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La mystification démocratique - suite


5.3.3. LA DÉMOCRATIE DURANT LA PÉRIODE DU PASSAGE DE LA DOMINATION FORMELLE À LA DOMINATION RÉELLE SUR LA SOCIÉTÉ : 1914 - 1945

Pour comprendre le passage à la domination réelle du capital sur la société il faut tenir compte d'un devenir important, celui de l´accession du prolétariat au stade de classe dominante sous forme mystifiée. Cela implique que c'est l'être immédiat du prolétariat qui fut ainsi porté à la domination, que c'est ainsi qu'il fut possible de nier tout élément de contestation de la part de cette classe. D'autre part, grâce à la généralisation du salariat, il y a tendance à la disparition de la structure de classe proprement dite; cela conduit à établir une hiérarchie afin de pouvoir mettre en évidence la classe ou bien alors on est conduit à dire que la classe dominée est extrêmement vaste et la classe dominante fort réduite. Simultanément on a la démonstration que le prolétariat ne luttait finalement que pour la socialisation, c'est-à-dire tendait à réaliser en définitive la communauté matérielle à laquelle accède le capital. Corrélativement la tendance toujours plus accusée à partir de la fin du siècle dernier à définir la classe prolétarienne par la conscience, par des données spirituelles, par le programme. Ou alors on a la conception du prolétariat comme force minoritaire et théorisation de sa solitude : Gorter.

Quoiqu'il en soit, toute cette période indique qu'en définitive le mouvement prolétarien - comme le mouvement bourgeois - a eu ( pour dire cela de façon sûre, il faut encore vérifier ) une fausse conscience de son propre mouvement : il croyait faire du socialisme, il ne faisait que parachever la domination du capital. C'est de cette période que date la question de la gestion et de ses différentes formes.

Le passage se fait par l'intermédiaire d'un faisceau de phénomènes.

Défaite du prolétariat en 1914 qui est aussi celle de la démocratie politique. Toutefois il est important de noter que c'est la défaite de ce qu'on posait être le prolétariat révolutionnaire; en outre c'est le triomphe du travail salarié, autre pôle du capital. Ensuite on doit faire entrer en ligne de compte le fascisme, le nazisme, le salazarisme, le franquisme. Ces derniers mouvement ont un intérêt pour le mode de production capitaliste dans la mesure où ils bloquent justement un mouvement révolutionnaire qui pourrait prendre relaie dans ces aires où ce mode est moins développé ( inhiber une transcroissance possible ! ); ceci se répétera en Argentine ( péronisme ) ainsi qu'avec divers mouvements en Amérique Latine.

Dans tous les cas le prolétariat est l'acteur essentiel de cette période historique : révolution russe, révolution allemande, etc., car c'est lui qui conditionne, par ses victoire momentanées comme par ses échecs, tout le devenir social. Le mode de production capitaliste ne peut parvenir à sa domination sans prendre, sans utiliser le marxisme ramené à une théorie de la croissance. Autrement dit, à la fin de cette phase on peut dire aussi que le rôle historique du prolétariat dans son ancienne détermination est fini. Il est évident que l'on peut de nouveau le faire jouer en tant que classe universelle, mais ce n'est que la contradiction figée d'un moment particulier que le mouvement social a déjà dépassé.

Cette question de la fin du rôle de la classe ouvrière est en liaison directe aussi avec la question russe : révolution se développant dans une aire à forte persistance du phénomène communautaire.

Autrement dit, dès ce moment il y a les éléments pour penser le devenir nouveau du monde.

Ce dont il s'agit c'est donc de l'accession du capital à sa domination réelle sur la société dans les vieilles zones où le capital s'était déjà instauré. Il est évident que la question de sa domination ne peut être résolue victorieusement que s'il parvient à dominer les zones où il lui fut normalement très difficile de prendre pied.

Le phénomène doit être vu dans sa totalité, c'est-à-dire que si les prolétaires se sont illusionnés sur leurs tâches, on peut dire aussi que les capitalistes en firent autant et surtout ils n'avaient pas pris conscience des mécanismes de vie du capital ni compris ses mécanismes d'autorégulation, de telle sorte que leur intervention put souvent être catastrophique. Mais avec la transformation de l'Etat en Etat capitaliste la question se règle de façon précise. Naît alors la possibilité de lever le complexe d'infériorité de ceux qui se posent dans le camp capitaliste; il leur est possible de produire une théorie globale, de dépasser Marx ...

Le passage de la domination formelle du capital sur la société à celle réelle s'est effectué grâce à divers mouvements dont le fascisme, le nazisme, etc. ... Dans tous les cas ceci s'effectue au cours d'une crise qui affecte la société dans sa totalité. Cependant les différentes zones où ceci s'effectue n'ont pas la même maturité, de ce fait même si parfois les mouvements partent le même nom ils ne recouvrent pas la même réalité tout en opérant dans la même direction : la domination du capital.

5.3.3.1. Cas de l'Italie.

« Considérant qu'il serait impolitique, en dehors de la réalité, de ne pas tenir compte du mécontentement populaire qui est une conséquence fatale de la guerre, ou de se fier à une vague formule d'uniformiser l'action ultérieure du parti à l'action développée jusqu'à maintenant; considérant que le mécontentement populaire présent est en train d'être exploité comme planche de salut pour l'intervention pseudo-démocratique et républicaine dans la but de la diriger vers une direction insurrectionnelle non socialiste, qui conduirait l'Italie à une concrétisation de programmes essentiellement républicains bourgeois; exprime des voeux pour que la direction du parti - en s'inspirant des événements de Russie et d'Amérique et de l'Etat d'esprit créé par la guerre - concrétise une ligne de conduite qui dirige, coordonne, unifie l'esprit et l'action du prolétariat italien. » Motion de la fédération de la jeunesse socialiste italienne. 1917.

Le fascisme naît en Italie en riposte à une montée révolutionnaire prolétarienne. Il naît dans les centres industriels mais se développe dans ceux agricoles ( les prolétaires agricoles, les braccianti, dispersés offrent une résistance moins efficace ) pour finalement triompher dans les centres industriels avec l'appui des forces de l'Etat en place. Crois périodes : combats de rue, expéditions punitives, conquêtes des villes. En 1922 triomphe officiel, tout à fait légal et en 1925 dictature ouverte.

Le mouvement fasciste se développe après l'arrêt du mouvement prolétarien; plus précisément après qu'il ait été dévié de sa juste voie : la lutte pour le pouvoir. On le fit lutter pour les élections, après avoir été enlisé dans le mouvement d'occupation des usines. Dans les deux cas la politique réformiste du gouvernement bourgeois de Giolitti, qui consista à lâcher du lest et à ne pas provoquer ni radicaliser la lutte du prolétariat, permit à la classe bourgeoise de conjurer le péril.

Durant la lutte contre le fascisme il y eut de graves erreurs commises tant dans l'appréciation du phénomène que dans la lutte pratique, de la part de la direction liée à Moscou ( Gramsci et Cie ). Un des meilleurs exemples du crétinisme parlementaire fut la tactique de se retirer sur l'Aventin après l'assassinat de Mattéoti.

Ultérieurement sous prétexte de bolcheviser le parti et de lui permettre de lutter correctement contre le fascisme ( en particulier en faisant le front unique avec les partis socialistes responsables de l'arrêt de la vague révolutionnaire antérieure; pacte de pacification 02.08.1921 ), il y eut élimination systématique des postes de direction, de tous les communistes de la fraction de gauche. Le parti fut stalinisé. La contre-révolution l'avait emporté sur tous les fronts.

Durant toute la dictature fasciste jusqu'à la veille de la guerre, le PC fit tuer inutilement des prolétaires en les lançant dans des opérations suicides contre le régime de Mussolini. Ainsi ceux qui avaient sous-estimé le fascisme essayaient vainement de le déboulonner.

5.3.3.2. Cas de l'Allemagne.

En Allemagne aussi le nazisme est une riposte à la menace prolétarienne. Mais il ne porta en définitive que le coup de grâce au prolétariat. Les événements suivants expliquent cette particularité :


  • la retraite de l'armée qui arrive intacte en Allemagne, compromis entre l'Etat-major et le Conseil des soldats;

  • alliance Ebert-Hindenburg;

  • alliance syndicats-industriels ( 15.XI.1916 );

  • répression du mouvement spartakiste par Noske et Scheidemann; défaite en Bavière en 1919;

  • réorganisation de l'armée sur des bases plus démocratiques;

  • combats de la Ruhr en 1920, défaite de mars 1921.
On doit noter qu'après la défaite des spartakistes de 1919, le prolétariat lutte en ordre dispersé, recalquant la phase de 1848 ( indiquons également les combats en Saxe et Thuringe, et le soulèvement de Hambourg de 1923 ).

