les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)
26. une question aussi vieille que la classe ouvrière |
La question du lien entre luttes revendicatives et communisme n'a jamais cessé d'être débattue. Selon le Manifeste, le vrai succès de la lutte ouvrière est « moins le triomphe immédiat que l'union grandissante des travailleurs ». Bordiga cite en 1913 ce passage pour justifier la position classique. Or à cette date les luttes ouvrières développent en moins autant les appareils syndicaux que l'union des ouvriers : elles jouent donc à la fois pour et contre l'expérience prolétarienne révolutionnaire. |
A l'intérieur de la thèse kautskyste de la conscience à apporter aux masses, Lénine, à sa manière, pressent que la révolution n'est pas la continuation de la réforme par d'autres moyens. Dès le début, les menchéviks et Trotsky, et plus tard Korsch, dénoncèrent le caractère illusoire, « antimatérialiste », d'une coupure entre un « mouvement ouvrier » réformiste et un « socialisme » qu'on y introduirait. Mais leur réfutation néglige la réalité du problème soulevé et non résolu par Lénine, et qui amorçait ce qu'il nommera lui-même en 1911 « une grave crise intérieure du marxisme ». |
La gauche allemande reposa la question, surtout à partir du reflux de la vague révolutionnaire, en mettant en cause, non plus seulement les organisations réformistes mais l'activité réformiste même des prolétaires. Gorter commentait ainsi la scission du KAPD « La tendance d'Essen a raison en théorie quand elle dit : lorsqu'il est sûr qu'une action n'est pas révolutionnaire et ne peut le devenir, l'Union et le KAPD n'y prennent pas part. » |
De leur côté, les anarchistes font avant 1914 une critique sévère du syndicalisme, non pour ses échecs, mais pour son succès Malatesta, qui prendra en 1914 une position internationaliste, déclare en 1907 : |
« Le mouvement ouvrier n'est pour moi qu'un moyen -- le meilleur évidemment ( ... ). Ce moyen, je me refuse à le prendre pour un but, et même je n'en voudrais plus s'il devait nous faire perdre de vue l'ensemble de nos conceptions anarchistes. » |
Pourtant, comme le marxisme, l'anarchisme recherchera un lieu où l'ouvrier soit radical : le syndicat, où les anarchistes joueront un grand rôle. Parti léniniste ou syndicat dit révolutionnaire, il faut toujours un espace social où « la classe » soit vraiment elle-même. Ce lieu clos, préservé, est désormais une utopie archaïque. |