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les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)

 

10. Le prolétariat, négatif social
Parallèlement, bourgeois et révolutionnaires, un peu avant le milieu du XIXe siècle, ont besoin de théoriser le « prolétaire » parce que la notion d'ouvrier ne suffit pas à comprendre le monde nouveau qu'ils ont sous les yeux. A partir de 1830, et en particulier après l'insurrection lyonnaise en 1831, on aperçoit autre chose dans l'ouvrier que celui qui fait une oeuvre, on voit en lui plus qu'un travailleur manuel. L'idée d'un prolétariat, d'un groupe défini non par ce qu'il fait, mais par ce dont il est dépossédé, et donc par le refus de cette dépossession, surgit, y compris chez les bourgeois perplexes ou philanthropes. Ouvrier renvoie à une réalité sociologique :
« Se dit en général de tout artisan qui travaille de quelque métier que ce soit. » (Encyclopédie)
Il ne suffit plus, comme Marat en 1790, d'évoquer « les classes inférieures de la société ». L'apparition du terme « prolétaire » s'inscrit dans une réflexion sur l'histoire, sur la perspective offerte par le capitalisme naissant et son éventuelle faillite. Dans le Code de la Communauté (1842), Dézamy nomme même « prolétaires les ouvriers des villes et les paysans des campagnes ». La définition socio-professionnelle ne lui convient pas. Pour lui, ils ne sont pas seulement, ou surtout, ouvriers et paysans. Il faut aussi un terme spécial pour les réunir sous ce qui leur est commun. Leur « travail dépend de causes laissées en dehors d'eux ». Un auteur postérieur écrira : « L'ouvrier naît prolétaire, meurt prolétaire ».
Contrairement aux classes en conflit dont parle Guizot, le prolétariat n'est pas seulement conçu comme groupe en lutte contre la société, mais comme groupe dont l'existence est déjà, en elle-même, un négatif de la société, sinon sa négation prochaine, la révélation du vrai visage de l'industrialisation et son remède.
Le prolétariat dont parlent les révolutionnaires, dont Marx, dans les années 1840, n'est pas constitué de la réunion des travailleurs manuels face à d'autres travailleurs ou non-travailleurs. C'est la constitution, par le Capital mais contre lui, d'individus s'associant en communauté sans y être en tant que membres d'une classe sociologique : ils n'y apporteront pas la prétendue positivité du manuel face à l'intellectuel, par exemple. C'est la réunion de tous ceux qui sont niés, et les ouvriers de loin les plus nombreux n'en sont pas en tant qu'ouvriers, mais en tant que niés.
En même temps, ce regroupement (plutôt que groupe social) a pour lui le nombre : « une classe qui constitue la majorité de tous les membres de la société » (Idéologie allemande, 1845). Ses membres sont au coeur de la société, alors que les exploités en révolte avaient surgi, jusqu'au XIXe siècle, à la périphérie des activités alors les plus importantes (esclaves, artisans).

 

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