résultat final soit endossé par lensemble de la délégation, ce sont des individus qui ont été les auteurs spécifiques des diverses sections de ce rapport. Nous reconnaissons bien sûr à chacun et à chacune le droit de reproduire ou dutiliser à son propre compte dans dautres publications les parties de ce document dont il ou elle est lauteur.
'Cliquez' sur l'image pour visionner l'originale (beaucoup plus claire)
2e rangée :
Svend Robinson, Raymond Legault, David Dalmau, Suzanne Loiselle, Carolyne Harvey, Rachad Antonius
1ère rangée
Denise Byrnes, Françoise David, Amir Khadir, Josée Lambert
Je veux rendre hommage ici au groupe Objection de conscience grâce auquel ce projet de mission humanitaire a vu le jour. Sans ressources financières ni infrastructure, ce groupe a réussi à mobiliser différents organismes pour mettre sur pied la première mission humanitaire canadienne et québécoise en Irak depuis 9 ans. Cela fait bien 9 ans quun embargo criminel frappe le peuple irakien. Cet embargo est soutenu par notre gouvernement, avec la complicité souvent inconsciente des citoyennes et citoyens du Canada. Linitiative dObjection de conscience est une illustration concrète du rôle que peut jouer ce que nous avons convenu dappeler la « société civile » dans linstauration dune justice sociale internationale.
Les membres de lAssociation québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) font partie intégrante de cette société civile. Ils travaillent depuis des décennies à linstauration dun monde plus juste, centré sur le développement humain. Pour poursuivre ces nobles idéaux, nous pouvons compter sur lengagement volontaire de dizaines de milliers de citoyennes et de citoyens impliqués dune façon ou dune autre dans les différentes organisations qui composent lAQOCI ou dans dautres organisations de la société civile. Cest en soi une richesse inestimable pour mener notre action. Mais largent étant, comme chacun le sait, indispensable à laction, nous faisons aussi appel aux dons du public et à nos gouvernements pour nous soutenir financièrement.
Le précieux soutien financier des gouvernements comporte toutefois ses dangers, notamment celui dinfluencer nos choix dintervention en fonction de la politique extérieure gouvernementale alors même que nous sommes en désaccord avec elle. Cest là que la responsabilité citoyenne prend tout son sens. Nous avons le devoir de témoigner de ce que nous savons, des milliers de vies humaines sont en jeu. À lui seul lembargo qui sévit en Irak fait des dizaines de milliers de morts chaque année. Nous navons pas le droit de nous taire et nous remercions Objection de conscience de nous avoir rappelé nos responsabilités face à ce drame.
La levée de lembargo en Irak est urgente. Je veux saluer ici le travail exemplaire accompli par les membres de la mission humanitaire. Depuis leur retour et en dépit de leurs nombreuses occupations, ces personnes se sont consacrées non seulement à la préparation de ce rapport éloquent, mais aussi à témoigner, sur toutes les tribunes qui leur étaient offertes, de la tragédie quils ont observée. Forts de leur travail et de leur engagement à le poursuivre, nous devons aller plus loin dans la mobilisation de la population canadienne pour que nos pressions finissent par convaincre le gouvernement canadien de retirer son appui à lembargo meurtrier et dinvestir dans la reconstruction de lIrak et la restauration de la dignité de son peuple humilié. Le régime autocratique de Saddam Hussein est loin dêtre affaibli par lembargo, au contraire, il sen nourrit. Cest la population civile que nous détruisons sciemment. En tant que membre du Conseil de sécurité des Nations unies, le Canada doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre un terme à ce drame. Nous avons la responsabilité de le lui rappeler inlassablement jusquà ce que justice soit faite.
Francine Néméh
Directrice de lAssociation québécoise des organismes de coopération internationale.
La délégation dobservatrices et d'observateurs canadiens et québécois qui a séjourné en Irak du 5 au 14 janvier 2000 a été formée sur linitiative du groupe québécois OCVC (Objection de conscience/Voices of Conscience), qui a initié une campagne contre les sanctions imposées à lIrak.
