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les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)

 

18. fin du mouvement ouvrier classique et classiste
Le mouvement ouvrier, comme ensemble de formes de vie, de réactions, d'institutions et d'idées, organisé autour de la défense de la force de travail, mais offrant un terrain d'action à des groupes radicaux, ce mouvement a disparu. De la fin du XVIIIe siècle à 1914-1918, le mouvement révolutionnaire en a dépendu. Il critiquait le mouvement ouvrier, mais y puisait ses militants et ses énergies. Les groupes révolutionnaires actuels ne sont même pas des « fractions » telles que la gauche italienne les concevait, minoritaires mais liées à des conflits réels. Un mouvement révolutionnaire n'est pas porté par un mouvement ouvrier. Nous sommes orphelins.
Autrefois, d'une part, un monde ouvrier autonome était regroupé autour de ses propres valeurs et institutions : coopératives, mutuelles, maisons du peuple, associations sportives, culturelles...., bourses du travail, presse, avaient constitué l'univers du salariat organisé. D'autre part, le mouvement « ouvrier » prenait en charge des domaines non directement ouvriers : culture, sexualité, formation, loisirs. Le mouvement ouvrier était l'âme du réformisme. On pouvait naître, travailler, se marier, militer, se distraire, mourir, « ouvrier ».
C'était la belle époque de la propagande qui faisait vivre un milieu d'auteurs et de conférenciers, le temps du quartier et de la cité ouvrière, espace autarcique et clos dans ses valeurs. La social-démocratie ne fut pas la seule initiatrice de ce monde à part, ni la seule bénéficiaire de son instauration. En 1875, l'anarchiste J. Guillaume appelait les ouvriers à se constituer en contre-société et à la fin du XIXe siècle, il y avait un certain nombre d'anarchistes qui vivaient de leur plume et de leurs conférences.
A l'origine, le capital traitait les ouvriers (et les autres facteurs sociaux dont il avait besoin : État, culture, etc.) comme des matériaux qu'il utilisait sans les pénétrer totalement. Puis il les reproduisit lui-même, les organisa directement en les reliant par la consommation en masse d'objets et de signes.
Après avoir eu une existence autonome dans la phase de développement extensif et de consolidation du capital (en gros, de 1871 à 1914-29), le monde ouvrier est devenu un simple appendice du capital. Là où il est une puissance énorme dans l'économie, comme c'est le cas en RFA, il ne l'est qu'à la façon d'une entreprise capitaliste dépourvue de traits ouvriers spécifiques. Les fonctions sociales autrefois assurées par les organismes ouvriers sont prises en mains par le capital et par l'État : le supermarché succède à la coopérative, la Sécurité sociale à la mutuelle. L'Etat ne se substitue pas au capital, il en réalise les lois, organisant le paiement en argent de tout service rendu.
Pendant sa période de relative autonomie, le mouvement ouvrier et syndical développe l'utopie ouvrière capitaliste : élimination du capital parasite (finance) au profit du capital productif (industrie) ; généralisation du travail ; direction de la production, et donc de la société, par les travailleurs organisés. L'idée d'une république du travail, démocratique et totalitaire, revêt mille formes dans les milieux socialistes et syndicaux, ainsi que dans la plupart des cercles « réactionnaires » (Sorel et G. Valois en France). Cette utopie prend plus d'ampleur dans les régions où règne la mono-industrie concentrée. Les mineurs de charbon gallois offrent l'exemple d'un milieu très combatif, très solidaire, jusqu'à l'action suicidaire (grève de plusieurs mois dans un contexte défavorable, terminée par une défaite écrasante). Ils veulent un « univers industriel » (an industrial cosmos) où l'État résulterait d'une pyramide de collectivités salariées démocratiques. Les Fabiens préconisaient une démocratie industrielle : les mineurs prennent le réformisme au mot, pour le réaliser vraiment.
Cette utopie n'est pas seulement impossible parce que le développement du capital ne peut être démocratiquement contrôlé. Mais aussi en raison de la désagrégation de la. communauté ouvrière sur laquelle reposait ce rêve et à l'image de laquelle il voulait refaire le monde.
La fin de la contre-société n'est pas une affaire d'organisation. Le mouvement ouvrier ancien a disparu parce que sa fonction, le réformisme, a été prise en charge par une multitude de médiations capitalistes. La contre-société est presque dissoute dans la société tout court. Le réformisme se démultiplie avec les instances d'arbitrage, les travailleurs sociaux, les médias. Après 68, le gauchisme a accéléré cette pénétration du réformisme dans tout le corps social, avec le développement de néo-réformismes autonomisant toutes les dimensions autrefois explorées par le mouvement ouvrier (féminisme, pédagogie, questions sexuelles ... ) .

 

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