En conséquence la société bourgeoise est assez forte et n'a pas besoin du nazisme pour contenir le prolétariat. Le putsch nazi de Munich de 1923 est réprimé et le nazisme va se développer par voie électorale.

A partir de 1919 deux tâches s'imposent en Allemagne : détruire les clauses du traité de Versailles qui empêchent son développement, pour cela une militarisation poussée est nécessaire, d'où développement de l'industrie; conduire la mutation de la société allemande, celle du capital organisé qui n'est autre que le passage, à l'échelle sociale, du capital de la domination formelle à sa domination réelle sur la société : la formation de la communauté matérielle du capital. Ceci est d'autant plus urgent que la crise rend la situation instable et que le prolétariat peut à nouveau devenir menaçant. Le nazisme sera apte à résoudre cela. Il arrive légalement au pouvoir : « Nous reconnûmes qu'il ne suffit pas de renverser l'Etat, mais que l'Etat nouveau doit avoir préalablement construit et rendu prêt à fonctionner sous la main qui le commande.

« ... en 1933 il n'était pas question de renverser l'Etat par un acte de violence, dans l'entre temps, l'Etat nouveau avait été construit, il ne restait qu'à détruire les derniers vestiges de l'ancien. Cela ne prit que quelques heures. » Hitler.

Entre temps ce fut toute l'action de la social-démocratie qui transforma l'Etat, le rendant plus interventionniste ( allongement de la journée de travail par exemple ). La social-démocratie ( Hilferding ) théorisa même cette intervention étatique, théorisa la substance même du fascisme : le capital organisé.

En Allemagne se posait une révolution qui devait opérer dans une période où le capital accédait à sa domination réelle sur la société. La classe ouvrière allemande tendit à se constituer en tant que classe sur cette base. La gauche allemande ( la plus grande partie du P. C. allemand à l'origine, puis le KAPD ainsi que d'autres groupes moins importants ) exprima le mieux cette tendance, mais ne parvint pas à la rendre consciente, à l'exprimer en tant que nécessité immédiate et du futur et ce tout en étant apte à intégrer l'autre révolution, celle relevant d'une période antérieure, la révolution russe.

Ce mouvement anticipa trop sans être à même de percevoir avec efficacité que cette anticipation n'était possible que localement et que la réalisation de celle-ci ne pouvait s'effectuer que par le moyen terme de la révolution dans les autres pays. Autrement dit c'était une mouvement immédiat, transmetteur de cette immédiateté mais incapable de la placer dans la totalité du mouvement de la classe.

La bolchévisation, les différentes variations tactiques de PIC sont l'autre cause fondamentale de l'enrayement de la constitution du prolétariat allemand en tant que classe. Bolchéviser consista essentiellement à éliminer toute influence de la gauche. La puissance du prolétariat allemand était telle qu'il fallut attendre tout de même 1933 pour qu'il soit éliminé et qu'il fallut la « nuit des longs couteaux » pour que le nazisme triomphe en éliminant son enveloppe prolétarienne, son masque révolutionnaire, et s'affirme bien en tant qu'expression de la domination du capital. Ce dernier avait réussi sa transformation et le prolétariat était battu pour un long bout de temps. D'autant plus que les deux forces contre-révolutionnaires : fascisme et stalinisme ( on ce qui concerne l'Occident ) s'allièrent en fait pour détruire toute tradition prolétarienne ( les quelques rescapés kapédistes furent assassinés par les staliniens à la fin de la guerre mondiale ).

Remarque :

En Allemagne les phénomènes économiques dépassent les phénomènes politiques. Il y eut le problème de mettre sur pied un organisme adéquat au développement économique, de même qu'il y eut le problème de l'unité nationale ( véritable guet-apens historique de 1914 où le prolétariat fut englué, cf. également certains kapédistes et le bolchevisme national ). En cela l'Allemagne est tout le contraire de là France où le développement politique dépasse celui économique, ce qui montre que politique et économie ne sont pas absolument, de façon stricte, liées; il n'y a pas obligatoirement adéquation parfaite. Il peut y avoir des moments de dissonance, de discordance qui peuvent perdurer avant que l'équilibre, l'adéquation se produisent.

Ceci explique la prétention des fascistes ( allemands surtout ) d'accomplir une révolution alors qu'ils ne parachevaient qu'un réa justement, phase ultime de la révolution par le haut.

On doit tenir compte aussi, dans le triomphe du fascisme, de la position de l'Internationale Communiste. Après la défaite de Spartakus et surtout après l'action de mars 1921, l'Internationale conçoit une phase révolutionnaire comme étant très éloignée en Allemagne ( théorie de Radek ), le prolétariat allemand n'est plus considéré comme le protagoniste essentiel. D'autre part, l'alliance avec l'Allemagne apparaît comme une condition essentielle pour des serrer l'étreinte autour de la Russie. D'où la théorie de renforcer l'Allemagne, le capital allemand devant développer automatiquement le prolétariat : la renaissance de l'Allemagne, réduite selon Lénine au stade semi-colonial, sera la renaissance du prolétariat. D'où l'alliance plus ou moins tacite avec le mouvement nationaliste, le freinage des mouvements révolutionnaires. C'était la naissance de la théorie du socialisme découlant d'une lutte entre Etats et perte de la vison de Marx, du heurt entre capital et prolétariat. L'illusion de la renaissance du prolétariat allemand en liaison avec celle de la nation allemande fut l'illusion tragique de Lénine et de Radek que Staline devait purement et simplement reprendre. Ce qui explique les zigzags de ce dernier vis-à-vis du fascisme. Lors de la formation de la Gemeinwesen matérielle le prolétariat pouvait se développer englobé, intégré en elle, ce qui équivalait à sa destruction, puisqu'il était réduit à capital variable.

5.3.3.3. Cas de l'Espagne.

En Espagne on retrouve le même scénario mais greffé sur des particularités historiques différentes. L'Espagne est un cas particulier en Europe de pays dépendant du mode de production asiatique. Cela explique l'existence contradictoire en apparence d'un Etat central très fort, puissant, et d'une autonomie toute aussi puissante des provinces. Ce caractère fut encore renforcé par la défaite des bourgeois en 1522 ( cf. Marx, Oeuvres politiques, t. VIII p. 125, Ed. Costes ). De là aussi à la fois la lutte opiniâtre et victorieuse contre la France durant les guerres napoléoniennes ( Napoléon crut avoir conquis l'Espagne, parce qu´il avait pris Madrid ) et l'incapacité d'organisation d'un vaste mouvement révolutionnaire qui puisse détruire les antiques rapports sociaux.

Pendant tout le XIXe siècle l'Espagne sera le point de départ de l'onde révolutionnaire et elle en sera la surface réceptrice lorsque celle-ci retournera affaiblie, amortie, après avoir secoué l'Europe, de telle sorte que comme Marx le rappelle : « L'Espagne avait dû supporter toutes les horreurs de la révolution sans y gagner en force révolutionnaire. » Il en fut de même pour la dernière grande vague révolutionnaire qui secoua l'Europe au début de ce siècle : elle n´acquit en Espagne avec les grèves insurrectionnelles de 1916 puis de 1919; elle s'y achève en 1936.

La puissance du localisme espagnol explique la prédominance de la tradition anarchiste en Espagne. Les anarchistes par leur position de 1873 ( ne pas vouloir soutenir la bourgeoisie pour abattre l'Etat en place ) sont une des causes du développement retardé, presque figé de la société espagnole, de sa situation tout à fait instable : aucune des deux grandes classes de la société moderne ne se développant, l'armée apparaît comme le seul élément stable et domine l'Etat. D'où l'importance des pronunciamientos dans l'histoire espagnole.

La classe ouvrière espagnole arriva difficilement à s'organiser en tant que classe ( l'organisation révolutionnaire fut d'ailleurs la CNT ( 1910 ), organisation anarchiste ). De ce fait, elle ne put en aucune façon porter une attaque unitaire contre l'Etat démocratique bourgeois. Pourtant dans les années 1920-30 le prolétariat se renforça de façon notable en conséquence du développement de l'industrie espagnole qui profita de la première guerre mondiale. L'influence de la révolution russe se fit sentir et favorisa le mouvement de radicalisation entre 1920 et 1930. Mais la transformation économique exigeait une modernisation de l'Etat qui faciliterait à son tour cette transformation pour la pousser plus avant. Cependant ceci ne pouvait plus se faire sans heurt du fait du renforcement de la classe prolétarienne.