Après plus de 9 ans de sanctions internationales aux effets dévastateurs, documentés dans de nombreux rapports
Plus spécifiquement, nos objectifs étaient les suivants :
Notre délégation était formée des personnes suivantes (par ordre alphabétique) :
- Rachad Antonius, spécialiste du Proche-Orient, délégué de la Near East Cultural and Educational Foundation (NECEF);
- Denise Byrnes, déléguée de lAssociation québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI);
- Françoise David, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ);
- Caroline Harvey, auteure-compositeure-interprète, membre du conseil d'administration des Artistes pour la paix et maintenant membre dOCVC;
- Amir Khadir, infectiologue à l'hôpital Le Gardeur, délégué de Médecins du monde-Canada et également membre dOCVC ;
- Josée Lambert, photographe, récipiendaire du prix «Artiste pour la paix 1998»;
- Raymond Legault, professeur au Collège Ahuntsic et membre dOCVC;
- Suzanne Loiselle, directrice de lEntraide missionnaire;
- Svend Robinson, député fédéral et porte-parole du NPD en matières d'affaires internationales et de droits humains sur le plan international.
À ce groupe s'est joint un délégué de Médecins sans frontières-Espagne, David Dalmau, médecin de Barcelone. Deux journalistes ont aussi accompagné la délégation, Pierre Foglia de La Presse et Daniel Black de Radio-Canada International (RCI).
Finalement, Rick McDowell du groupe américain «Voices in the Wilderness» (ViW), groupe qui a été lun des pionniers de la lutte anti-sanctions et qui a piloté une trentaine de délégations en Irak, nous a servi de guide et de responsable de la logistique pendant le voyage.
Itinéraire, visites et rencontres
Les membres de la délégation se sont dabord rendus à Amman, capitale de la Jordanie. Très tôt le matin du 5 janvier, nous sommes partis vers Bagdad, un trajet routier denviron 1000 kilomètres
Notre mission dobservation sest concentrée sur les régions du centre et du sud de lIrak où vit 86 % de la population irakienne sous lautorité du gouvernement central. Nous navons pas eu le temps daller dans le Nord du pays. Plus précisément, nous avons séjourné dans deux grandes villes : Bagdad, la capitale, et Basra (ou Bassorah), au sud, région particulièrement touchée par la guerre Iran-Irak, par la guerre de 1991 et finalement par les sanctions. Nos itinéraires quotidiens étaient déterminés de façon collective, quelques jours à lavance, sur la base des suggestions de Rick McDowell de ViW, dobjectifs spécifiques de certains membres de la délégation et de contacts quils ou elles avaient obtenus à lavance.
Les visites dinstitutions publiques doivent être soumises au Croissant Rouge irakien pour autorisation
Par ailleurs, les rencontres avec les agences onusiennes, les ONG travaillant en Irak, les communautés religieuses et les institutions privées se font sans accompagnement officiel. Dans ce contexte, nous avons rencontré des représentants et des représentantes du Programme humanitaire des Nations unies en Irak (connu par son sigle anglais UNOHCI), de lUNICEF, de lOrganisation mondiale de la santé (OMS), du Programme alimentaire mondial (PAM), du Comité international de la Croix Rouge (CICR), de la Fédération internationale des sociétés du Croissant Rouge et de la Croix Rouge; également de lONG italienne Un Ponte Per Bagdad, des ONG françaises Première Urgence et Enfants du Monde-Droits de lHomme, et du Conseil des églises du Moyen-Orient (Middle East Council of Churches, MECC). Nous avons également rencontré lArchevêque catholique de Basra.
Quelques membres de notre délégation, en particulier le député néo-démocrate Svend Robinson, ont également sollicité et obtenu des rencontres à caractère plus officiel. Nous avons ainsi pu discuter avec le ministre de lInformation et de la Culture, le ministre de lÉducation, le sous-ministre aux Affaires étrangères, une représentante de la Fédération des femmes irakiennes, le Conseiller culturel du gouvernement ainsi que le directeur de lÉcole darchitecture. Dans ces rencontres, en plus de discuter de la situation créée par la guerre et les sanctions, nous avons évoqué sans ambiguïté nos préoccupations face aux violations des droits de la personne par le régime irakien.
En dehors de lhoraire commun, les membres de la délégation ont également pu prendre rendez-vous avec plusieurs personnes, sans accompagnement, par petits groupes ou individuellement. Nous avons notamment rencontré plusieurs artistes, des membres de communautés religieuses, des médecins, des étudiants et des étudiantes, des travailleurs dONG, des sociologues et des éducatrices spécialisées.
