5.3.1. COMMUNISME ET DEMOCRATIE
![]() 5.3.1.1. La mystification démocratique ne pouvait se révéler dans toute sa réalité qu'au moment où se formait la solution historique, la formation du prolétariat en tant que classe : le parti communiste, l'affirmation d'une nouvelle communauté qui soit la véritable Gemeinwesen humaine. ![]() En conséquence, avant d'envisager les différents rapports entre prolétariat et démocratie, il est important de définir le cheminement théorique qui aboutit à l'affirmation de la nouvelle Gemeinwesen et donc à la négation positive de la démocratie. ![]() Dans une première phase, Marx lutta pour l'autonomie de l'Etat pour son abstraction, donc pour sa manifestation politique. La philosophie, le parti philosophique doit s'occuper de cette politique, ce parti doit aider à émanciper la politique et l'Etat de la tutelle théologique ( la philosophie n'est pas en dehors du monde ); « Seule l'ignorance la plus crasse peut soutenir que cette théorie, celle de l'autonomisation du concept d'Etat - est une invention actuelle des nouveaux philosophes. » ![]() Cette autonomisation, toutes les sciences l'ont effectuée, mais la philosophie doit, de plus, interpréter « les droits de l'homme et demander que l'Etat soit l'Etat de la nature humaine. » De plus « un Etat qui n'est pas la réalisation de la liberté rationnelle est un mauvais Etat. » En faisant cela on tend à pousser l'action de la bourgeoisie jusque dans ses conséquences les plus radicales et on prépare le terrain à la véritable critique. ![]() D'autre part, si la religion est le sommaire des luttes théoriques de l'humanité, l'Etat est le sommaire des luttes pratiques. Rendre l'Etat indépendant c'est permettre une certaine émancipation de la pratique. Voilà pourquoi dans un premier temps la démocratie se présentera en tant que solution vis-à-vis de la religion et vis-à-vis de l'Etat. ![]() 5.3.1.2. Ce faisant Marx rencontre l'oeuvre de Hegel qui théorise l'abstraction de l'Etat et l'abstraie réellement du monde social. C'est un pas en avant. Cela correspond à la réalité du mouvement bourgeois. La bourgeoisie a fait de l'Etat une abstraction pour mieux le conquérir. Il faut cette abstraction pour avoir le véritable Etat ( « Question juive » ). ![]() Ensuite au sein de cet Etat, lutte pour le conquérir ( lui donner un contenu ), car il était la réalisation de l'homme abstrait. ![]() Cependant Hegel ne résoud les contradictions individu-universel, constitution-peuple, qu'avec un sophisme. La véritable solution c'est la démocratie. Cf. Analyse de la « Critique de la philosophie de l'Etat de Hegel » à la fin de cette étude. ![]() 5.3.1.3. La tâche est donc de réaliser la démocratie. ![]() « Le sentiment de la dignité personnelle, la liberté, il fallait d'abord les réveiller dans la poitrine des hommes. Ce sentiment seul qui, avec les grecs, disparaît de ce monde et, après le christianisme, s'évanouit dans la vapeur bleue du ciel, peut re-transformer la société en une communauté d'hommes en vue de leurs fins les plus élevées, en faire un Etat démocratique. » Marx à Ruge in Oeuvres philosophiques, Ed. Costes, t.1, ( pp. 338-339 ) ![]() « Une fois qu'il est parvenu au monde animal politique, il n'y a plus d'autre réaction que d'aller jusqu'à lui, et plus d'autre Vordringen que d'en abandonner la base et de passer au monde humain de la démocratie. » ( idem. p. 341 ) ( 84 ) ![]() 5.3.1.4. Le socialisme apparaît comme unilatéral : ![]() « Et tout le principe socialiste n'est à son tour que le seul côté qui concerne la réalité du véritable être humain. » ![]() « Ce communisme n'est lui-même qu'une manifestation particulière du principe humaniste, infesté de son contraire la propriété privée. » ![]() On doit tenir compte que ces lettres à Ruge sont écrites après l'étude non terminée du point de vue de l'exposition de la philosophie de l'Etat de Hegel ( la première est avant l'étude, la deuxième postérieure ). Voilà pourquoi on sent le renversement dans la deuxième : la philosophie doit faire une critique sans prendre de considération aucune de tout ce qui existe; elle ne doit pas donner de solutions toutes faites. Il faut se mettre sur le terrain qui a engendré la philosophie et non rester au niveau de cette dernière. ![]() « La raison a toujours existé, pas toujours, seulement, sous une forme rationnelle. Le critique peut ainsi s'attacher à chaque forme de conscience théorique et pratique et