La répression sur le prolétariat espagnol fut terrible surtout au cours des années 31, 32, 33 ( aux Asturies notamment ). Cependant la classe est affaiblie dans certaines zones mais non dans sa totalité ( aspect positif de la non organisation totale ), en particulier les ouvriers d'Andalousie conservent toutes leurs forces.

Le soulèvement de Franco préparé sous le gouvernement de gauche lui-même, après un départ foudroyant, rencontra une résistance très vive de la part des ouvriers. Ceux-ci réussirent en se battant sur leurs propres positions de classe à endiguer le mouvement réactionnaire et à menacer l'Etat bourgeois. La classe allait-elle se constituer en parti réel ?

Le front populaire, union sacrée, permit d'endiguer cette constitution, dévoya le mouvement prolétarien. La phase révolutionnaire de la lutte en Espagne était terminée. A la guerre civile fit place une guerre qui permettrait d'éliminer le prolétariat et où les ennemis de celui-ci étaient dans les deux camps. De ce fait elle allait avoir trois caractères fondamentaux :


  • briser la résistance du prolétariat,

  • amener une formation étatique plus compatible avec le développement du capital,

  • provoquer une lutte d'influences, d'intérêts entre les démocraties et les gouvernements et les gouvernements fascistes, ce qui en fait le prologue de la guerre de 1939-45.
Ceci est d'autant plus net que le soutien prolétarien sur le plan international se faisait au nom de la défense de la démocratie contre le fascisme et/ou au nom de la défense de l'URSS. Ce fut un moyen radical pour éliminer, à l'échelle internationale, les différents courants révolutionnaires; la plupart des révolutionnaires s'engagèrent dans la croisade pour sauver la révolution, etc. ... On eut les mêmes brigades internationales qu'en 1848 qui furent démocratiquement décimées ...

La lutte fut longue parce que le réformisme de type français ou anglais n'était pas possible; le capitalisme espagnol était trop faible ( avait donc besoin d'une intense exploitation du prolétariat pour se développer ) pour assurer son émergence.

Remarque :

Si dans un premier temps les faiblesses anarchistes constituent un des obstacles au développement d'un mouvement prolétarien, dans un second temps c'est la répression stalinienne, sous couvert de front populaire, qui liquida les militants révolutionnaires, alors que le mouvement anarchiste conduisit des luttes remarquables, par exemple en Andalousie.

L'incompréhension des phases intermédiaires, par exemple la nécessité de l'indépendance nationale devait être fatale : la non proclamation de l'indépendance de la partie espagnole du Maroc facilita le démarrage du mouvement de Franco.

C'est un peu abusivement que l'on parle de fascisme en Espagne. Il n'y a de similaire avec ce qui advint en Italie que l'utilisation de la violence. En Espagne le capital n'en était pas encore au stade où il pouvait passer à la domination réelle. Il y avait encore à éliminer les restes des modes de production antérieurs. La menace prolétarienne provoqua une alliance entre les forces capitalistes et celles des couches sociales antérieures. En outre le triomphe de Franco ne pouvait pas du jour au lendemain conjurer la menace et la peur du prolétariat. Ce n'est que prés de trente ans plus tard que l'Espagne devait connaître un développement capitaliste puissant préparant la domination réelle du capital, rendant inutile la dictature franquiste.

On peut parler de fascisme dans la mesure où il y a formation d'une communauté, intervention de l'Etat qui va se poser en représentant actif et démiurge de celle-ci. Par là il y eut possibilité de sauter des stades. Ainsi l'Espagne présenta une grande difficulté pour passer du premier moment du capital, le mercantilisme ( moment de la troisième détermination de l'argent ) au mode de production capitaliste effectif, à cause de la force des communautés. Or avec le franquisme il y a leur destruction et de ce fait possibilité pour un devenir à la communauté matérielle du capital. Cela montre qu'il n'y a pas le même enchaînement partout.

5.3.3.4. Cas de la France.

En France il n'y eut pas de menace prolétarienne réelle. Il y eut seulement quelques épisodes révolutionnaires : révolte dans les tranchées, agitation des jeunes communistes lors de l'occupation de la Ruhr en 1923, campagne anti­-coloniale en 1925 lors de la guerre du Rif, mais il ne s'agissait en aucune façon d'une menace pesant sur l'Etat, sur la société bourgeoise. Cela découlait du faible développement du prolétariat depuis la Commune de 1871. En effet l'industrie s'était peu développée en France par peur du prolétariat et le pays était devenu surtout usurier et agricole. D'où le fleurissement du réformisme, le culte de la tradition de 1793, le prolétariat demeurant une aile gauche de la bourgeoisie.

Cependant entre 1919 et 1935 un certain développement industriel se produisit conduisant à un changement de composition de la classe devenant réellement ouvrière et non plus artisanale. C'est elle qui se souleva en 1936. Mais ceci s'effectua après un renforcement considérable de l'Etat et après la défaite du mouvement révolutionnaire en Allemagne et en Italie ainsi qu'après le passage ouvert de l'URSS à la contre-révolution ( cf. congrès de l'I.C. de 1935 ). Aussi l'intervention du fascisme ne fut pas nécessaire. Le gouvernement de front populaire put très facilement avec l'aide souveraine du PCF et de la CGT désamorcer le grand mouvement en accordant des avantages sociaux, repris deux ans plus tard pour les besoins de la guerre venant.


Remarques :

  1. Les faiblesses historiques du mouvement ouvrier français expliquent la situation entre 1914 et 1936. Cependant c'est le stalinisme qui dévoya et inhiba le mouvement de formation de la classe : la bolchévisation d'abord, la lutte contre le fascisme ensuite. Ceci explique que le grand mouvement de 1936 put facilement refluer : les prolétaires avaient été vidés de tout esprit révolutionnaire.

  2. L'idéologie du front populaire implique que le peuple pourrait être plus fort que le capital, alors qu'il est un produit de ce dernier. D'autre part l'existence de ce peuple veut dire qu'il y a un certain équilibre entre le capital tendant à la domination réelle sur la société et toutes les forces de cette dernière qui s'opposent à lui. Le prolétariat fait partie de cette société à partir du moment où il ne défend plus sa position de classe mais défend le peuple, ce conglomérat de classes que la bourgeoisie devait à l'origine diriger au moyen de la démocratie politique.
5.3.3.5. Cas des Etats-Unis.

Aux USA, dans les années qui suivent la crise de 29-32, on a une menace prolétarienne importante. C'est la première constitution de la classe, mais cela n'est pas suivi par un assaut au pouvoir du capital. L'Etat capitaliste doit tout de même réagir et le New Deal comporte un ensemble de mesures similaires à celles du fascisme qui visent à enrayer la montée prolétarienne, en rationalisant le procès total de production. C'est le moment où le capital conquiert l'Etat et l'on a donc le passage à la domination réelle de celui-ci sur la société.

La violence généralisée contre le prolétariat ne fut pas nécessaire bien qu'elle ait été appliquée dans tous les secteurs où cela fut nécessaire pour la défense globale du capital. En outre aux USA le prolétariat était, encore plus qu'en Europe, limité à une base économique; c'est-à-dire qu'il ne s'opposait pas réellement. Il ne posait aucune alternative; il voulait tout au plus gérer ce qu'il y avait, c'est-à-dire faire encore du capital. Sinon pourquoi la crise économique de 29-32 n'aurait-elle pas pu en­gendrer un grand mouvement révolutionnaire. Dans les pays européens le prolétariat était fatigue, voire épuisé ( Allemagne ), l'IC jouait un rôle énorme de dévoiement, mais aux USA le terrain demeurait encore vierge ( ce n'est qu'après le mouvement d'occupation des usines 35-36 que les trotskystes purent s'implanter aux USA )

Le caractère nationaliste et autarcique correspond à cette phase de défense généralisée du capital qui s'effectue dans chacune des zones où un certain quantum de capital nation arrive grâce à l'Etat à mater la montée révolutionnaire. Il y a régénération dans chacune des zones ce qui n'empêche pas que l'un d'entre eux puisse aider celui qui est le plus menace : cas de l'Allemagne et rôle du capital étasunien dans la réalisation de la domination réelle du capital sur la société dans la zone européenne.

Aux USA on a une confluence : formation de la nation, du marché intérieur, de la classe et grande crise économique ( de production et de spéculation ) et tendance du capital à se constituer en totalité grâce au marché monétaire. Il semblerait qu'à partir de là le capital effectuerait comme un repli pour repartir à l'attaque après 1945 et triompher totalement.

Enfin on doit noter le rôle déterminant des USA dans la montée du nazisme par riposte à l'agression à l'Europe.