Finalement, il y a eu des moments où nous nous sommes simplement promenés dans divers quartiers, ce qui nous a permis dautres observations et des conversations au hasard avec des gens, et nous a même valu des invitations dans les maisons des personnes rencontrées.
En dépit des circonstances désastreuses dans lesquelles il vit, nous avons rencontré en Irak un peuple particulièrement chaleureux, accueillant, hospitalier et nous en avons été profondément touchés. Un peuple dune grande dignité aussi
Pendant notre séjour, nous avons facilement pu constater la nature étouffante et répressive du régime irakien, en particulier par lomniprésence policière et militaire et par la peur évidente que les hommes et les femmes de ce pays ont de sexprimer concernant la politique intérieure. Mais nous avons choisi dès le départ de ne pas prioriser cet aspect, généralement beaucoup plus connu du public et souvent utilisé à des fins de propagande pour justifier bombardements et sanctions. Cest au peuple irakien quil revient, dabord et avant tout, de trouver des solutions à ces problèmes
Nous avons plutôt choisi de faire connaître les effets catastrophiques sur la population irakienne de cette guerre de bombardements et de sanctions qui dure depuis plus de 9 ans et qui nest pas encore finie. Dune part, parce que les grands médias télévisuels nont jamais rendu compte adéquatement de la destruction sauvage causée par les bombardements de 1991. Ils ont rarement parlé des effets désastreux des sanctions et du caractère insuffisant et cynique du programme « pétrole contre nourriture ». Tout cela demeure largement inconnu du public québécois et canadien. Dautre part, les malheurs et la souffrance causés par cette guerre et par les sanctions engagent essentiellement notre responsabilité, puisquils sont le résultat direct de politiques internationales auxquelles le gouvernement canadien souscrit et participe activement depuis le début, comme allié indéfectible des États-Unis dAmérique.
Les pages qui suivent décrivent dans un certain détail ce que nous avons vu. Nous avons inclus une section importante de mise en contexte, car elle permet de mieux cerner non seulement les effets des sanctions, mais aussi le sens quelles ont pour les victimes. Un effort dempathie nous est demandé pour comprendre, sans cependant abandonner notre sens critique.
II. LE CONTEXTE HISTORIQUE, POLITIQUE, SOCIAL ET RELIGIEUX
L'Irak sest construit autour de la Mésopotamie, cette terre fertile qui se situe entre le Tigre et lEuphrate et qui est entourée dune région désertique. Il partage des frontières avec le Koweït et l'Arabie Saoudite au sud, la Jordanie et la Syrie à l'ouest, la Turquie au nord et l'Iran à l'est. Il a un accès limité au Golfe arabo-persique. LIrak est un pays relativement riche, qui possède les facteurs principaux du développement : richesses naturelles (mines, pétrole, agriculture et eau), ressources humaines développées, et capital provenant principalement du pétrole. En ce sens, il est unique parmi les pays arabes qui possèdent chacun lun ou lautre de ces facteurs, mais pas tous. Ces éléments expliquent en partie que plusieurs civilisations aient pris naissance ou se soient épanouies sur cette terre, un fait dont les Irakiens et les Irakiennes sont bien conscients et dont ils tirent une certaine fierté et un sentiment de dignité.
Le Royaume d'Irak est créé en 1921 suite aux accords Sykes-Picot de 1916. Le 14 juillet 1958, un coup dÉtat sanglant décime la monarchie et la république est proclamée. Deux autres coups dÉtat, en 1963 puis en 1968, marquent la nouvelle république. L'Irak quitte le pacte de Bagdad (pro-occidental) et amorce un rapprochement avec l'URSS. Dès 1961, le gouvernement revendique le Koweït comme faisant partie de lIrak, mais finit par reculer en 1963 devant la position unanime des pays membres de la Ligue arabe, qui ne veulent pas ouvrir le dossier des frontières héritées du colonialisme.
Le régime issu du coup dÉtat de 1968 met en place un État providence et une économie étatique centralisée. Dès 1970, une réforme agraire est entreprise, incluant un programme de redistribution des terres et un programme de formation de coopératives. Ces mesures entraînent une redistribution importante de la richesse et des revenus, et le système devient plus égalitaire. Les services médicaux sont développés et deviennent gratuits. Léducation est étendue aux zones rurales, et le nombre détudiants et détudiantes augmente à tous les niveaux déducation, du primaire à luniversité.
