les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)
25. vaines échappatoires |
La mort du prolétariat est à la mode, ainsi que l'interprétation de Marx comme apôtre du développement industriel. Gorz parle du passage de la classe ouvrière à une « non-classe de non-travailleurs » faite de « sans statuts », de « sans classe ». La réfutation d'un tel crétinisme est trop facile. Il ne suffit pas de montrer en Marx bien autre chose qu'un chantre des forces productives, ni de prouver la permanence du mouvement communiste, dont des penseurs annoncent depuis 150 ans la fin. Il ne s'agit pas non plus de savoir si oui ou non il réussira. Mais de comprendre quelles formes il prend et prendra. |
On a souvent fait remarquer (par exemple autrefois le Bulletin communiste d'Aix) que la définition du prolétariat oscillait entre deux pôles : « philosophique » et « sociologique ». Tantôt l'on donne un contenu concret à la notion de prolétariat-négatif social en renvoyant aux actes des prolétaires. On fait de la psychologie de masse, de la sociologie ouvrière, on s'éloigne de la question centrale : la production du communisme par le capitalisme. Tantôt, devant la pratique contestataire mais non (ou très peu) communiste des mêmes prolétaires, on explique qu'ils finiront bien par agir suivant leur être profond. On se déplace sans cesse de l'ouvrier au prolétaire, des conflits du travail à la subversion communiste, du concret peu satisfaisant à un abstrait attirant mais inexistant, sans jamais en faire la synthèse théorique. Peut-être parce que nous ne savons pas voir l'amorce de la synthèse qui s'en ébauche dans les faits et gestes des prolétaires. |
« La crise actuelle du capitalisme
international n'a pas produit de nouveau mouvement révolutionnaire,
elle n'a fait paradoxalement qu'aggraver la crise de la théorie révolutionnaire
moderne. » (L'Internationale Inconnue, La Guerre civile en Pologne, 1976) |
L'incapacité à saisir le phénomène « prolétariat » est à l'origine d'un ensemble de tentations et de délires. Oublier la nature contradictoire du prolétariat, la constante dialectique intégration-négation, c'est concevoir un prolétariat resté pur « au fond », sous le mouvement ouvrier bureaucratique, c'est aussi imaginer que le PC, la CGT, etc. sont l'obstacle premier à une remontée révolutionnaire, et concentrer les efforts sur eux. D'où la stalinophobie de certains ultra-gauches, l'antisyndicalisme des autonomes. De là procèdent les « stratégies » visant à faire sauter un imaginaire « verrou » par la violence, le scandale, etc. |
Au lieu de remettre en question la vision courante d'une progression des revendications à la révolution, on peut être séduit par l'idée de sélectionner les revendications supposées radicales. Par exemple une réduction considérable du temps de travail et le salaire à 100 % pour les chômeurs et licenciés : « ... la réduction du temps de travail et le salaire garanti sont des objectifs qui présupposent un affrontement nécessaire avec le patronat et l'Etat bourgeois » (Le Communiste, organe du Groupe Communiste International, nº 9, février 1981, p. 25). Or, comme le disait le PC d'Italie dans ses thèses de Rome citées par cette revue : ou bien les réformes sont réalisées au profit du capital ; ou bien elles ne sont pas réalisées. Mais il n'y a pas de revendication magique. |
On ne fondera aucune organisation révolutionnaire sur l'usine. L'action et le regroupement communiste se font sur un projet global non pas interne mais opposé à l'entreprise. On ne greffe aucune revendication globale sur une revendication partielle qui ne confient rien d'« universel ». Une lutte partielle peut fort bien créer les conditions d'une exigence globale, mais les révolutionnaires ne provoquent pas cette transformation. Leur contact avec le mouvement social n'a lieu que si celui-ci contient déjà une exigence plus vaste, un refus général, une critique de la totalité, même résumée dans le geste le plus simple. Il n'y a pas de progression graduelle des conflits du travail à la révolution : l'action révolutionnaire ne consiste pas à « radicaliser ». Les ouvriers communistes se rencontreront peut-être à travers des luttes revendicatives, mais les groupes ouvriers communistes se constitueront contre la revendication. |
Les prolétaires ne se mobilisent plus sur un programme changeant leur condition dans le capitalisme. Mais ils mènent bon gré mal gré des luttes où la rencontre avec l'impasse réformiste suscite des noyaux informels radicaux. Les initiatives de groupes de jeunes ouvriers ont joué un rôle clé dans le déclenchement des grèves de 1968. A nous de contribuer à l'action de tels noyaux, quand cette possibilité existe. Mais il est vain d'inciter à pousser plus loin des actes réformistes enfermés dans le capital, en insistant sur l'« unité de la classe », car c'est la pratique réformiste elle-même qui divise. La revendication sera toujours celle d'une catégorie distincte des autres. |
Les révolutionnaires n'ont pas à apporter une organisation aux prolétaires. jusqu'ici tous les mouvements (gauche communiste incluse) ont voulu organiser les êtres humains, trouver un moyen de les réunir pour agir. La seule organisation durable est aujourd'hui celle du capital. Les réseaux de cellules d'usine ou de comités ouvriers qui ont tenté de se constituer dans divers pays comme l'Italie, se condamnent d'avance puisqu'ils posent le problème révolutionnaire à partir de la condition ouvrière au lieu de critiquer la condition ouvrière à partir d'un refus du mode de vie et de la production capitaliste. |