Remarque :

Le fascisme est un mouvement insurrectionnel en réponse à celui de grande amplitude du prolétariat. Pour triompher en une espèce de révolution populaire, il fallut qu'il détruise non seulement la force prolétarienne, mais qu'il conquière l'appui des classes moyennes, c'est-à-dire les classes coincées entre le capital et le prolétariat, classes qui sont le plus menacées par la crise par suite de leur position intermédiaire. De ce fait elles peuvent très bien dans un premier temps soutenir le prolétariat mais dès que le mouvement de celui-ci est enraye, elles basculent dans le camp opposé à la recherche d'une communauté qui puisse les englober, les sauver. Il en fut ainsi en 1922 en Italie confirmant par là la prévision indiquée au début de 5.3.3.1.

En Allemagne le phénomène fut encore plus net. Au cours des années 27-28 il y eut un développement considérable du capitalisme accompagné d'une rationalisation de la production et d'une augmentation de la productivité du travail. Le nombre des ouvriers s'accrut faiblement mais le nombre des composants des nouvelles classes moyennes, produits du capital, se fit de façon considérable ( en cela l'Allemagne de ces années-là préfigure bien les USA des années 55 à 68 où le phénomène est encore plus ample ). Lors de la crise de 1929 la faiblesse du prolétariat tant dans les limites de l'Allemagne que sur le plan international injecte le doute sur sa capacité à diriger la société et à résoudre le grave problème de la situation allemande consécutive au traite de Versailles. Les nouvelles classes moyennes se tournent vers le nazisme et pensent se sauver en s'intégrant pleinement dans la nation.

Le mouvement ouvrier international n'avait jamais abordé le problème de ces classes ou bien s'était contenté de lancer des anathèmes contre elles allant à l'encontre de ce que Marx préconisa :

« De ce point de vue, c'est une absurdité de plus que de faire des classes moyennes conjointement avec la bourgeoisie, et, par dessus le marche, des féodaux « une même masse réactionnaire » en face de la classe ouvrière. » ( Grundrisse, t. 1, p. 27 ).

Précisons que si la question des classes moyennes a été abordée, il n'en fut pas de même pour les nouvelles. Enfin il ne faut pas oublier que le fascisme correspond également à une nécessite interne de la société capitaliste.

5.3.3.5. Fascisme et bonapartisme

« Le bonapartisme est la forme nécessaire de l'Etat dans un pays où la classe ouvrière, bien qu'ayant atteint un haut niveau de développement dans les villes, mais numériquement inférieure aux petits paysans à la campagne, a été vaincue dans un grand combat révolutionnaire par la classe des capitalistes, la petite-bourgeoisie et l'armée. » Engels

( On a aborde cette question du bonapartisme dans une réunion en 1960 à Paris. Nous avons reproduit son compte-rendu dans une brochure contenant des textes de 1957 à 1965. On y trouvera d'amples citations de Marx et d'Engels sur ce sujet, ainsi que des considérations sur la situation de la France de l'époque qui complètent celles qui sont abordées ci-dessous. Note de 1991 )

1. Après la Commune de Paris, par peur du prolétariat, le capital ne s'est pas développé en France de telle sorte que même sous sa forme républicaine la société française était encore bonapartiste. Le bonapartisme tendait toujours a resurgir. La crise Boulanger, le général revanche, en est un bon exemple. La guerre de 14-18 ne provoqua pas une secousse assez puissante dans cette société qui gardait son empire colonial et son rôle usurier. La seconde guerre mondiale en revanche eut une influence autrement plus profonde directement et indirectement à cause de la grande révolution anti-coloniale. C'est au début des années 50 que finalement la France rattrapait le niveau économique de 1929. L'union sacrée pendant et après la guerre avait permis de produire toujours plus et de renvoyer la satisfaction des revendications ouvrières dans un avenir de plus en plus lointain...

2. C'est à partir de 1954 environ que le mouvement d'expropriation des petits paysans commença à prendre une certaine ampleur, que l'industrie se concentra. Et le mouvement devait s'accélérer au cours des années ... Cependant la petite propriété paysanne avait sa plus sûre garantie de survie dans le maintien de la grande propriété foncière capitaliste en Algérie. Cette dernière produisait directement pour le marché mondial et français, permettant de maintenir une économie se suffisant presque à elle-même, rempart de la conservation sociale.

3. La perte de différentes colonies, la guerre d'Algérie ensuite provoquèrent un déséquilibre important dans la société française. Toute sa modernisation, sa transformation, était enrayée. Il fallait donc que le mouvement économique spontané soit relayé par une direction politique qui le favorise en éliminant les obstacles à son développement. Telle fut la nécessité de l'avènement du gaullisme.

4. De Gaulle était bien dans la lignée de Boulanger et Napoléon III. C'était le général revanche. Mais en fait son rôle historique ne devait pas et ne pouvait pas être celui-là car il fallait obligatoirement en finir avec les restes de l'empire. Paradoxalement, la France ne pouvait être sauvée et réussir une certaine revanche non vis-à-vis de l'Algérie ( et même pour certains de la Tunisie et du Maroc ) mais du bloc anglo-­saxon, étasunien surtout, qui tendait à faire de la France non seulement une colonie économique mais politique des USA, qu'on abandonnant l'empire.

5. 1958 ne fut pas le triomphe du fascisme, mais celui d'une forme bonapartiste qui à l'inverse des précédentes devait en finir avec les potentialités bonapartistes de la société française. En effet sous cette forme archaïque l'Etat commençait à se transformer parce que les données de la société française s'étaient modifiées. Le prolétariat français ne s'opposa pas au gaullisme pour défendre le parlementarisme et la démocratie. De ce fait il était évident que l'Etat ne tenterait rien contre la classe ouvrière, se gardant bien de la provoquer. D'autre part cette dernière, au moins formellement, réclamait la fin de la guerre ­sinon dans une perspective prolétarienne du moins dans une perspective immédiatiste : la fin des souffrances, etc. ... Des lors il ne restait plus que deux couche sociales qui devaient être sacrifiées, parce que devenues totalement inutiles : la petite bourgeoisie ( et les ouvriers vivant en Algérie et qui tiraient profit de la colonie ), et les petits paysans. L'expropriation de ces derniers allait s'accélérer à partir de 1958 parce que le mouvement fut favorisé par l'Etat.

6. Dans un premier temps, par suite de la lutte contre les éléments qui devaient être éliminés ( représentés par l'OAS ) on a triomphe du contenu fasciste ( mouvement gaulliste ) sur sa forme ( OAS ). D'autre part les courants de gauche, PCF tout particulièrement, partisans de l'Etat fort, sont aussi pour le contenu sans la formé. Cependant avec la fin de la guerre d'Algérie ( 1962 ) et la continuation du phénomène d'expropriation des paysans, la mutation de la société française est parachevée, elle devient fasciste dans son contenu.

7. La société française ne fut qu'imparfaitement libérée du passé et ne put avoir réellement un grand développement capitaliste. Au lieu d'utiliser ses excédents d'or pour renouveler la machine productive, accroître le capital fixe, la productivité du travail, et par là la production industrielle, elle chercha à récupérer du capital en essayant de forcer la politique monétaire des USA. Avec la spéculation sur le franc ( 1968 ) et la dévaluation ( 1969 ) le côté original du gaullisme, son excroissance, sa divagation historique greffée sur des particularités de la société française, disparaît et la domination réelle du capital celle des USA -est reconnue.

8. Le mouvement de Mai-juin 68 en plus de la grande discontinuité historique qu'il a marqué a eu pour conséquence la réorganisation de l'Etat en France en le renforçant : unification de tous les courants dont les anciens qui avaient été partisans de l'Algérie française. Par là-même sont enterrées toutes les conséquences de la phase coloniale et de la décolonisation et la France connaît la domination réelle du capital ( l'idéologie officielle de glorification du travail en est une expression éclatante ).

Variantes : après le paragraphe 5, on avait envisagé ceci :

6'. L'élimination ne fut pas immédiate. Le nouveau pouvoir était prisonnier des forces qui l'avaient favorisé. D'autre part il fallait trouver en Algérie une troisième force entre les ultras français ( OAS ) et la révolte des masses expropriées. Ce fut le FLN. Les difficultés du règlement du conflit algérien provinrent du fait que d'un côte comme de l'autre le gouvernement ( avec le GPRA gouvernement provisoire de la république algérienne crée en Algérie en 1959 ) n'était pas a même de faire respecter un accord éventuel. D'où le putsch d'Alger en 1960 et sa tentative de généralisation en France. Ce fut De Gaulle qui sauva la démocratie des griffes du fascisme importe d'Afrique du Nord. Pourtant c'est le mouvement gaulliste qui est partisan réel et conséquent de l'Etat dans l'économie, d'une société corporativiste, etc. ... donc favorable à un programme fasciste. Autrement dit en 1960 et 1961 c'est le contenu qui l'a emporté sur la forme, le développement réel du capital sur la violence et les bouffonneries de l'OAS.