Les femmes ont bénéficié de ces orientations de façon spécifique. Dabord, la modernisation de léconomie a accéléré lurbanisation, entraînant des possibilités de travail et déducation plus grandes pour les femmes, une transition de la famille traditionnelle, étendue, patriarcale vers la famille nucléaire, ainsi que des modes de comportement offrant une plus grande autonomie pour les femmes. Cest dans les milieux urbains que les femmes ont surtout bénéficié de ces changements. Dautre part, des amendements au Code du statut personnel ont libéralisé quelque peu la loi, permettant aux femmes de se soustraire plus facilement à lautorité traditionnelle des hommes de la famille dans le choix du conjoint, dans le travail, et éventuellement dans le divorce. Enfin, une certaine participation politique des femmes a été encouragée, dans les limites très strictes de ce qui est permis, c'est-à-dire sans contestation aucune du parti au pouvoir ou des dirigeants. Dans les régions rurales traditionnelles, ces réformes nont eu quun impact marginal, sauf pour lalphabétisation des femmes qui est devenue la plus élevée de tous les pays arabes.
Parallèlement à ces réformes sociales, un programme de nationalisation des ressources naturelles est décrété. Les compagnies pétrolières sont nationalisées, ce qui permet au gouvernement de contrôler la production ainsi que lexportation du pétrole, et de financer ainsi ses programmes sociaux.
Durant les années soixante-dix et quatre-vingt, le régime sengage dans une voie de militarisation croissante. Larmée est renforcée en nombre et en équipement, de même que les divers services de sécurité et de coercition interne. Une grande proportion dhommes est mobilisée, en particulier depuis 1980, lorsque le régime déclenche sa guerre contre lIran. Si les équipements lourds proviennent de lUnion soviétique, une partie importante de larmement provient aussi des pays occidentaux, qui voient en Saddam Hussein un rempart contre la révolution islamiste en Iran, et qui appuient les efforts de guerre de lIrak.
Le régime tire sa légitimité dun discours révolutionnaire et des programmes sociaux mis en place (surtout en santé et en éducation). Cette «carotte» saccompagne dun bâton : un système de surveillance très étroite de la société civile, fondé dune part sur les cadres du parti Baath, et dautre part sur les multiples services de la police secrète. Un système de conscription dans ces services de surveillance et de délation est mis en place. Lallégeance totale et aveugle au régime est obligatoire, et elle est récompensée par des bénéfices matériels et par un accès privilégié à certaines ressources. Pour les jeunes, être membre du parti ouvre des possibilités dobtenir des bourses détudes à létranger, des voyages officiels, une ascension dans la hiérarchie du parti ainsi quune mobilité sociale vers le haut.
Une des conséquences de cette situation est que la société civile est étouffée et que les associations non gouvernementales ne peuvent se développer. Lopposition politique est réprimée de façon sanglante. La torture est monnaie courante pour les dissidents, et les assassinats et liquidations politiques en prison ou à lextérieur deviennent le sort attendu pour les activistes des partis autres que le Baath ainsi que pour les dissidents à lintérieur même de ce dernier. Nous sommes donc devant un régime de terreur. La seule zone dautonomie, très relative, reste celle des structures religieuses et claniques. Ceci explique que lorsque le régime sera sérieusement contesté en 1991, cette contestation prendra la forme de révoltes ethnico-religieuses : les chiites au Sud, les Kurdes au Nord.
Lopposition politique
En ce moment, on peut distinguer trois types de partis dopposition:
La description qui suit, à cause de sa brièveté, sera nécessairement schématique et sans doute un peu réductrice.
Dans le premier groupe
Dans le deuxième groupe, on retrouve surtout lAssemblée suprême de la révolution islamique en Irak, qui est très proche de Téhéran, et le Parti Al Dawa, qui occupe une place importante dans lopposition irakienne et dont plusieurs dirigeants ont été assassinés par le régime baathiste. Un autre parti islamiste, sunnite celui-là, est plus proche de Frères musulmans jordaniens; il sagit du Parti de la Libération islamique.
Le troisième groupe est constitué surtout du Parti communiste irakien, qui a une implantation historique en Irak et une base significative parmi les intellectuels. Il a été toléré par le régime baathiste quand ce dernier avait besoin dasseoir son pouvoir, mais il a été le plus souvent déclaré illégal, et ses membres emprisonnés, torturés et assassinés. Dautres petits partis font aussi partie de ce groupe.
