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les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)

 

23. bouleversement de l'éthique du travail
Au XIXe siècle, l'idéal de la bourgeoisie était le travail. L'école de Jules Ferry donna en modèle aux petits enfants : le bon ouvrier. Le travail industriel était le moule idéologique de la société, jusque dans l'importance accordée à la production dans les projets planistes, dirigistes-corporatistes de l'après guerre. Quand le capital devient la « véritable valeur d'usage » (Marx) il pénètre partout. La division sociale en classes ne vient plus d'un héritage capitaliste modifié : le capital la produit de plus en plus lui-même. Depuis 1945, ce ne sont plus ni les ouvriers, ni les anciennes couches moyennes qui donnent le ton, mais les nouvelles couches moyennes, produit exclusif du capitalisme. Ceux que Debord théorise sous l'appellation de « cadres », 'communient dans la consommation, donnent leur modèle à la société, en entraînant plus ou moins dans leur mode de vie des ouvriers partagés entre le rêve encore vivant de leur communauté ancienne et le mirage permissif et consommationiste.
L'éthique du travail empruntée par le capitalisme au christianisme s'est modifiée au fil du temps et évolue encore. Le travail -- malédiction nécessaire des origines a cédé la place, à la fin du XIXe siècle, au travail -- devoir social mais aussi promotion individuelle. Le travail n'était plus une obligation naturelle ou une évidence, comme le montrait le chômage. Il fallait travailler d'abord à l'école, pour pouvoir accéder au travail, et si possible, « aller plus loin » : ouvrier qualifié, instituteur, ingénieur... La contrainte transcendante de l'époque révolue où la religion servait directement le patron en se bornant à enseigner le respect, devenait contrainte personnelle : le travail n'était plus une loi divine mais un devoir dû à la société. Il s'intériorisait de plus en plus.
Les pays retardataires de l'Est tiennent encore ce langage, qui a cessé d'être dominant en Occident, où seuls le PC et certains gauchistes restent franchement ouvriéristes. L'OST a effrité les valeurs ouvrières. Le goût du travail bien fait et la fierté d'occuper un poste 'qualifié n'ont pas totalement disparu, pas plus que le rêve d'une promotion au sein de l'identité ouvrière. Mais le terrain est de plus en plus occupé par le travail -- moyen-de-gagner-sa-vie. La société capitaliste met l'accent non plus sur le caractère concret du travailleur, sa capacité dans un domaine, mais sur son adaptabilité, son aptitude au recyclage. L'homme devient pour de bon l'enveloppe d'une activité interchangeable dont le contenu indiffère. Le travail devient visiblement abstrait.
La morale du travail s'efface. Le travail pénible mais rédempteur n'est plus le mot d'ordre principal. L'idéologie dominante ne passe plus principalement par l'école mais par la publicité, qui glorifie l'informe classe moyenne. Le capitalisme glorifie désormais moins l'effort que l'acte, la participation à la vie collective. En mettant l'accent plus sur l'activité que sur le travail, il singe le communisme. Devenu totalité, le capital peut se faire une image libérale. Qui dirait aujourd'hui comme Jaurès qu'« il n'y a pas d'idéal plus noble que celui d'une société où le travail serait souverain » ?
Quand l'ouvriérisme a cessé d'être l'idéologie dynamisante du capitalisme, le mérite serait bien mince de s'arrêter à sa critique. La théorie révolutionnaire doit dénoncer le travail en montrant la possibilité d'une activité toute autre.

 

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