7'. D'autre part les organisations qui représentent le prolétariat tel le PCF voulaient quoi ? des nationalisations, la défense des « justes » intérêts de la France en Algérie, la fin de la guerre parce qu'elle hypothéqué les chances de la France dans la lutte au sein du Marché Commun, défense des petits paysans, un pouvoir fort.. En conséquence en dehors des positions démagogiques ( défenses des petits paysans, des artisans ), elles veulent le contenu sans la forme. Ce sont des fascistes passifs ( Bordiga ) et avec eux tout ce qui devait advenir : PSU, etc. ...

8'. Après avoir perdu en 1960 et 61, la petite-bourgeoisie perdit définitivement en 1962 ( fin de la guerre ). D'autant plus que l'intervention du prolétariat algérien devait radicaliser un certain temps la situation en faisant abroger les accords FLN-OAS et en limogeant Ben Kedda. Le mouvement des masses révolutionnaires fut malheureusement enraye ensuite avec le mouvement ben belliste prisonnier de sa victoire. Il lui était difficile de ne pas jouer au socialisme et de ne pas s'opposer à la France. Les éléments français d'Algérie durent quitter l'Algérie tandis que le mouvement de l'OAS était jugulé. Cependant les résistances au développement du capital se faisaient tout de même sentir et, lié aux récessions en cascade des années 62-65 qui affectèrent le pays, on eut un certain ralentissement du développement du capital vers 1965.

9'. Un autre phénomène d'une grande importance explique aussi les difficultés du capitalisme français : la concurrence des pays capitalistes ayant une composition organique plus élevée en capital ( productivité plus élevée, capital fixe énorme ) dont le plus important était les USA. Or la France encore plus que les autres pays d'Europe comme Allemagne, suisse, Belgique, avait fait appel à une exploitation effrénée du prolétariat ( donc avait recouru à un accroissement de capital variable ) faisant venir d'Afrique et même d'Asie un grand nombre de prolétaires pour les englober dans l'immense procès de production. L'Europe redevenait négrière. 1964 enregistre le maximum du phénomène. Mais ceci n'était pas suffisant pour riposter a l'implantation étasunienne ( accroissement important du nombre d'entreprises installées en Europe qui pompaient les capitaux disponibles par des emprunts sur les marchés européens ). Il fallait moderniser. Mais cela voulait dire accroître le capital fixe, donc nécessité d´investissements très importants qui ne pouvaient pas être réalisés uniquement par un autofinancement. C'est la que se posait la question de l'Etat : pourquoi ne pas investir le « trésor », le fameux excédent d'or, pour renouveler la machine productive ?

10'. Tant qu'il y a des prolétaires en nombre croissant on peut limiter la concurrence, même s'il y a une certaine perte. Il n'y a pas urgence dans les transformations. Ceci n'étant valable cependant qu'à un certain niveau de développement technologique donc de productivité du travail. On comprend encore une fois que persévérer dans la volonté de faire pression sur les USA en espérant une réforme du système monétaire international qui ne fonderait plus le crédit uniquement sur le dollar ( ce qui permettait aux étasuniens de financer comme ils voulaient les investissements en Europe et ailleurs ) mais d'une autre façon, par exemple par un retour à l'or, aurait permis de revaloriser la monnaie française etc., et permettrait aux capitalistes français d'engendrer du crédit sur leurs propres bases. Le côte financier en filiation à la dimension usuraire du capitalisme français se faisait encore sentir.

11'. Le mouvement révolutionnaire de Mai-juin 1968 est venu tout remettre en question. Le prolétariat se mettant en mouvement sur une base non encore proprement classiste cela veut dire qu'il n'est plus possible d'extraire la même quantité de plus-value, surtout que la garantie de paix sociale n'est plus totalement assurée. Des lors se fait sentir l'exigence d'un renouvellement de la machine productive, d'une rationalisation, etc. ... Les causes qui avaient amené à lancer la reforme Fouchet sont encore plus opérantes, plus contraignantes. Il faut absolument lier l'université à la production, former des techniciens, si l'on veut avoir une efficience quelconque, une possibilité de lutter contre la concurrence.

La crise a fait rencontrer la forme avec le contenu. les anciens de l'OAS ont été amnistiés ainsi que tous les spécialistes de la guerre subversive, renforçant ainsi l'Etat, tandis que celui-ci avec son chef ne peut plus apparaître comme étant au-dessus ( un vrai Etat bonapartiste ) mais comme étant lié directement aux intérêts du capital contre la classe ouvrière. De ce fait l'Etat gaulliste est devenu un Etat fasciste ce qu'il tendait à être dès le début de sa fondation en 1958. Il est évident qu'étant donné qu'il n'y a plus de menace prolétarienne ( PCF et CGT ayant bien accompli leur rôle ) il n'y a pas de nécessite d'utiliser la violence et de ce fait les anciens de l'OAS et autres groupes n'ont pas besoin de se manifester. La forme peut être voilée, le contenu reste. Il suffira d'une crise pour que l'aspect formel, superficiel du fascisme apparaisse : la violence répressive généralisée.

10. En Allemagne avec le triomphe de la social-démocratie et l'écrasement du prolétariat en 1919, toute trace de bonapartisme est définitivement éliminée, car des ce moment il n'y a plus un quelconque équilibre entre deux classes et l'intervalle entre 1919 et 1933 est occupe par la formation du nouvel Etat que les fascistes n'eurent qu´à conquérir de 1'intérieur. L'armée elle-même perdit son autonomie et devint l'armée de la nation qui est devenue capitaliste. La théorisation du bonapartisme à propos de la société française de la part de Trotsky revêt une part de réalité, elle n'a aucune pertinence en ce qui concerne l'Allemagne. Elle montre à quel point celui-ci ne comprenait pas les phénomènes nouveaux de l'accession du capital à sa domination réelle, parce que le procès total de vie du capital n'était pas au centre de sa position théorico-critique; d'où son recours à la politique afin d'expliquer.

11. Ainsi les ressemblances entre bonapartisme et fascisme sont superficielles et concernent le mode extérieur de domination : la violence, laquelle fut toujours vigoureusement utilisée dans toutes les sociétés de classe. Dans le bonapartisme on a un équilibre entre deux classes, dans le fascisme il y a domination de la classe capitaliste mais elle tend à se présenter comme domination du capital communauté matérielle, forme achevée de la domination qui dépasse par là la domination fasciste. Le bonapartisme parvient au pouvoir à cause de l'incapacité de l'une des classes à l'emporter et à dominer l'autre, le fascisme l'emporte en utilisant la force des classes moyennes et assure la domination du capital. Le fascisme comme le bonapartisme veut l'extinction du paupérisme, le deuxième en ayant recours à des mesures politiques, le premier à des mesures économiques. Tous les deux glorifient le travail. Le bonapartisme effectue une organisation politique qui permettra le plein épanouissement de l'économie, le second favorise la domination totale de l'économie qui s'annexe la politique. Le fascisme c'est le réformisme qui doit diriger la mutation du capital.

Le bonapartisme est une condition au grand développement du capital de telle sorte qu'inévitablement il se transforme en fascisme. Ce dernier assure la domination du capital à l'échelle sociale en obligeant le prolétariat à s´intégrer dans la société capitaliste, il l'oblige à n'être que capital variable. Celui-ci une fois intégré, il y a épanouissement total de la domination du capital qui impose un esclavage généralisé aux hommes : la rigidité du fascisme est dépassée et le capital reprend son mouvement en organisant ...

Le fascisme permit de supprimer l'autonomie de toutes les composantes de la société; ainsi de l'armée qui ne peut plus être une caste particulière. Elle est soumise au capital et à ses exigences valorisatrices.

Il est impossible de parler de bonapartisme en URSS. En France la défaite du prolétariat est déjà effective en 1795 et surtout en 1797. Tout le Directoire est affirmation de la domination prosaïque de la bourgeoisie ( Marx ). Napoléon ce fut la dernière bataille du terrorisme révolutionnaire contre la société bourgeoise et sa politique, également proclamées par la Révolution ( ... ) il pratiqua le terrorisme en remplaçant la révolution permanente par la guerre permanente. » ( Marx ) Les ouvriers français soutinrent Napoléon parce qu'il représentait tout de même la révolution; c'était la fin de la féodalité. En Russie les ouvriers devaient-ils soutenir Staline ? ceux d'Occident devaient-­ils également le faire ?