On pourrait associer à ce dernier groupe certaines organisations qui ne sont pas des partis politiques et qui fondent leur opposition sur un attachement aux principes universels des droits humains. Au Canada, il existe au moins une organisation de ce type, la Iraqi Society of Human Rights-Canada.
Plusieurs coalitions ont vu le jour, mais certaines des plus visibles (dont le Congrès national irakien) ont perdu une part de leur crédibilité à cause de leur subordination aux initiatives et aux priorités américaines et de leur dépendance du soutien financier de Washington. Par contre, certains partis ont gardé leurs distances par rapport à ladministration américaine.
Au Canada, le Canadian-Iraqi Coordination Committee (CICC) est une coalition qui regroupe plusieurs partis irakiens et qui est active surtout en Ontario. Dautres groupes existent aussi, mais leur travail, même en exil, est difficile à cause de la répression qui peut sabattre sur leurs membres en Irak ainsi que sur les parents et les proches des membres qui résident à létranger.
En général, les groupes irakiens dopposition critiquent les sanctions économiques contre lIrak et demandent leur retrait immédiat, mais ils estiment que cette demande doit aussi être accompagnée dune condamnation du régime de Saddam Hussein pour sa répression sanglante et pour sa responsabilité dans le conflit actuel. Par ailleurs, à cause sans doute de la répression très dure quils ont subie et des fausses promesses de la part du régime, certains des partis dopposition ont développé une méfiance très grande envers les autres forces politiques, ce qui rend leurs efforts de regroupement très difficiles.
La composition de la société irakienne
Il est commun de constater que la société irakienne est composée de plusieurs groupes sociaux et de la diviser en fonction de clivages ethno-confessionnels : les Arabes sunnites, les chiites (arabes aussi), les Kurdes qui ont leur propre langue et leur culture, quils partagent avec dautres Kurdes en Iran et en Turquie, et enfin, une petite minorité de chrétiens irakiens. La communauté juive irakienne, une communauté autochtone qui a de profondes racines en Irak, était présente jusquà la moitié du siècle. Mais elle a émigré dans sa presque totalité et il nen reste, au plus, quune centaine de familles, surtout des personnes âgées.
La majorité des musulmans dIrak sont chiites. À travers le monde, la grande masse des musulmans est sunnite, (mot arabe qui désigne ce qui se rattache à la tradition), tandis qu'à peu près un dixième est affilié à des branches autres. La famille non-sunnite la plus importante est constituée par les chiites, qui sont les partisans de lImam Ali (gendre du Prophète Mohamed et 4e Calife, qui fut assassiné) et que lon trouve surtout en Irak et en Iran.
La Constitution de la République d'Irak est d'inspiration laïque et fondée sur la séparation de la religion et de l'État. La religion nationale est cependant lislam, qui regroupe 95% de la population du pays. De ce nombre, 65% sont chiites et se retrouvent majoritairement dans le sud du pays. Quant aux 35% de sunnites, ils se retrouvent surtout dans la capitale et dans la région du centre du pays, et ils sont dominants au sein du gouvernement depuis lindépendance. Il y eut dimportants mouvements dinsurrection chiites face au pouvoir central, entre autres au printemps 1991.
Sur l'ensemble d'une population de 24 millions d'habitants principalement de religion musulmane, les communautés chrétiennes représentent environ 5%. Ces communautés se répartissent en divers rites : chaldéen, nestorien et syriaque (les groupes les plus nombreux) mais aussi melkite et arménien, qui sont tous des rites autochtones du Moyen-Orient et du Caucase. Certains chrétiens irakiens suivent le rite latin. L'Église réformée est aussi présente ainsi que des groupes évangélistes. Les communautés chrétiennes sont présentes principalement à Mossoul et à Bagdad, mais on en retrouve dans toutes les régions du pays. Elles peuvent exercer librement leur culte et travailler aux uvres sociales et pastorales de leurs communautés respectives. La liberté de culte des religions monothéistes fait partie intégrante de la Constitution irakienne.
