les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)
| 9. qui a théorisé la lutte des classes ? |
| La définition des classes renvoie à la production. Tout est la. Quelle société, et, là-dedans, quel groupe, reposent d'abord sur la production ? Ce ne sont pas les gestes de l'esclave ou tu serf gui les distinguent du paysan libre, mais les rapports sociaux. Or les rapports « sociaux », en dehors de l'acte « productif » lui-même, ont plus ou moins de poids, déterminent plus ou moins cet acte productif, selon la société. Esclave et serf sont dans une relation bien plus personnelle, dans une vie bien plus socialisée que le salarié, y compris à leur travail. On n'emmène pas ses enfants au bureau, on n'y amène pas ses amis. |
| Quand naît la sphère économique, on voit émerger des classes. Le critère de la propriété ou du contrôle des moyens de production n'a de sens que si l'usage de ces instruments est une activité séparée des autres, et ces biens des choses mobiles, transférables d'un individu à un autre, vendables, « libres ». Il ne pouvait y avoir d'économie en Mésopotamie, quand la Cité et le Temple possédaient l'essentiel des richesses productives. On parle de classe quand des êtres peuvent passer facilement d'une classe à une autre et des choses facilement d'un être à un autre. Il faut donc que les groupes aient des fonctions différenciées. Tant qu'il existe une société communauté ou un État-communauté, on ne peut parler de classe véritable. |
| Par contre, si la différenciation des fonctions est rigide, et les êtres lies à une fonction par la naissance, on a apparition de castes qui ossifient la circulation des êtres et des biens, bloquant la formation d'une richesse marchande tendant à un capitalisme et à un Etat moderne. |
| On sait que le colonialisme anglais a renforcé le système des castes en Inde; la fonction se fige alors en statut. Le Japon actuel compte encore plusieurs millions de sous-citoyens, les Eta, descendants de castes occupant des fonctions méprisées parce que jugées impures. On ne rencontre les Eta que dans les emplois les moins qualifiés et les moins payés. |
| Dans le même temps qu'il bloquait l'Inde, le capitalisme anglais créait les conditions d'une classe capitaliste moderne. Des entreprises comme les Compagnies des Indes produisaient « un capitalisme en rupture avec les habitudes marchandes » (Braudel), où le capital dépassait les actionnaires, devenait une puissance gérée par des administrateurs plus puissants que les propriétaires, en tout cas leur échappant. Seul l'Occident, jusqu'au XIXe siècle, créait ce capitalisme au-delà de la propriété familiale. On constate que la véritable classe capitaliste n'est pas la bourgeoisie traditionnelle mais le groupe des managers... salariés. |
| L'évolution n'était pas achevée au début du XIXe siècle, mais assez avancée toutefois pour que la bourgeoisie elle-même, surtout après la révolution française, ait besoin de découvrir les classes et la lutte des classes. Marx et Engels ont reconnu plus d'une fois leur dette envers les historiens bourgeois français à ce propos. |
| Michelet regrettera assez cette division en classes du « peuple » qu'il célébra, préfigurant la Gauche de toujours. Marx précise que la « découverte » de la lutte de classes n'est pas de lui. Engels a beau mettre une note, en 1888, corrigeant l'affirmation du Manifeste dont le début réduisait l'histoire à la lutte des classes, rien n'y fait. La vision courante demeure : la révolution prolétarienne, c'est la lutte des classes qui continue. Pourtant, si la bourgeoisie a déclaré la lutte de classe achevée après sa révolution, le communisme théorique ne se borne pas à affirmer la poursuite de cette lutte. |
| Le mouvement ouvrier organisé en partis et syndicats, lui, affirmera bien haut la lutte de classe. Il s'agira pour lui de prolonger une révolution bourgeoise indéfiniment perfectible, d'y ajouter un contenu ouvrier, social, démocratique, populaire. Tout cela lié à la conviction d'un développement capitaliste progressif, d'une industrialisation bienfaisante parce qu'apportant dans ses flancs la lutte de classe qui mène elle-même au socialisme... |