développer à partir des formes particulières de l'effectivité ( Wirklichkeit ) existante, la véritable effectivité en tant que celle-ci est le devoir ( Sollen ) et le but final de celle-là. En ce qui concerne la vie effective, l'Etat politique, même là où il n'est pas rempli des exigences socialistes, contient directement, sous toutes ses formes modernes, les exigences de la raison. Et il en reste là. Il suppose partout la raison comme réalisée. Mais partout il tombe dans la contradiction entre sa détermination ( Bestimmung ) idéale et ses présuppositions réelles. » ![]() « C'est à partir de ce conflit entre l'Etat politique et lui-même que la vérité sociale peut se développer partout. De même que la religion est le sommaire des luttes théoriques de l'humanité, l'Etat politique est le sommaire des luttes pratiques. L'Etat politique exprime ainsi, à l'intérieur de sa forme, toutes les luttes sociales, tous les besoins et toutes les vérités sociales su specie republicae. ![]() ( ... ) Nous lui montrons seulement pourquoi il lutte en réalité et la conscience est une chose qu'il ( le monde, n.d.r ) doit s'approprier, même s'il ne le veut pas. » Marx à Ruge, septembre 1843 ![]() A noter : l'accent mis sur la nécessité de partir des conditions réelles; l'absence de conscience venant de l'extérieur. ![]() « La réforme de la conscience consiste seulement à faire en sorte que le monde s'aperçoive de sa conscience ( dass man die Welt ihr Bewusstsein innenwerden lässt ) à le sortir du rêve qu'il fait sur lui-même ( dass man sie aus dem Traum über isch selbst aufweckt ) à lui rendre claires ses propres actions. Tout notre but ne peut consister, comme c'est d'ailleurs le cas dans la critique de la religion de Feuerbach, qu'à donner une forme humaine consciente aux questions religieuses et politiques. » ![]() « On montrera enfin que l'humanité ne commence aucun nouveau travail, mais achève avec conscience son ancien travail. » ![]() C'est un comportement anti-démocratique puisqu'il abolit la dualité et donc la médiation nécessaire pour reconstituer l'unité ( délégation des pouvoirs, représentation parlementaire apparaissent comme équivalents généraux ); cependant la conscience est potentielle et non en acte. ![]() 5.3.1.5. Nous n'en sommes qu'au renversement du mode d'appréhension de la réalité sociale : moment de la généralisation. C'est la négation non positive de la société bourgeoise. La démocratie est vue comme contenant en elle une contradiction, une non-vérité; la liberté politique est un semblant de liberté, la pure forme de l'esclavage. D'où la vraie liberté, la vraie égalité, c'est le communisme. Autrement dit le communisme sera la réalisation de la démocratie véritable ( Cf. « Progrès de la réforme sociale sur la continent », Engels, 1843 ). ![]() Le Communisme est donc la réalisation de la démocratie. En même temps un argument politique est ici avancé : nous réalisons ce que vous prétendez vouloir effectuer; votre mouvement est donc dépassé, place au socialisme. D'où : ![]() « La démocratie c'est-à-dire aujourd'hui le communisme... » ![]() « Tout le mouvement européen d'aujourd'hui n'est que le deuxième acte de la révolution, que la préparation pour la dénouement du drame qui commença à Paris en 1789 et a maintenant toute l'Europe pour scène. » Engels, « La fête des nations à Londres », fin 1845. ![]() Ceci se comprend : on entrevoyait, à l'époque, une longue période entre capitalisme et communisme; il fallait la dictature du prolétariat pour établir une nouvelle organisation de la société. La démocratie pouvait encore être réclamée; le communisme ne s'imposait pas de façon précise. Cependant, Engels, dès ce moment-là est contre la nation. « Seuls les prolétaires peuvent détruire les nationalités; le prolétariat mûr seul peut faire fraterniser les différentes nations. » Werke, t.1, ( p. 614 ). ![]() Mais ce qu'il y a de plus important c'est que la révolution communiste est encore vue comme prolongement, comme complément de celle de 1789; et là c'est le terrain même où s'enlisera le blanquisme. Marx aussi aura à un moment cette position ( Cf. article sur K. Heinzen ). Nous pouvons dire que depuis c'est la différenciation entre la révolution bourgeoise et la révolution prolétarienne communiste qui s'est opérée; au fond c'est seulement maintenant que ceci s'est effectué et que la révolution a toutes ses chances. La coupure avec la révolution de 89 dut se faire