En URSS après la destruction de la transcroissance prolétarienne on aurait plutôt une situation ressemblant à celle de 1851 en France. On aurait donc un bonapartisme de second style. Or ce second bonapartisme, à son corps défendant, dut conduire des guerres de systématisation nationale, ne serait-ce que pour parachever sa domination a l'intérieur. Le stalinisme non seulement ne soutint pas l'émancipation, mais il contribua à l'asservissement des peuples pour augmenter ses aires d'influence, voila pourquoi certains parlèrent d'un nouvel impérialisme ou de l'impérialisme rouge ( V. Serge ).

La encore les analogies sont superficielles. La restauration en France se fit sous couleur monarchique, en Russie avec le despotisme oriental; tout en développant le capital; le soutien aux nationalités était trop dangereux parce qu'il risquait de relancer le prolétariat.

5.3.3.6. Fascisme, bonapartisme, stalinisme.

Nous avons vu que le schéma fasciste et celui stalinien n'avaient que des différences de pure propagande. Tous deux empruntaient à la théorie communiste. Ils empruntèrent des éléments au schéma du parti formel de l'époque. Cependant si ce sont deux formes convergentes, on ne peut pas dire que stalinisme et fascisme recouvrent une seule et même réalité.

Le fascisme correspond à la période de passage de la domination formelle sur la société à la domination réelle. Son schéma exprime au mieux la nécessité de plier le prolétariat au procès du capital; il exprime la défaite du prolétariat dans sa tentative de détruire ce dernier. Le stalinisme exprime la même défaite du prolétariat mais en même temps une victoire, celle d'avoir imposé le mode de production capitaliste à l'aire slave. Dans sa généralisation le stalinisme n´apparaîtra que comme une forme de gauche du fascisme, car le but est le même assujettir le prolétariat au pouvoir du capital ( thèse impliquant la dimension progressive de l'implantation du capital dans l'aire slave ).

La déification de l'Etat dans le cas du fascisme correspond à celle de la rationalisation d'une machine fonctionnant pour les intérêts du capital. Dans le cas du stalinisme elle provient du fait que momentanément l'Etat stalinien est en équilibre sur deux classes, le prolétariat et les paysans. Plus le capitalisme se développe, plus intervient un déséquilibre parce que les couches représentantes pures du capital se développent et trouvent des alliés chez les kolkhoziens. L'Etat apparaît de plus en plus comme celui d'une classe. Cependant étant données les particularités du développement historique et le rapide développement du capital, la classe capitaliste elle-même peut n'être pas visible, donc être plus ou moins escamotée. C'est alors une domination capitaliste plus directe; autrement dit la phase de domination formelle a été écourtée par suite de l'intervention du prolétariat. Pendant la période intermédiaire on eut quelque chose de semblable à la monarchie absolue, l'Etat autonomisé. Maintenant on a au contraire quel que chose de type fasciste mais encore en retrait sur l'Occident où la forme de l'Etat est plus fluide et fait moins obstacle à la valorisation.

Le futur n'est pas vers une fascisation ( phase dépassée ) de la société soviétique mais vers une étanusisation : démocratie sociale plus accentuée, despotisme du capital, réalisation de la communauté matérielle.

Il est noter que stalinisme et fascisme ont utilisé les camps de concentration, le travail forcé. Cependant dans le cas du premier on en était encore à la formation même du capital; c'est pourquoi on peut comparer son action a celle de la bourgeoisie anglaise fondant les workhouses.

Avec le fascisme le capitalisme s'est pleinement emparé de l'Etat. Il est donc une conciliation. Dès lors l'Etat puissant c'est le capitalisme puissant; il est un médiateur entre différentes organisations.

Il serait important de noter la dimension foncière du fascisme dans certaines de ses variantes par exemple avec le pétainisme en France. L´intégration de l'oeuvre de Maurras qui affirme un enracinement, une certaine exaltation de la nature au travers justement de la dimension foncière avec la volonté de retourner à une base nationale, paysanne, etc., ... Ceci est à voir pour comprendre l´ambiguïté du fascisme se présentant comme l'expression du refus de l'expansion du capital bien que c'est lui qui va en assurer le triomphe.

5.3.3.7. Cas de divers pays.

En Europe il s'agit du Portugal avec le Salazarisme, de la Grèce, de la Roumanie etc., ou la domination réelle du capital ne se vérifie que bien après la fin de la seconde guerre mondiale.

Au Mexique se pose la question de situer correctement l'impact des diverses révoltes paysannes ainsi que le mouvement des christeros. Ensuite le mouvement des nationalisations de Cardenas est tout à fait compatible avec le contenu du fascisme. En Argentine le peronisme ( 1944 ) présente également des caractères fascistes mais l'essentiel est toujours le passage à la domination réelle du capital. Le Brésil présente un cas particulièrement intéressant et complexe. Le Chili etc. ...

5.3.3.8. Fascisme : idéologie-théorie.

Il n'y a pas de théorie ni de programme fascistes. Dans un premier temps, celui ou il est sur le plan de la phase insurrectionnelle contre le socialisme, il pille le programme socialiste et est sensible aux réactions des masses mécontentes. Il leur emprunte des mots d'ordre pour les dévier : suffrage universel avec vote des femmes, destruction de l'inégalité des sexes; impôt extraordinaire et progressif, faire payer les riches; lutte contre le capital étranger; terre aux paysans, culture en coopération. Mais surtout il va exploiter l'anti­parlementarisme des masses, leur anti-démocratisme. Le système démocratique est présenté comme étant miné par la corruption, comme un lieu générateur de divers profiteurs. Au lieu de s'appuyer sur cet instinct pour faire accéder à la claire conscience de la nécessité de rompre une fois pour toutes avec la démocratie, les fascistes vont se servir de lui pour faire accepter que tous les maux de la société sont dus au système démocratique en tant simple mode de gouverner et pour présenter le fascisme comme une forme organisationnelle allant au-delà du capitalisme et du socialisme.

Il pille le programme : nécessité d'instaurer la journée de travail de 8 heures, utilisation du parti. Toutefois ce dernier peut être considéré comme un anti-parti, parce qu'il n'a pas de principes fixes ( il a seulement des normes ), et ne vise que l'action du moment. En ce sens les fascistes sont des bernsteiniens : le mouvement est tout, ou des gramscistes : il faut analyser les problèmes concrets; apologie de la praxis historique.

Cependant une fois qu'il aura exploité la vague insurrectionnel le populaire en la dirigeant contre le prolétariat, en la mettant au service d'un Etat qui ne s 'était pas opposé à lui, mais avait besoin de son apport pour se moderniser et se renforcer, le fascisme abandonne ses ornements prolétariens liés à sa naissance et prend son vrai visage; par là apparaît aussi son apport, se manifeste sa nouveauté.

« Il apporte cependant quelque chose de nouveau dès que l'on passe du plan de l'idéologie à celui de l'organisation. Il nous faut alors immédiatement affirmer qu'apparaît ici quelque chose que ni la bourgeoisie italienne ni celle des autres pays n'avaient employé. Jusqu'ici la politique de la bourgeoisie italienne était caractérisée par le fait qu'elle possédait certes de grands chefs, des politiciens professionnels, des parlementaires qui pouvaient compter lors des élections sur un grand nombre de voix, grâce à son grand parti libéral. Mais au point de vue de l'organisation, la bourgeoisie italienne était totalement démunie. Le parti libéral possédait une doctrine claire et concrète, une tradition historique bien définie et, du point de vue bourgeois, une idéologie tout à fait suffisante. Mais elle manquait d'organisation. Le fascisme a complètement bouleversé cet état de faits : il n'apporte rien de nouveau au point de vue idéologique... mais il apporte un facteur nouveau dont les vieux partis étaient totalement dépourvus, un puissant appareil de lutte, puissant tant comme organisation politique que comme organisation militaire. Ceci prouve que dans la crise grave que traverse actuellement le capitalisme, l'appareil d'Etat ne suffit plus pour défendre la bourgeoisie. » ( Discours de Bordiga au Ve congrès de l'IC, 02.07.1924 ).

Cependant cette réalisation sur la plan de l'organisation demeure dans le cadre théorique bourgeois; elle est une exigence théorique de la société capitaliste. La révolution bourgeoise mit les masses en mouvement, masses ayant perdu leur antique communauté. La question fut : comment les organiser, leur donner une autre communauté ? La nation telle fut la réponse et il faut des lois pour organiser les rapports à l'intérieur de celle-ci : rapports entre les individus et entre ceux-ci et l'Etat. Le fascisme trouve une autre forme d'organisation pour sauver la société bourgeoise et par là, en définitive, pour sauver la communauté totale du capital. Plus précisément : c'est l'organisation qui va permettre à ce que s'instaure la vraie communauté du capital.

