les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)
14. le communisme théorique n'est pas la théorie des luttes de classe, mais de la lutte qui met fin aux classes |
La classe ouvrière se reconnaissait premièrement comme travailleuse, et deuxièmement comme groupe distinct en conflit ou en alliance avec d'autres. Marx (voir sa célèbre lettre à Weydemeyer de 1852) et les révolutionnaires ont bien indiqué que leur apport essentiel n'était pas d'affirmer l'existence de la lutte de classes, mais les trois motions suivantes : les classes s'expliquent par des conditions socio-économiques; la lutte des classes aura pour terme une révolution et la dictature du prolétariat ; cette dernière sera la fin des classes. Or, une fois encore, la mise au point n'a pas été assez explicite. Elle n'a pas pesé lourd comparée à l'appui réel et massif, et peu critique, donné par les communistes à la formation d'un mouvement ouvrier réformiste, non-révolutionnaire, avant d'être contre-révolutionnaire, utilisant la théorie révolutionnaire en en neutralisant (du vivant de Marx et dès la fondation de l'AIT en 1864) les dimensions subversives. |
Une suite de glissements conduit aux équations
-- action communiste = lutte du travail contre le capital -- action de classe du prolétariat = conflits du travail. |
Une telle évolution fut le fruit d'une réalité sociale, c'est-à-dire la pratique de la classe ouvrière d'alors, prolongée sous d'autres formes depuis, dont il faut dresser le bilan. |
Le maximum de radicalité dans l'existence d'une classe ouvrière constituée en bloc distinct, avec ses valeurs et même ses armes, peut se voir dans l'exemple des mineurs boliviens. |
Après 1945, ils se sont donnés une organisation syndicale pratiquant une ligne très dure : contre la collaboration de classes, contre l'État et son armée. C'est le repli extrême de la « classe » sur elle même qui s'impose en tant que classe, au sens strict, à la bourgeoisie et à l'État : les seules forces du pays étant en définitive l'armée et les milices ouvrières. Vivant sur leurs hauts plateaux, aussi autonomes qu'on puisse l'être sur le plan politique et culturel, avec leurs radios libres et leur économie en circuit fermé, ils se sont ainsi assurés de rester ouvriers tant qu'il y aurait des mines. Mais le minerai, lui, doit sortir et, régulièrement, l'armée écrase les organisations ouvrières et s'empare des radios (1956, 1967, 1976), -- depuis lors, l'armée est en permanence dans les zones minières --, 1980 quand l'armée a soumis les mines --). Mais le mouvement renaît ; parfois (1979) les syndicats décident la grève et la mobilisation, et l'État n'intervient pas. On dira que les mineurs sont dans une impasse parce qu'ils ne dépassent ni le cadre syndical ni le cadre régional. N'est-ce pas plutôt le type d'actions menées qui enferme sur ces limites, favorisant puis maintenant un appareil qui, ensuite, négocie avec d'autres appareils pour soutenir, ou non, le régime, comme en 1952 ? |
Sous une forme extrême, les mineurs boliviens illustrent la constitution des ouvriers comme classe en groupe de pression. Mais, dans la révolution mexicaine, les ouvriers se mat parfois organisés en armée contre la révolte paysanne. La lutte des clames peut devenir, et est généralement. l'affrontement des groupes cherchant chacun son intérêt au détriment de celui des autres. Les ouvriers n'en ont pas l'exclusivité. |
Le nouveau régime éthiopien, depuis 1974, a obtenu des paysans, à qui il a distribué de la terre, qu'ils forment une milice pour aller défendre, au nom de la révolution et de la réforme agraire, l'unité de l'Éthiopie contre les rebelles érythréens ou somalis. |
Quand Walesa écrit à Jaruzelski (29.12.83, cité dans Le Monde, 31.12.84) : « je ne suis pas un adversaire, je ne suis qu'un partenaire exigeant [ ... ] », il ne fait qu'exprimer ainsi un aspect de la pratique générale des prolétaires du monde entier. |
La contradiction du prolétaire est que le travail salarié fait de lui, en associant son activité, un être collectif, mais dans une activité où il reproduit le capital. Tant qu'il s'organise à ce seul niveau, il agit comme élément, même rétif, du capital. Lutte n'est pas forcément synonyme de lutte à mort contre le capital. Il y a lutte de classe réformiste et lutte de classe révolutionnaire. La résistance ouvrière a trois fonctions selon les cas : elle peut avoir des potentialités révolutionnaires ; pousser à une modernisation capitaliste (Angleterre du siècle dernier) ; ou freiner cette modernisation (Allemagne des années 20) ; les trois se combinent. Actuellement, les revendications accélèrent et limitent à la fois les investissements nécessaires à la robotisation. |
Le mouvement communiste ne coïncide pas avec la lutte de classe. Son but n'est pas de dresser une partie de la société contre une autre. Au moins depuis la guerre d'Espagne, on sait qu'une guerre civile peut être contre-révolutionnaire. Le Liban le prouve assez. Mais la défense des intérêts ouvriers peut aussi l'être. Tout conflit entre bourgeois et ouvriers, voire entre l'État et les ouvriers, n'est pas forcément positif. |
Mais le mouvement communiste passe par la lutte des classes, puisque le capital, comme tout rapport social eu porté par des hommes unis pour le défendre et disposant à cette fin d'une force sociale et étatique. L'opposition d'une fraction de la société à une autre, et la lutte armée qui en découle, ne sont que des aspects du mouvement communiste. |
C'est au contraire le réformisme qui se réclame de la lutte de classe, bien qu'il la pratique en négociant, plus qu'en livrant bataille. Syndicats et partis ont besoin d'une lutte de classe pour jouer les intermédiaires : il leur faut une lutte de classe éternelle. Ce qui est révolutionnaire, ce n'est pas d'insister sur la lutte de classe, mais de dire qu'elle peut avoir un terme dans le communisme et par une révolution. L'exaltation de « la lutte » n'a rien de radical en soi. Le vocabulaire de la guerre dont nous faisons un trop large usage, ne correspond pas mieux à la nature de notre mouvement que celui de l'humanisme. |
Une révolution communiste aura une dimension classiste parce que nous vivons dans une société de classe, mais pour être communiste, elle résorbera cette composante, simple matière première, terreau historique inévitable à partir duquel émergera la dimension humaine, communautaire. |
Qui plus est, parler de classe semble protéger notre action des influences délétères, mais c'est une illusion ! L'appartenance de classe, la revendication acharnée d'une identité ouvrière ne sont nullement incompatibles avec l'appartenance à une société globale. On se veut ouvrier et non classe moyenne, comme beaucoup d'ouvriers anglais, mais on se veut aussi Anglais, Américain, etc. Le discours de classe donne un sens à la vie de l'homme isolé qui rejoint ainsi la société à travers l'adhésion à un de ses groupes. Travail, production, classe sont des réalités capitalistes qui ne peuvent pas en tant que telles se dresser comme révolutionnaires. |