sur tous les plans; elle s'effectua pour la classe de façon nette dans la pratique en 1848 et surtout en 1871. La contre-révolution ( et ce surtout en ce qui concerne la théorie ) réinstalla la confusion ( cf. le cas de la France où la secousse de la révolution russe ne fit finalement que réactualiser les révolutionnaires de la période de 89-95 ( cela n'alla pas au delà de Babeuf ). ![]() 5.3.1.6. La rupture avec la démocratie s'opère avec « Pour la critique de la philosophie du droit de Hegel » où pour la première fois est affirmé de façon explosive, en tant que négation absolue, le prolétariat classe qui ne peut faire qu'une révolution radicale, universelle, à un titre humain. ![]() « La philosophie ne peut se réaliser sans la suppression du prolétariat, le prolétariat ne peut se supprimer sans la réalisation de la philosophie. » ![]() Par là se termine la critique à la philosophie; le terrain de l'étude, de la recherche est totalement déplacé. ![]() 5.3.1.7. Marx était en ce qui concerne la critique au stade de Feuerbach; il faisait de l'homme une objectivité sensible : « Hegel part ici de l'Etat et fait de l'homme l'Etat subjective, la démocratie part de l'homme et fait de l'Etat l'homme objectivé. » [ ?] Cette objectivité sensible peut encore avoir besoin d'un Etat qui a bien entendu une constitution où l'homme est le principe. Il a encore besoin d'une forme d'organisation. » En revanche dans les « Notes critiques marginales... » Marx envisage l'homme comme une activité sensible et la forme d'organisation est l'être humain, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de problème d'organisation : « L'être humain est la véritable Gemeinwesen de l'homme. » ![]() Dès lors la démocratie est réellement dépassée puisque le sont les données de l'individu et de l'Etat et qu'à la place on a l'homme social et la Gemeinwesen ( ce qui n'implique pas une substitution au sens chimique du terme ). Ces deux derniers éléments ne constituent pas un nouveau dualisme parce que l'homme social pose directement la Gemeinwesen et celle-ci l'homme social. ![]() 5.3.1.8. Dans « Pour la question juive » on trouve la critique virulente de la société bourgeoisie, de la démocratie et de son corollaire l'émancipation politique. ![]() « L'émancipation politique est en effet un grand progrès. Elle n'est pas, il est vrai, la dernière forme de l'émancipation humaine en général, mais elle est la dernière forme de l'émancipation à l'intérieur de l'ordre mondial en vigueur. » ![]() Il dénonce violemment la supercherie des droits de l'homme : ![]() « La création imaginaire, le postulat du christianisme, la souveraineté de l'homme, mais en tant qu'être étranger et différent de l'homme réel, tout cela est dans la démocratie, la réalité sensible, présente, une maxime du monde profane. » ![]() On a la mise en évidence de la coupure, de la dichotomie absolue homme-citoyen donc le parachèvement de l'abstraction de l'homme. L'homme en tant qu'homme est un pur esprit, tandis que l'homme réel est le citoyen soumis aux impératifs de la société bourgeoise, puis de la société capitaliste. ![]() « Le droit de liberté repose non sur l'union de l'homme avec l'homme mais plutôt sur la séparation de l'homme avec l'homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité, limité à lui-même. » « La vie politique n'est qu'un simple moyen dont le but est la vie de la société bourgeoise. » ![]() La démocratie est la forme parachevée du dualisme, mais d'un dualisme pratique; c'est la réalisation pratique de la religion. ![]() 5.3.1.9. Avec les « Manuscrits de 1844 » la rupture exprimée dans les oeuvres antérieures est définitivement fondée par la mise en évidence du communisme dissolution des antique énigmes et négation positive de la démocratie. En effet, ils sont la première rédaction du « Capital »; ils montrent tout le mouvement économique comme fondant les différents moments de l'aliénation de l'homme; on y trouve l'indication que la démocratie est expression de cette aliénation, l'essai de la faire supporter, de la concilier; pour ce faire elle l'englobe mais ne la détruit pas ( l'aliénation est liée à un dualisme comme la démocratie ). ![]() 5.3.1.10. A la même époque, Engels : ![]() « Mais la simple démocratie n'est pas capable de guérir le mal social. L'égalité démocratique est une chimère, le combat des pauvres contre les riches ne peut être livré sur le terrain de la démocratie ou de la