Tout problème de la société humaine posé sous l'angle de l'organisation, c'est-à-dire du comment on doit organiser les hommes, est un problème capitaliste; pour les communistes il n'y a pas de problème.

« Il intègre et ne démolit pas le libéralisme bourgeois. Il réalise dans l´organisation qui est autour de la machine officielle de l'Etat, la double « fonction » défensive que la bourgeoisie conduit. » « Sa formule de constitution est : tout organisation, pas d'idéologie, de même en correspondance dialectique, celle du parti libéral est : tout idéologie, pas d'organisation. » ( Bordiga )

La vision communiste est en dehors de cela, parce que selon les communistes la classe ouvrière se constitue en classe et donc en parti et par là devient un être historique. Donc nous analysons les données historiques sous l'angle suivant : quelles sont les conditions de la réformation de la classe en parti ? Il n'y a pas de question d'organisation. Le prolétariat retrouvera son être en retrouvant sa théorie; théorie et action sont liées.

Dans la révolution à venir l'humanité se mettra en mouvement, l'action du parti ( résultat du mouvement d'unification ) consistera à favoriser l'unification de celle-ci. Il n'est pas question de trouver une forme plus adéquate pour l'organiser, l'humanité formera l'être collectif : la communauté humaine, la Gemeinwesen.

Cette nécessité organisationnelle correspondait et correspond au passage du capitalisme de sa phase de domination formelle à celle réelle. Le capital s'est développé sur la base de la production marchande simple, laquelle avait engendré l'idéologie libérale, l'individualisme, justice et égalité. Cette théorie du laisser-faire, laisser-passer correspondit à la phase d'émergence du capital et à celle de sa constitution. Lorsqu'il se développe sur sa propre base il intègre la concurrence, il socialise la production et les êtres; il élimine les personnages. Il lui faut une organisation pour le défendre. C'est ce à quoi correspond le surgissement du fascisme.

Ceci apparaît de façon nette en Allemagne : la théorie du capitalisme organisé se développe en même temps que l'organisation nazie. Au fond le mouvement se faisait spontanément. Cependant il arriva un moment où il fallait tout de même un changement dans l'Etat existant pour assurer le triomphe de cette mutation. L'avenir, le communisme, et le passé, la caste de l´armée en particulier, constituaient des freins. Il fallut donc éliminer le prolétariat et l'armée. Celle-ci fut intégrée dans la nation et perdit son autonomie qui lui restait de l'ancien Etat bonapartiste bismarkien.

C'est pourquoi aussi l'Etat nazi interviendra beaucoup plus dans l'économie que ne le fera l'Etat fasciste italien. Le fascisme né en Italie, dévoile son contenu réel en Allemagne ( cf. la Volksgemeinschaft ).

Le corporatisme initial n'est qu'une forme résurgente d'un passé révolu, comme chaque fois que la société subit une transformation. Il a surtout pu se développer dans les pays non pleinement développés comme l'Espagne et le Portugal. Dans tous les cas cela ne pouvait correspondre qu'au développement initial parce qu'il fallait immobiliser la classe prolétarienne avant de pouvoir la dominer complètement et la mettre dans une relation nouvelle. Celle-ci s'est le mieux exprimé dans le capitalisme populaire, la participation, celle qui intègre réellement le prolétariat dans la société capitaliste et redonne la mobilité nécessaire au mouvement du capital.

Si le fascisme n'a pas de théorie propre cela dérive du fait qu'elle était déjà toute prête, qu´il n'avait qu'à la prendre et à la colorer du moment de son intervention. Ce sont les sociaux-démocrates de tous les pays qui ont en fait décrit la société fasciste, ce sont eux qui croyaient pouvoir dominer la société capitaliste, dominer le capital. Ils ont donc produit tous les éléments nécessaires à l'arsenal fasciste : plan, exaltation du travail, de la nation. En quelque sorte on a le même phénomène qu'avec les saint-simoniens. D'ailleurs ce sont eux qui en Allemagne préparent l'avènement du fascisme-nazisme.

Hilferding : articles du Neuer Vorwaerts ( fin 1938, début 1939 ). « Il devient de plus en plus difficile de décrire le cours des événements économiques en termes purement économiques. Les lois propres de l'économie capitaliste, se sont progressivement modifiées, du fait de leur subordination aux nécessités politiques. Au Japon, en Russie, en Allemagne, en Italie, un appareil gouvernemental dictatorial a acquis le contrôle des forces matérielles et humaines de production, et il les a obligées à opérer en vue de main tenir et d'étendre son pouvoir. La politique domine l'économie et la soumet à ses propres fins... »

« En Europe orientale et centrale et dans de nombreux pays latins et sud-américains, le pouvoir politique est parvenu à exercer une influence décisive sur le développement économique. Et dans de nombreuses régions d'économie prétendue libre, principalement en Suisse, en Belgique, en Hollande, dans l'Empire britannique et aux EU, des tentatives ont été faites pour contrôler la vie économique. Ces tentatives ont eu une incidence considérable sur le cours du développement de l'économie, singulièrement en France et aux EU. » ( Cité par Bertram D. Wolff : « Le marxisme une doctrine politique centenaire », Ed. Fayard, p. 374 ).

Ces textes sont postérieurs à la victoire du fascisme mais ils sont en continuité parfaite avec ceux antérieurs cités auparavant sur le capital organise.

Jean Jaurés : « ... il se peut très bien que, sous l'action de forces économiques nouvelles, la propriété individuelle rentre un jour dans la sphère de l'Etat et dans le domaine de la Nation, comme la propriété de l'Eglise, d'abord supérieure à l'Etat, en avait dût subir enfin la loi. » « ... le produit net de la terre doit se diviser entre la Nation elle-même, pour de grandes oeuvres d'intérêt commun, et ceux qui travaillent le sol. » ( Histoire socialiste de la révolution française ).

Tout le mouvement européen du début des années de ce siècle est bien celui de la constitution du prolétariat en classe dominante, donc en tant que classe de gestion du capital; c'est la fin du cycle prolétarien. Que dit Mussolini :

« La crise du capitalisme est le passage d'une ère de civilisation à une autre ». « La solution à la crise est le corporatisme où l'autodiscipline serait confiée aux producteurs. Et quand je dis producteurs j'entends aussi les ouvriers... » [ ? quote marks]

« Quant au fascisme, son objectif est une plus grande justice sociale : le travail garanti, un salaire équitable, une habitation décente. Cela n'est pas suffisant. Car les ouvriers, les travailleurs, doivent être de plus en plus intimement associés à la production si l'on veut qu'ils se plient aux exigences de la discipline. » 1934

« Mais cette propriété est considérée, non pas seulement comme un droit, mais comme un devoir, à tel point que nous pensons que la propriété doit être entendue dans son sens de fonction sociale; ce n'est donc pas la propriété passive, mais la propriété active qui ne se limite pas à jouir des fruits de la richesse, mais qui les développe, les augmente, les multiplie. » ( idée du multiplicateur à la Keynes, du plein emploi etc. ... )

De ce fait il était idiot de parler de social-fascisme, d'identifier purement et simplement fascisme et démocratie car cela laisse de côté tout le contenu de la démocratie sociale et, d'autre part, cette accession du prolétariat a la domination sous forme mystifiée, mais à la domination tout de même. C'est son être qui est dominateur même si les individus doivent en pâtir.

Remarque : lorsque Rubel fait de l'oeuvre de Marx une « éthique », il réduit le rapport de Marx au prolétariat à un problème d'émancipation de la classe la plus souffrante et escamote l'aspect subversif : la misère révolutionnaire. Toutefois quel est le rapport qui a réellement triomphé ?

5.3.3.9. Fascisme, réformisme, démocratie sociale, etc..

Il est important de tenir compte des remarques de Bordiga sur le lien réformisme-fascisme, ce qui paradoxalement vient étayer le thème du réformisme révolutionnaire de Marx. Cf. Battaglia comunista no. 4, 1950. Dans le no. 5 : « Capitalisme et réformisme » : fascisme essai de constituer une réserve sociale; lier le prolétariat à la conservation du système social. D'où aussi le rapport avec, l'Etat providence, 1952, no. 4 et aussi profiter des calamités nationales plus ou moins naturelles. De même cf. 1951 no. 11 et 12. 1950 no. 20 et le rapport à l'Etat libéral, 1951 no. 16 et 22; le ne 11 de 1951 : « Le socialisme des coupons » indique bien cette donnée.

