les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)
17. la contre-révolution au nom du travail |
Pour la quasi totalité du mouvement socialiste, libertaire, syndical de la fin du siècle passé, le communisme ressemblait à la vision de Kautsky : une grande entreprise étendue à toute la société, les radicaux y ajoutant ce qu'on appellerait aujourd'hui l'autogestion. Au moment décisif, en 1917 et après, la révolution fut combattue par les partis de gauche et les syndicats au nom du travail organisé. Au lieu de s'allier avec les classes moyennes libérales comme le préconisait Bernstein depuis 1980, le socialisme allemand s'unit avec l'armée et les réactionnaires, en jouant la stabilité du travail contre l'aventure révolutionnaire. |
Le stalinisme aussi s'est appuyé sur le travail organisé, dans les pays comme la France aussi bien que dans ceux où il prit la relève d'une bourgeoisie défaillante. Le régime tchèque, après 1945, dans un vieux pays industriel, s'est longtemps appuyé sur un fort corporatisme ouvrier, politique et syndical. Le Coup de Prague (1948) n'est pas seulement dû à la pression russe, mais encore à l'action de milices ouvrières bureaucratisées. Le nouveau régime de Slansky disposait d'une base syndicale puissante. Aujourd'hui, en Afghanistan, l'URSS, incapable d'écraser la résistance dans les campagnes, concentre son intervention sur les villes et la population rurale des plaines. Elle s'emploie à constituer une classe ouvrière, surtout dans l'industrie lourde où de grands syndicats pourraient réunir la masse derrière l'État pour moderniser le pays. C'est au nom du développement industriel et du progrès que les staliniens du monde entier soutiennent l'URSS en Afghanistan. |
La contre-révolution a assimilé socialisme et travail pour tous. La tentation était forte pour les révolutionnaires de s'opposer au réformisme et au stalinisme en revendiquant une identité d'« ouvrier communiste » (titre du journal de Prudhommeaux, alors communiste de gauche, à la fin des années 1920), pour affirmer que « leur » communisme venait de l'expérience prolétarienne et non des appareils bureaucratiques. Ils ne faisaient ainsi que retourner à la contre-révolution son propre discours. Les organes syndicaux les plus pourris ont aussi quelque chose à voir avec les luttes ouvrières. Le syndicalisme révolutionnaire était l'effort le plus cohérent peut-être de dresser une culture ouvrière face à la culture bourgeoise, sans médiation. Le PCF a réalisé ensuite un projet global, non plus en isolant « la classe », mais en la constituant pour l'intégrer à la société appelée nation. |