politique en général. Aussi ce stade est donc encore un passage, le dernier moyen politique qui est encore à essayer et d'où doit se développer un nouvel élément, un principe qui dépasse toute nature politique. ![]() Ce principe c'est le socialisme, » ![]() Cependant il est à noter qu'il dit qu'il est encore à essayer, ce qui implique une possibilité d'utilisation de la démocratie. Et c'est sur ce terrain qu'on retrouvera la démocratie et que le mouvement prolétarien s'enlisera d'ailleurs. ![]() 5.3.1.11. Dans la Sainte-famille est réaffirmé de façon plus catégorique que le sujet de la transformation est le prolétariat. ![]() « Si les auteurs socialistes attribuent au prolétariat ce rôle mondial, ce n'est pas du tout, comme la critique affecte de le croire, parce qu'ils considèrent les prolétaires comme des dieux. C´est plutôt le contraire. Dans le prolétariat pleinement développé, il est fait abstraction de toute humanité; même de l'apparence de l'humanité; dans les conditions d'existence du prolétariat se trouvent condensées, sous leur forme la plus inhumaine toutes les conditions d'existence de la société actuelle; l'homme s'est perdu lui-même, mais il a, en même temps, non seulement acquis la conscience théorique de cette perte, il a été contraint directement, par la nécessité désormais inéluctable, impossible à pallier, absolument impérieuse - par l'expression pratique de la nécessité - à se révolter contre cette inhumanité : et c'est de tout cela que le prolétariat peut et doit s'affranchir lui-même. Mais il ne peut s'affranchir lui-même, sans supprimer ses propres conditions d'existence. Il ne peut supprimer ses propres conditions d'existence, sans supprimer toutes les conditions d'existence inhumaine de la société actuelle qui se condensent dans sa situation. Ce n'est pas en vain qu'il passe par l'école rude, mais fortifiante du travail. il ne s'agit pas de savoir ce que tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se propose momentanément comme but. Il s'agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu'il doit historiquement faire conformément à son être. Son but et son action lui sont traces, de manière tangible et irrévocable, dans toute l'organisation de la société bourgeoise actuelle. » ( Ed. Costes, pp. 62-63 ) ![]() De nouveau le dualisme est condamné. ![]() « Ce rapport ( esprit-masse, n.d.r ) découvert par M.Bruno, n'est en effet rien d'autre que le parachèvement critique et caricatural de la théorie historique de Hegel qui de son côté n'est que l'expression spéculative du dogme germanochrétien de l'opposition de l'esprit et de la matière, du dieu et du monde. Cette opposition s'exprime en effet dans l'histoire sous la forme suivante : quelques individus élus s'opposent en tant qu'esprit actif au reste de l'humanité considérée comme la masse sans esprit, la matière. » ( t. II, p. 150 ) ![]() « On démontra que la reconnaissance des droits de l'homme par l'Etat moderne n'a pas d'autre signification que la reconnaissance de l'esclavage antique. La base de l'Etat antique c'était l'esclavage; la base de l'Etat moderne, c'est la société bourgeoise, c'est-à-dire l'homme, indépendant rattaché simplement aux autres hommes par le lien de l'intérêt prive et de l'inconsciente nécessité naturelle, l'esclavage du travail utilitaire, de ses propres besoins et des besoins égoïstes d'autrui. Cette base naturelle, l'Etat moderne l'a reconnue comme telle dans les, droits naturels de l'homme. » ( p. 202 ) ![]() « Mais l'esclavage de la société bourgeoise est, en apparence, l'indépendance achevée de l'individu pour qui le mouvement effréné, libéré des entraves générales et des limitations imposées par l'homme, des éléments vitaux dont cri l'a dépouillé, la propriété par exemple, l'industrie, la religion, etc., est la manifestation de sa propre liberté, alors que ce n'est en réalité que l'expression de son asservissement absolu et de la perte de son caractère humain. Ici, le privilège a été remplacé par le droit. » ( II. p. 208 ) ![]() Donc mystification totale. Et, ici, c'est le lieu de préciser que mystification indique un processus dont le résultat est le fétiche, comme Marx le montre de façon claire et nette dans « Pour la critique de l'économie politique » et dans « Le capital ». ![]() D'autre part Marx rappelle qu'avec l'Etat bourgeois finit la politique. ![]() « Dans l'Etat moderne développé, c'est tout le contraire. L'Etat déclare que