les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)
4. le mythe de la crise mortelle |
L'idée de la crise mortelle finale ne s'est jamais imposée ni à Marx, ni à Lénine, ni à Luxembourg. Marx a toujours cru que c'était dans les mouvements ouvriers que gisait la possibilité de la révolution. Au sein de la social-démocratie, on prévoyait qu'une crise inéluctable surviendrait un jour, mais aucune crise économique ne fut jamais présentée comme la dernière. Dans l'« ère de guerres et de révolutions » qu'annonçaient Lénine et Luxembourg, ils ne voyaient poindre aucune impossibilité technique pour le capital de fonctionner. La thèse d'une crise mortelle dont l'issue serait nécessairement soit la révolution, soit la barbarie (car ses tenants ne donnent pas dans un optimisme béat peu soutenable à l'époque) naît après 1920, quand il devient justement difficile de croire aux vertus révolutionnaires du prolétariat. La faillite de l'espoir de 1917, survenant après la débandade de 1914, incite à croire à la nécessité d'un stimulus économique qui pousserait le prolétariat à cette révolution qu'il renâcle tant à faire. |
Aujourd'hui la tentation est forte de reprendre l'idée d'une crise finale en l'étendant ou en la déplaçant au niveau social : le capital étant censé ne plus pouvoir élargir son rapport social, on irait vers le communisme ou un totalitarisme exposé à des catastrophes écologiques sans précédent. Il faut pourtant rappeler que la crise du capitalisme, c'est son incapacité à intégrer sa contradiction fondamentale : les prolétaires dont il vit. Les crises qu'il connaît et celle, très grave, qu'il traverse en ce moment, ne deviennent fondamentales qu'en cas d'intervention communiste des prolétaires. La crise fondamentale du capitalisme, c'est l'action prolétarienne qui s'attaque à son fondement. Il n'y a pas de crise sociale sans un minimum de crise économique, qui crée un contexte favorable en ébranlant les bases sociales, en révélant les failles, en interdisant certaines formes de domestication. Il n'y a pas d'égalité garantie entre le niveau de gravité des difficultés économiques et celui de la capacité communiste des prolétaires. |
Le communisme théorique n'est pas la théorie de l'effondrement du capitalisme, mais de l'émancipation humaine à laquelle le capital apporte malgré lui un nouvel élan. La théorisation des crises n'a pas pour but de prophétiser la fin prochaine du capital, mais de lire dans ses soubresauts les « conditions générales en vue de l'établissement d'une production communautaire » (Marx). |
La limite du capital n'est ni économique, ni naturelle, elle est humaine. Il n'y a pas de stade suprême du capitalisme. Engels se trompait déjà en attribuant au chartisme des qualités radicales absentes, sous prétexte que les conditions de vie des ouvriers lui paraissaient trop affreuses pour qu'ils les supportent plus longtemps. |
Les hommes ne seront jamais confrontés à un capital dominant tout, et donc « pur », suscitant contre lui un prolétariat tout aussi « pur » et donc enfin radical. La tentation de réduire la vie sociale à une mécanique surgit quand l'action humaine semble faire défaut. Elle est aussi trompeuse que la tentation inverse de nier le caractère objectif des phénomènes historiques en misant sur une avant-garde ou une prise de conscience. |
Socialisme ou barbarie, apocalypse ou révolution : affirmer une telle alternative, c'est encore chercher une garantie de succès. En s'affirmant que si le prolétariat ne fait pas la révolution, ce sera l'enfer, on se masque toute possibilité d'évolution du capital et on pose, on se donne l'exigence d'agir tout de suite et radicalement. Cette alternative théorique déforme la réalité et impose dans la pratique l'alternative entre une obligation d'agir proche du militantisme, et le désespoir. |