La présence de l'Église catholique est très ancienne. Quoique très minoritaire, elle joue un rôle significatif dans la vie sociale et culturelle du pays; les femmes contribuent largement au dynamisme de cette communauté. S'étant retrouvés occasionnellement parmi des communautés religieuses chrétiennes au cours de la mission, des membres de la délégation ont pu constater leur amertume par rapport à la communauté internationale, leur désapprobation totale de l'embargo et de son cortège de sanctions qui ont stoppé le développement du pays et appauvri la population civile de façon quasi irréversible. C'est parmi la communauté chrétienne que l'on compte la plus grande proportion de départs pour l'exil.
Cependant, ce serait une erreur de considérer cette classification en fonction de lethnie ou de la religion comme étant la plus naturelle, ou ces groupes comme des entités homogènes. Dune part, des clivages (surtout économiques, ou de classe) divisent ces divers groupes, qui comportent des propriétaires fonciers, des élites urbaines et marchandes, ainsi que des paysans pauvres et des classes urbaines défavorisées. Dautre part, lhistoire récente a vu ces groupes sunir dans la lutte contre le colonialisme britannique. Lédification, après lindépendance, dun État providence dorientation laïque a favorisé un vrai processus dintégration nationale, avec ses moments de succès. Les échecs du régime, dus à des facteurs externes et internes, en particulier au régime de terreur qui a été instauré, ont signifié la résurgence des identités ethniques et religieuses, menaçant sérieusement lintégrité nationale. Ceci se manifeste aujourdhui par le fait que plusieurs mouvements politiques épousent les contours de communautés ethniques ou religieuses.
La guerre contre lIran
Il existe une longue histoire de conflits entre lIran et lIrak, mais durant les années soixante-dix deux éléments importants constituent des sources de tensions. Dune part, il y a un conflit frontalier relatif au contrôle du Chatt Al-Arab (voie maritime se situant à lembouchure du Tigre et de lEuphrate) et de certaines îles sy trouvant. Ce conflit sest soldé par un accord signé en 1975 entre le gouvernement du Shah dIran et le gouvernement irakien. LIrak a fait des concessions territoriales en échange dun arrêt de lappui iranien aux groupes kurdes dans le Nord du pays, appui qui constituait la deuxième source de tensions.
Avec la révolution islamique en Iran en 1979, ces sources de conflit sintensifient : les groupes kurdes traversent plus facilement la frontière irano-irakienne pour faire des attaques en sol irakien puis se réfugier en territoire iranien. De plus, les chiites du Sud se sentent interpellés par la révolution islamique, ajoutant ainsi une dimension idéologique aux relations tendues entre les deux pays. Mais les bouleversements internes causés par la révolution islamique en Iran donnent limpression au régime de Saddam Hussein que le rapport de force est momentanément en sa faveur, et quune attaque contre lIran lui permettrait à la fois de restituer les frontières concédées en 1975, de mettre fin à lappui donné aux groupes dissidents chiites et kurdes, et détablir sa supériorité au niveau régional. Plusieurs analystes affirment aussi que les services secrets américains auraient encouragé Saddam Hussein à déclencher une attaque contre lIran, en lui faisant miroiter une victoire facile compte tenu de la désorganisation de larmée iranienne. Cette dernière vivait une crise dallégeance, sa fidélité passée au Shah déchu la rendant suspecte aux yeux de la révolution islamique. Il faut dire aussi que les monarchies pétrolières se sentaient menacées par cette révolution. En dautres termes, une convergence dintérêts entre les puissances occidentales, les monarchies pétrolières et le régime de Saddam Hussein a amené ce dernier à déclencher cette guerre, se sentant dune part en position de force, et dautre part appuyé tant par les Occidentaux que par les régimes arabes dont il se présentait comme le défenseur face à « lagresseur perse » (cest presque dans ces termes que certains officiels irakiens nous ont présenté cette période de lhistoire).
Cette guerre a duré près de huit ans et a fait plus dun million de victimes, surtout du côté iranien. Elle a aussi constitué un poids important sur léconomie irakienne. Le gouvernement de Saddam Hussein espérait bien que les pays arabes épongeraient la dette quil avait ainsi accumulée. Au contraire, il fut lobjet de pressions économiques qui le mettaient en péril, étant tenu de maintenir ses programmes sociaux pour garantir sa légitimité, et faisant face à une baisse du prix du pétrole, combinée à une politique de pompage du pétrole irakien par le Koweït, sur une zone frontalière contestée (les champs de Rumeïlah). Cest dans ce contexte que la tension avec le Koweït se mit à monter.