la religion ainsi que les autres éléments de la vie bourgeoise n'ont commencé à exister dans leur pleine étendue que le jour où il les a déclarés non politiques et les a abandonnés à eux-mêmes. La désagrégation de son existence politique, tout comme, par exemple, la désagrégation de la religion par la suppression de l'Eglise d'Etat, cette proclamation de sa mort civique, a précisément comme corrélatif sa vie la plus puissante, qui dès lors, obéit tranquillement à ses propres lois et déploie toute la largeur de son existence. » ( pp. 209-210 ) ![]() Ceci rappelle l'affirmation de la question juive et pose les données de la démocratie sociale ( cf. Thèses sur la démocratie in no. 6, série I ) ![]() 5.3.1.12. Avec l'Idéologie allemande l'affirmation centrale est toujours présente et elle est fondée sur une étude historique, c'est-à-dire à travers la succession des rapports sociaux depuis la préhistoire. On a à la fois la reprise des Manuscrits de 1844, une première rédaction des formes, la préface de 1859 et une polémique féroce contre Stirner, Bauer, pour montrer que le communisme est dépassement de l'Etat. La question de la destruction de l'Etat a été en premier lieu posée par les communistes; que le communisme n'est pas la négation de l'individu sinon il ne serait rien d'autre que le capitalisme, mais qu'il sera le plein épanouissement de l'homme social et simultanément de la véritable Gemeinwesen. Le prolétariat est encore une fois présenté comme étant le seul sujet apte à conduire la transformation de la société. ![]() « Il s'ensuit que toutes les luttes à l'intérieur de l'Etat, la lutte entre la démocratie, l'aristocratie et la monarchie, la lutte pour le droit de vote, etc., en somme l'universel, ne sont que la forme illusoire sous lesquelles se font les luttes réelles des différentes classes entre elles ( ce dont les théoriciens allemands n'ont pas la moindre idée, bien que dans les Deutche französische Jahrbücher et dans la Sainte-famille on leur ait suffisamment indiqué le chemin ), et en outre que toute la classe qui aspire au pouvoir bien que sa domination conditionne comme c'est le cas pour le prolétariat, la suppression de toute la vieille forme de la société et de la domination en général et doive d'abord conquérir la puissance politique, pour représenter de nouveau son intérêt comme intérêt général, à quoi elle est contrainte au premier moment. » ![]() « Le communisme n'est pas pour nous un était qui doit être établi ni un idéal d'après lequel la réalité doit se comporter. Nous appelons communisme le mouvement réel qui supprime l'état de choses actuel. Les conditions de ce mouvement découlent de la présupposition actuellement existante. » ![]() « Le prolétariat ne peut donc exister qu'on fonction de l'histoire universelle, comme le communisme son action ne peut exister qu'en tant qu'existence « ressortissant à l'histoire universelle ». Existence ressortissant à l'histoire universelle c'est-à-dire existence des individus rattachés directement à l'histoire. » ![]() On doit noter que c'est dans l'Idéologie allemande ( 1845 - été 1846 ) que Marx et Engels anticipent peut-être le plus et ne décrivent pas le mouvement immédiat, ce qui est immédiatement possible. On y trouve la revendication de l'abolition du travail, l'exposé de la formation de la classe universelle, celui du rapport individu société décrit de façon plus concrète que dans les autres oeuvres de Marx, sans entrer en contradiction avec elles. Cette oeuvre clôt effectivement un cycle. Marx ne devient pas simplement Marx et à partir de là effectuerait son oeuvre réelle; c'est l'achèvement d'un cycle culminant avec l'arrivée de la révolution - et dont Misère de la philosophie est l'autre aspect apical - car il y a une anticipation que bien souvent on ne retrouvera plus dans l'oeuvre mûre de Marx et surtout dans celle d'Engels. Dans Le capital, par exemple, on trouve exprimé de la façon la plus précise le réformisme révolutionnaire de Marx, le développement des possibles en effectivités à un moment historique donné. Il n'y a pas de réelle anticipation. On ne peut pas dire que la description du socialisme inférieur en sait une puisque c'est un possible qui pouvait immédiatement s'effectuer. En revanche dans l'idéologie allemande, il y a réellement un saut révolutionnaire dans la perception du devenir social total. ![]() 5.3.1.13. Misère de la philosophie complète l'Idéologie allemande : rupture avec les théoriciens immédiats du socialisme, avec les glorificateurs du prolétariat, les partisans de la philosophie de la production et de l'exploitation; les opposants immédiats au capital etc., ( les socialistes ricardiens ). Il y a indication de la constitution du prolétariat en classe de façon non conceptuelle mais pour ainsi dire concrète, alors que l'Idéologie allemande cette classe est définie par sa fonction historique : détruire le capital et toute espèce de société de classes. On précise ici : la classe prolétarienne devra détruire le dualisme, « L'organisation des éléments révolutionnaires comme il suppose l'existence de toutes les forces productives qui pouvaient s'engendrer dans la vieille société. » ![]() « Est-ce à dire qu'après la chute de l'ancienne société il y aura une nouvelle domination de classe, se résumant à un nouveau pouvoir politique ? non. » ![]() « La condition d'affranchissement de la classe laborieuse c'est l'abolition de toute classe, de même que les conditions d'affranchissement du Tiers-état de l'ordre bourgeois fut l'abolition de tous les états, de tous les ordres. » ![]() « La classe laborieuse substitue dans le cours de son développement, à l'ancienne société civile une association qui excluera les classes et leur antagonisme, et il n'y aura plus de pouvoir politique proprement dit, puisque le pouvoir politique est précisément le résumé officiel de l'antagonisme dans la société civile. » ( p. 135 ) ![]() 5.3.1.14. A la veille donc de la révolution de 48, avant la publication du Manifeste du parti communiste, on a les positions fondamentales suivantes : ![]()
![]() « Si donc le prolétariat renverse la suprématie politique de la bourgeoisie, sa victoire ne sera que passagère, un simple facteur au service de la révolution bourgeoise même, tout comme en 1794, aussi longtemps que, dans le cours de l'histoire, c'est-à-dire dans son mouvement, ne se trouveront pas créées les conditions matérielles qui rendent nécessaires l'abrogation du mode de production bourgeois et par conséquent la chute définitive de la suprématie politique bourgeoise. La terreur ne devait donc servir en France qu'à faire disparaître comme par enchantement, sous ses terribles coups de marteau, les ruines féodales du territoire français. La bourgeoisie avec ses conceptions timorées et trop conciliantes, n'eût pas eu assez de plusieurs dizaines d'années pour achever cette besogne. L'intervention sanglante du peuple ne fit que lui préparer les voies. » ![]() 5.3.1.16. Ce n'est pas parce que la solution a été trouvée qu'elle peut devenir immédiatement effective. La solution est celle de l'opposition du prolétariat au capital saisie au moment où l'un et l'autre des protagonistes commencent à peine leur développement. C'est en ce sens justement que la théorie du prolétariat, le marxisme, anticipe et ceci était possible parce que coexistaient tous les éléments requis pour le faire : société féodale, restes de la communauté paysanne, ultimes vestiges de l'antique communauté, la bourgeoise démocrate et le prolétariat avec le communisme. ![]() Une fois cette solution indiquée, il pouvait sembler en effet que tout fut résolu. Or il était facile sur le plan théorique ( à partir des luttes prolétariennes antérieures et de celles en cours ) de se défaire de la démocratie, de monter qu'elle n'avait été nécessaire que pour une période déterminée de la vie de l'espèce, facile de révéler le dualisme qu'elle implique et donc son antinomie au communisme. Mais sur le plan de l'action se pose le problème du mouvement intermédiaire entre le moment où la théorie surgit et celui de sa réalisation effective; problème de la volonté : comment intervenir pour pouvoir accélérer le développement, favoriser l'épanouissement des conditions rendant le communisme possible. C'est là qu'on retrouve la question de la démocratie de son utilisation - qui semblait avoir été éliminée pour toujours. ![]() Mais d'autre part, on entre dans le processus même de la mystification démocratique : intervenir, opérer un acte volontaire pour essayer de favoriser le mouvement contenait en germe la possibilité de penser que c'était cela qui était déterminant ( la volonté de quelques uns ). D'autre part l'obtention de l'accord pour cette action c'est-à-dire la consultation des hommes pour l'accomplir allait apparaître comme essentielle alors que les décisions n'étaient possibles que dans un