les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)
19. intégration par la négation |
Les partisans de la thèse de la disparition du prolétariat le voient intégré, fondu dans la société industrielle ou post-industrielle : les ouvriers auraient cessé d'être eux-mêmes. La réalité est autre. C'est en continuant d'être eux-mêmes et seulement travailleurs qu'ils s'intègrent (nous ne disons pas : qu'ils sont intégrés pour de bon ; ils restent toujours les acteurs de leur propre évolution, quoique dans des conditions qu'ils n'ont pas choisies mais peuvent toutefois modifier). |
Le capital vit aussi de la contestation ouvrière dans un cadre anti-patronal, anti-bourgeois, mais capitaliste. L'expérience de 150 ans de luttes de classes modernes Prouve qu'on peut se battre contre le capital tout en restant à l'intérieur, c'est-à-dire se battre finalement pour une forme de capital contre une autre. |
Il existe une intégration positive : le capital gagne directement à lui les prolétaires, qui se conforment à ses normes. Il y a aussi une intégration négative, indirecte,. où les prolétaires se rebellent contre les normes sans remettre en cause l'origine des normes : le capital. |
Certaines erreurs fondamentales bloquent les têtes révolutionnaires. On prétend encore avec Lénine que « derrière chaque grève se dresse l'hydre de la révolution ». Non. La première réaction à l'annonce d'une grève ou même d'un affrontement avec la police ne doit pas être de se réjouir automatiquement. Une forte majorité de mouvements sociaux font partie du fonctionnement normal du capitalisme et comme tels travaillent à sa conservation. Tout dépend de ce qu'est et devient la grève. |
La démocratie est l'organisation capitaliste par excellence, pour des raisons de fond et non contingentes. Le capital suppose la concurrence, la confrontation des pôles de valeur rivaux, même s'ils sont monopolistiques, même s'ils sont contrôlés par l'État. Or la démocratie n'est pas la simple réduction de chaque prolétaire à un citoyen doublé d'un producteur et d'un consommateur. Non seulement elle tolère mais encore elle a besoin de groupes raisonnablement conflictuels. L'identité ouvrière a servi et sert encore de puissant dénominateur commun à des regroupements facilitant une intégration négative. |
Une lutte ouvrière qui n'est que lutte ouvrière, n'entretient qu'elle-même, c'est-à-dire participe de l'autodestruction de l'humanité. Comme le catoblé-pas, animal fabuleux qui se dévorait lui-même. |
Bien entendu, quand les révolutionnaires d'aujourd'hui, comme ceux du début du siècle, parlent d'action de classe, ils entendent l'action révolutionnaire. Mais ce qui compte, c'est que, contrairement à ce que croit la gauche italienne (et d'autres), l'auto-défense des exploités n'est ni par elle-même révolutionnaire, ni un marchepied indispensable à une action révolutionnaire. Certains ont eu l'intuition de la difficulté, Bakounine par exemple, quoique dans une vision encore politique qui inhibe sa critique (voir Sergent et Harmel, p. 414, note 1). |