Linvasion du Koweït et les sanctions
Linvasion du Koweït le 2 août 1990 était donc laboutissement dune période de tensions et de négociations rompues. Les mobiles de linvasion étaient surtout dordre économique, mais la dimension géostratégique nen était pas absente (rappelons-nous que lIrak avait revendiqué le territoire du Koweït depuis 1961). Cependant, Saddam Hussein avait mal calculé la réaction internationale, et surtout celle des autres pays arabes. Il avait peut-être été un peu « aidé » dans cette erreur. On connaît à présent la célèbre phrase lâchée par April Glaspie, lambassadrice américaine en Irak, quelques jours avant linvasion : « les États-Unis ne sont pas concernés par un conflit entre deux États arabes; nous navons pas de pacte de défense avec le Koweït », avait-elle dit. Saddam Hussein a interprété cela comme un feu vert pour envahir tout le Koweït. Certains analystes affirment que cette tactique avait pour but de pousser Saddam Hussein à attaquer le Koweït, ce qui fournirait ensuite lalibi parfait pour la destruction du potentiel militaire de ce pays et pour justifier une présence militaire accrue sur le territoire des monarchies pétrolières, alliées des États-Unis.
Le régime irakien entreprend donc linvasion du Koweït le 2 août 1990. Le Conseil de sécurité de lONU le somme de se retirer immédiatement (résolution 660 du 2 août 1990) et décrète le gel des avoirs irakiens dans la plupart des pays occidentaux. Le 6 août, un embargo commercial, financier et militaire est décrété par le Conseil de sécurité (résolution 661), pour forcer lIrak à se retirer du Koweït. LIrak refusant de se retirer, le Conseil de sécurité donne un ultimatum : la résolution 678 du 29 novembre fixe la date du 15 janvier pour que lIrak applique toutes les résolutions de lONU, y compris le retrait du Koweït, sans quoi tous les moyens nécessaires seraient utilisés.
En janvier 1991, après les refus répétés de lIrak de se retirer du Koweït en dépit des nombreux appels en ce sens, et après dultimes efforts de la part de la France pour trouver une solution diplomatique, efforts bloqués par les États-Unis et la Grande Bretagne, une coalition de 26 pays sous commandement américain, comprenant un grand nombre de pays occidentaux dont le Canada et la majorité des pays arabes, lance une guerre contre lIrak.
Le coût humain de cette guerre a été énorme. « Près de 100 000 morts, 5 millions de personnes déplacées, et 200 milliards de dommages matériels font de ce conflit lévénement le plus dévastateur au Moyen-Orient depuis la première guerre mondiale »
Durant les 6 semaines de la guerre, une grande partie des infrastructures de lIrak (en particulier des infrastructures sanitaires) ont été complètement détruites. Le conflit a aussi causé une catastrophe économique et sociale en Jordanie. En effet, en plus de voir son commerce perturbé, ce pays a dû absorber une grande partie des réfugiés, mais navait pas reçu daide car il avait refusé dappuyer la solution militaire.
La débandade de larmée irakienne au Sud a permis entre autres de mettre la main sur des tonnes de documents darchives qui détaillaient la répression irakienne, le traitement réservé aux prisonniers dopinion et à leurs familles, ainsi que les méthodes de conscription (viols suivis de chantage, coercitions diverses) des citoyennes et des citoyens dans les services secrets de renseignement irakiens.
Les combats cessent le 28 février 1991, et un accord de cessez-le feu provisoire est signé le 3 mars. Le 3 avril, un cessez-le feu définitif est décrété (résolution 687). Dans la même résolution, le Conseil de sécurité impose à lIrak déliminer toutes ses armes de destruction massive et établit la Commission spéciale des Nations unies chargée du désarmement, lUNSCOM.
Au printemps de 1991, deux insurrections (au Nord, des Kurdes, au Sud, des chiites) sont réprimées dans le sang, à la grande déception des insurgés à qui Washington avait fait miroiter un appui sérieux qui ne sest pas matérialisé.
Le 20 décembre 1991, lONU décide de maintenir lembargo total établi par la résolution 661, embargo qui se poursuit jusquà présent mais qui est sujet, depuis 1996, au programme « pétrole contre nourriture » dont nous parlerons plus loin.