cadre bien déterminé et que les questions suggérées avec leurs solutions ( mystification non seulement dans la réponse mais déjà dans la question ) étaient suggérées par la classe dominante, elle-même déterminée par le mode de production. Car comme toujours l'élément intermédiaire s'autonomise : l'utilisation de la démocratie en vue de faciliter l'organisation unification de la classe, afin d'accélérer la domination du capital, devait parvenir au premier plan. ![]() Corrélativement se posait et se pose encore ne serait-ce que pour une compréhension de l'histoire de la classe, la nécessité de délimiter les bornes entres lesquelles l'utilisation de la démocratie est possible : utilisation soit à l'intérieur, soit à l'extérieur de la classe; dans quelles limites chaque fois celle-ci était envisagée, comment voulait-on l'utiliser. Cela ne peut être compris, même rétrospectivement, que si on clarifie les points suivants : 1. domination formelle et réelle du capital, 2. parti historique et parti formel, 3. tactique directe et indirecte, 4. question centrale du point de vue de la lutte révolutionnaire : la destruction de l'obstacle fondamental du féodalisme russe qui bloque le développement non seulement vers le communisme, mais même vers le capitalisme. On doit ajouter la question du réformisme révolutionnaire. ![]() Ce qui est important dans la domination formelle du capital c'est qu'à ce moment-là se réalise la politique, comme Marx l'avait affirmé, réalisation qui pose son dépassement. Le capital n'est pas la force dominante; il doit s'emparer de l'Etat et, par son procès de valorisation, transformer les antiques présuppositions en présuppositions capitalistes, dans cette lutte le prolétariat pourrait très bien lui aussi utiliser la démocratie comme nous le verrons ultérieurement et alors on pourrait même avoir la révolution pacifique, possibilité historique définitivement perdue à partir d'un certain moment donné. ![]() Dès lors que tout ce qui fonde la société est dépendant du, ou directement engendré par le capital, la politique n'existe plus de manière déterminante. Elle entre dans le folklore, comme un élément mystificateur de la représentation du capital. ![]() L'affirmation théorique globale du rôle du prolétariat dans l'histoire et de l'accession de l'humanité au communisme, représente le but du mouvement communiste, celui pour lequel les divers groupements ont lutté; tout cela constitue le parti dans sa large acceptation historique; au contraire le parti formel est celui qui est un produit direct de la société - des luttes qui s'y déroulent - à un moment donné; il exprime les possibilités qu'elle recèle et il lutte pour réaliser ce qu'il est possible de réaliser tout en gardant présente la possibilité d'une transcroissance éventuelle. ![]() Il est clair que le parti formel en élément duel du parti historique ne peut exister que dans la mesure où il y a certaines tâches intermédiaires à accomplir et ce d'autant plus que la bourgeoisie est faible, et que le mode de production féodal oppose une force de résistance puissante; mieux cela se pose dans la mesure où il faut réaliser, à la place de la bourgeoisie, les tâches qu'elles auraient dû accomplir. ![]() La stratégie est prévision des rapports de classe à un moment donné, lors de leur heurt futur, elle s'occupe donc des positions respectives des classes au moment immédiat et au moment du futur révolutionnaire; elle s'occupe des positions qu'il est possible de conquérir avant l'engagement; elle est prévisionnelle. En elle s'affirme le rôle irremplaçable de la théorie. La tactique s'occupe des règles de l'engagement quand celui-ci a commence; elle est dépendante de la stratégie. Car on peut se poser très tôt quelle peut être l'action qui puisse réellement accélérer un processus; ou quel développement des luttes qui sont absolument hors de notre contrôle peut avoir une issue favorable pour une intervention future; ex : la destruction du tsarisme lors d'un heurt entre une nation quelconque et la Russie. ![]() Il est évident qu'il y aura toujours une question de tactique mais celle-ci perd fondamentalement de l'importance à partir du moment où il n'y a plus de distinction possible entre tactique directe et tactique indirecte ( la première est en rapport avec la possibilité d'utiliser la démocratie - à l'intérieur comme à l'extérieur de la classe - la seconde est lutte directe pour le communisme ). ![]() |