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les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)

 

8. la classe ouvrière est-elle la seule classe dans l'histoire ?
Si l'on définit une classe comme un groupe d'hommes jouant un rôle et ayant des réactions et des intérêts similaires par rapport à la production (définition du marxisme classique), les classes sociales « pures », apparaissent quand la production s'émancipe et tend à devenir le maître de la société, ce qu'elle n'a fait qu'au terme d'une longue évolution, avec le capitalisme moderne. Une longue histoire conduit à l'apparition de groupes sociaux entièrement déterminés par la production.
Quand on emploie le mot classe pour la première fois, à Rome, il désigne une catégorie fiscale : les citoyens sont répartis en classes selon leur fortune : les prolétaires étant ceux qui ne possèdent que leurs enfants (proles) donc les plus démunis. Comme on le voit, d'autres déterminations et, notamment la détermination de la famille, définissent la classe. Jusqu'au XIXe siècle, les classes sont des groupements à la fois économiques, sociaux, politiques et juridiques, se confondant, se superposant aux distinctions formelles des « ordres » des « états », etc.
Seul le capitalisme moderne crée les conditions de la fluidité sociale qui permet le passage d'une classe à l'autre, c'est-à-dire l'atomisation des individus et donc la domination de la détermination par la production. Il n'y a plus de communautés de « classe » fermées -- ce qu'étaient les ordres et les états, mais la communauté du capital.
Après la fin des communautés archaïques, l'histoire ne se résume donc pas à la lutte de classes. La révolution communiste n'est pas le passage d'une domination de classe à une autre, même si la nouvelle classe dominante est censée se fondre rapidement dans l'humanité, absorbant en elle tous les êtres en les mettant au travail. Ces schémas ne font que reprendre ceux de la révolution et de la société bourgeoise, en les universalisant.
La « classe ouvrière » du XIXe siècle est la première classe au sens plein et moderne, au sens où la détermination par la production la définit entièrement. Ses membres sont « libres » de toute attache. Déracinés issus de plusieurs classes, les ouvriers de 1840 formaient un groupe répondant bien à la définition sociologique : ils ne tenaient un rôle social que par le salariat où ils entraient. Ils ne pouvaient se reproduire comme classe que par la médiation du capital. Ils avaient pourtant plus de liens avec des communautés antérieures encore vivaces, que les salariés actuels. Le travail salarié est resté longtemps pris dans des protections et des contraintes imposées par les statuts et les coutumes. Mais les ouvriers du début du siècle dernier avaient en commun ce que les salariés actuels, le plus souvent, n'ont plus : le travail manuel industriel, en même temps qu'une dépossession brutale récente.
Et la bourgeoisie ? Les frontières ont toujours été floues entre ce groupe et celui des anciennes classes dirigeantes, telles que la « noblesse » en Occident, elle-même plus statut que groupe socio-économique. Par leurs fonctions marchandes mais aussi juridiques (bourgeoisie des parlements en France), les bourgeois échappaient souvent à la délimitation étroite de classe : ils n'étaient pas seulement ceux qui possédaient les moyens de production.
On ne peut pas non plus parler de classe à la campagne avant l'époque moderne. La vie villageoise restait celle d'une communauté de familles évidemment dominée par les riches, mais les rapports sociaux, réglés par la coutume, interdisaient que l'intérêt des individus, quelle que fût leur place dans la production, l'emportât sur celui de la communauté. Le salariat agricole pur comme on le connaît en Occident est une exception historique. De même la classe des petits propriétaires ruraux ne fut une entité historique que dans certains pays et à certaines époques.
Dans les sociétés pré-capitalistes comme aujourd'hui dans les sociétés capitalistes archaïques (à l'Est et dans le tiers monde), l'Etat contrôle le développement des groupes sociaux, n'autorise pas l'individualisation d'agrégats qui ne reposeraient que sur une communauté d'intérêts internes à eux-mêmes. Dans l'univers pré-capitaliste l'Etat n'était pas le concentré de la société, sa force dynamisée, mais d'abord le garant de son équilibre. Ce n'était pas un appareil comme l'Etat moderne. Aucune instance sociale ne s'autonomisait.

 

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