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les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)

 

29. universalisation du capital comme du prolétariat
On peut illustrer l'extension planétaire de l'expérience prolétarienne et de ses contradictions par deux exemples convergents. La révolte gambienne de 1981, mouvement radical, sans frein, qui mourut de n'avoir pas de revendication précise à faire valoir et de s'en prendre à tout l'ordre mondial. La grève qui oppose, depuis un an et demi au moment où le présent chapitre est rédigé, 250 000 ouvriers de Bombay au patronat du textile (le Monde, 17-18 avril 1983). Ces deux exemples semblent aux antipodes l'un et l'autre. D'un côté, une émeute radicale et anonyme, proche d'une jacquerie. De l'autre, une grève massivement suivie, menée par un chef populiste. Mais ils montrent que l'amplification géographique du prolétariat par le biais de l'industrialisation répercute aussi les contradictions du mouvement prolétarien à la terre' entière.
Marx se trompait en prévoyant une marche inexorable de l'industrie dans le monde. Malgré ce qu'il savait de l'inégalité foncière du développement capitaliste, il croyait, dans le cas de l'Inde par exemple, que l'industrie appelait l'industrie, quelle que fût la volonté de la métropole. Il sousestimait les possibilités de blocage du développement économique des pays arriérés par les grandes puissances capitalistes. A l'intérieur même des pays les plus modernes, comme dans les pays retardés, le capital crée lui-même des zones de surdéveloppement et des zones retardataires. Le règne total du capital sur le monde ne passe pas par la transformation de tous les hommes en salariés et de tout objet en marchandise, même dans les pays les plus avancés (agriculture américaine).
Mais surtout, Marx a accrédité l'idée d'un dépassement des limites du mouvement révolutionnaire par son élargissement à la terre entière au moyen de l'industrialisation. Il croyait entre autres choses au dépérissement du nationalisme des ouvriers quand le capital serait pleinement internationalisé. On a vu ce qu'il en a été. A la suite de Marx, nous avons eu tendance à sousestimer la capacité du capital à se créer une communauté, à devenir lui-même une communauté. Il est manifeste que Marx partageait au moins en partie l'idée bourgeoise d'une espèce d'unification mondiale qui simplifierait les problèmes en supprimant une part de leur ambiguïté. Cela ne s'explique pas sans la croyance en une vertu positive de l'industrialisation, contraignant les prolétaires à s'unir, à voir en face la communauté de leur condition sur tous les continents et à agir en conséquence.
L'appui apporté par Marx à la bourgeoisie libérale, pour accélérer les choses, de la Nouvelle gazette rhénane en 1848-49 à son soutien à Lincoln, n'a pas d'autre motif. De même son appui à des chefs et à des organisations ouvrières qui n'avaient rien de révolutionnaires, trouvait son origine dans la conviction que le capital en dominant tout éclaircirait lui-même les choses, en épurant les organes ouvriers et en ne laissant d'autre choix qu'une révolution qui pourrait même être pacifique, car la force et l'étendue du mouvement y contraindrait la bourgeoisie.

 

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