La limitation de la journée de travail à 10 heures est l'exemple classique de réforme imposée par l'Etat. Elle fut évidemment arrachée de haute lutte par la classe prolétarienne. Cependant l'intérêt de l'Etat était de préserver les chances de développement du capital 1. en empêchant de détruire la classe productrice de plus-value, 2. en inhibant une radicalisation trop grande de la classe. C'est avec la lutte pour la limitation de la journée de travail que se développe l'unification de la classe prolétarienne en Angleterre et ce jusqu'à ce qu'elle se constitue en parti ( ce qui ne s'est pas pleinement réalisé ). Le stade ultérieur aurait pu être un assaut à l'Etat en place.

Cependant au cours de cette phase les réformes ont encore un caractère positif, car elles se traduisent par un renforcement du développement du capital.

Les réformes proposées par les socialistes utopiques visaient aller du capitalisme au socialisme. Cependant elles ne pouvaient réaliser qu'une transformation plus complète dans le sens capitaliste. Ainsi les saint-simoniens furent partisans non seulement dune intervention de l'Etat, d'une centralisation extraordinaire à l'échelle nationale mais aussi internationale ( une banque ) ce vers quoi tend le capitalisme à l'heure actuelle.

« Le fascisme comme nous le disons depuis 40 ans, n'est que le réformisme moderne, avec les mêmes attraits mercenaires pour les aristocraties ouvrières, avec peut-être le masque noir moins dégueulasse que le jaune, au même service de la contre-révolution. » Bordiga, il programma comunista, no. 23, 1962.

« Le petit Etat italien naît bourgeois et sans tradition nationale. Sa lutte antiféodale s'épuise dans la littérature. Il naît en retard et à cause de cela moderne; il accomplit tout de suite son « aggiornamento » : il naît réformiste. En un certain sens il devance les temps : il naît fasciste. » Bordiga, Thèses de la Gauche, 1945.

Ainsi est levée la contradiction suivante : l'Etat fasciste, l'Etat le plus évolué, correspondant le mieux à la domination réel le du capital apparaît dans un pays dont le développement était retardataire, bien que le capital y eut une antique origine. On comprend que les pays les plus menacés par l'assaut prolétarien y aient eu recours le plus rapidement : Espagne et Portugal par exemple, d'où la complexité de la situation.

Il y a donc nécessité d'aborder la question du rapport du fascisme avec celle du développement de la révolution par le haut, l'émancipation progressive.

Bordiga ajoute une remarque essentielle : le marxisme avait prévu le devenir au totalitarisme. Toutefois il ne fit pas l'étude de l'intérieur pour le prouver. C'est vrai mais il faut étudier comment Marx montre le devenir de l'être totalitaire matériel ....

Cependant une affirmation fondamentale de Bordiga et qui va dans le sens de l'étude à faire c'est : poser le capital constant égal à zéro - Homicide des morts, il programma comunista, no. 24, 1951. Or on pose capital constant égale à zéro quand il y a nationalisation ( cf. également « Prophètes de l'économie démentielle », 1950 ).

Très importante également la remarque de Bordiga sur la bureaucratie. « L'autre idée erronée est celle de croire que la force totalitaire du régime capitaliste ( dont le fascisme italien fut le premier grand essai ) ait pour contenu un pouvoir prépondérant de la bureaucratie étatique contre les initiatives autonomes d'entreprise et de spéculation privée. La forme qui concentre dans la machine de l'Etat les forces anti-révolutionnaires mais rend la machine administrative plus faible et manipulable par les intérêts spéculatifs est au contraire, à un certain stade, une condition pour la survie du capitalisme et du pouvoir de la classe bourgeoise. » ( « Crue et rupture de la civilisation bourgeoise. » no. 23, 1951 )

Ceci nous conduit également à évoquer la théorie selon laquelle le fascisme, le nazisme sont le produit de l'action d'êtres déclasses. Ceci est très clair chez Talheimer, Rosenberg, Bauer, etc. ... Il est assez exceptionnel que : la théorie est celle de la lutte des classes et lorsqu'il faut expliquer un mouvement social elle n'est plus mise en jeu. On ne voulait pas reconnaître que le prolétariat avait soutenu le fascisme. Dans tous les cas, il aurait fallu alors aborder la question de la communauté. Ces prolétaires déclassés avaient perdu une communauté ils en cherchaient une autre.

Le moment où les limites de classe s'estompent est celui aussi où se pose la nécessité d'une révolution non purement classiste; de là la proposition des fascistes de faire une révolution populaire, ce qui ne veut pas dire qu'ils aient compris le phénomène. Ils n'ont fait qu'exprimer le possible existant mais par là ils étaient plus compatibles avec le devenir réel. La société était mûre pour une certaine transformation mais le corpus humain n'avait pas été capable de produire des éléments aptes à comprendre ce qui s'était passé; d'où la multiplication des bouffons nécessaires à une mise en branle des « masses » et qui aveuglément permirent ainsi la réalisation de ce qui advenait.

Par là on ne veut nullement dire qu'il ait manqué une « direction » quelconque; le parti ne peut pas être conçu séparé de la totalité.

Les fascistes, les nazis parlaient d'une révolution populaire, les sociaux-démocrates aussi. Les communistes coincés dans leur racket devaient soit défendre la révolution purement classiste, soit se lancer à corps perdu dans le front unique et donc patauger dans la révolution populaire. D'où, en définitive, on en arrive chaque fois au même résultat.

La donnée de bouleversement qu'apportent le fascisme, le nazisme etc.. ne peut être niée. Là on voit bien qu'il faut faire des différences entre les mouvements qui permirent la réalisation de la domination formelle du capital sur la société. Le franquisme par exemple en s'appuyant sur l'Eglise attestait sa faiblesse du point de vue de la montée du capital. En effet si l'Eglise a soute nu le fascisme comme le nazisme, ce sont des mouvements anti-religieux parce qu'ils portent en définitive la foi dans le capital, tout en posant un retour à la nature ( mais quelle nature ? n'a-t-on pas justement exaltation de l'homme domestiqué ? ); le capital devient lui-même mythe et pose une religion; il ne peut plus tolérer les autres présuppositions. Désormais se manifeste la dualité : la religion en tant qu'antique affirmation de l'homme et la religion du capital ( même si celle-ci se revêt des oripeaux des vieux cultes ) . Alors le fascisme réalisation de la religion dans le monde profane et, en ce sens, parodie de la révolution française ?

5.3.3.10. Fascisme et démocratie sociale.

La fausse alternative fascisme ou démocratie se posa au moment où déjà le premier avait triomphé, lors des fronts populaires. Au début l'opposition fut en fait prolétariat-fascisme, mais dès que ce dernier l'eut emporté, la lutte pour la démocratie devient le moyen le plus sûr de conjurer toute possibilité de reprise, en fournissant un objectif fallacieux.

Il est possible que cette opposition soit encore reprise au moment où le heurt de classes se fera plus dur. Cependant il est clair qu'il faille poser dès maintenant que le fascisme est la réalisation de la démocratie. C'est la démocratie telle qu'elle peut être en période de domination réelle du capital sur la société, c'est la démocratie sociale.

Ce qui se posera sera une lutte ouverte avec l´actualisation d'une terrible répression qui rappellera celle effectuée par la fascisme, mais le contenu sera différent puisque les objectifs fondamentaux du fascisme ont été réalisés.

5.3.3.11. La lutte de classe qui s'est déroulée entre la période de la victoire du fascisme en Allemagne et le déclenchement de la seconde guerre mondiale tendit à éliminer le prolétariat en tant que classe, mais cela ne se réalisa complètement qu'avec cette dernière et ce par l'entremise de la lutte contre le fascisme.

Le mouvement de la Résistance, des partisans, a utilisé un mécontentement réel du prolétariat, sa volonté de s'opposer au capitalisme et permit, comme en Espagne de dévoyer le prolétariat dans la croisade anti­fasciste. On agita la perspective qu'une fois le fascisme abattu, il serait possible, ensuite, avec l'aide de l'Etat russe, de se dresser contre les ploutocraties occidentales et les abattre. Or, lorsque le moment fatidique arriva, les directions des différents partis désarmèrent les milices populaires, le dernier élan était brisé pour longtemps.

Les pays fascistes avaient été battus mais qui avait gagné la guerre, le fascisme ou la démocratie ? Ce fut en fait le triomphe généralisé du fascisme et l'élimination définitive de la démocratie politique.

Cependant du fait que la violence physique n'apparaissait plus on en déduisait que le fascisme avait été vaincu. On déclara qu'il avait été un accident de parcours du capitalisme et que l'on assisterait au déploiement du démocratisme. Or la violence est une caractéristique de toute les sociétés de classe. En outre ne peut-on pas poser fascisme passif = violence potentielle ?



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