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les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)

 

31. rien n'existe seulement comme négation, pas même le prolétariat
Pour que le prolétariat se soulève, se constitue en force cohérente (c'est la même chose) il faut bien qu'il ait existé préalablement à son soulèvement, qu'il ait existé au moins tendanciellement dans le capitalisme. Il existe donc au moins en négatif.
Or, qu'est-ce qu'une existence négative ? Camatte a eu le mérite d'indiquer la gravité du problème en déclarant que la théorie du prolétariat, c'était la théorie d'un absent. Si le prolétariat n'a de réalité que dans une dynamique, s'il ne se réduit à aucune quantité statistiquement observable, il ne mène pas pour autant une existence purement négative. Comme toute force sociale, les prolétaires ont horreur du vide. Des gens qui ne croiraient plus à rien, qui se contenteraient d'attendre le communisme, qui ne feraient strictement rien en dehors de gagner leur vie, seraient devenus objets du capital, formes prêtes à se remplir de n'importe quel contenu capitaliste qui se présenterait comme une rupture de la routine.
Autrefois, on s'appuyait sur du positif : la révolution était censée libérer le travail du capital. Mais les prolétaires ne peuvent plus se fonder sur quoi que ce soit d'existant en ce monde. Et cependant rien ne peut reposer sur le seul sentiment de rejet du monde ou sur les seules affinités. S'il en était ainsi, nous ne souffririons pas seulement d'une difficulté d'être et d'une difficulté à agir le moment venu, mais tout bonnement d'une impossibilité à être. Le vrai monstre serait cette entité chimérique : le prolétariat. Et la réalité, ce seraient les luttes revendicatives et les gens prêts à mourir pour tout sauf pour la révolution.
Deux exemples illustrent la difficulté d'une existence qui ne serait ni uniquement positive ni exclusivement négative. En 1974 lors d'une grève de quatre jours dans l'automobile aux Etats-Unis, il fallut attendre trois jours pour que des revendications fussent formulées. Le licenciement de quatre ouvriers et d'un délégué, qui était à l'origine de la grève, était considéré par les grévistes comme un simple prétexte. Ils ne se reconnaissaient pas dans cette seule cause et n'avançaient pas de revendications spécifiques. La grève prit de l'ampleur, refusa la routine des conflits rituels sans s'élever à des actes révolutionnaires. Ainsi en est-il de nombreux conflits qui éclatent dans l'espérance vague de susciter autre chose. On ne croit pas obtenir d'améliorations tangibles par des concessions patronales mais on les exige malgré tout. Comme « l'autre chose » à quoi l'on aspire n'a de sens qu'au niveau de toute la société, ce dont chacun est conscient, la grève meurt d'elle-même, parfois dans l'affrontement, parfois par simple désaffection et les syndicats obtiennent des concessions. De telles grèves n'auraient pas lieu sans une suite d'escarmouches préalables durant lesquelles les revendications les plus diverses sont présentées. Dans le cas de la grève de l'automobile citée, les ouvriers se débrouillaient en dehors des syndicats et leur mouvement fut violemment antisyndical.
Les émeutes anglaises de l'été, 1981 tendaient, elles, vers un universel qui, justement parce qu'universel n'arrivait pas à émerger, alors que les émeutiers noirs américains des années précédentes pouvaient facilement se retrancher derrière un programme qu'on pourrait résumer ainsi : nous aussi ! (pour les réformismes), nous ! (pour la fraction à prétention radicale). Il n'y avait pas de « nous » possible dans les rues anglaises de l'été 1981 car l'appartenance était directement donnée par les actes eux-mêmes. Les émeutiers n'étaient pas là en membres d'un groupe particulier. Mais leur mouvement épuisait sa force dans ce qu'il faisait. C'était un refus clair de tout, sans autre perspective.
Les deux exemples précités montrent que le communisme aujourd'hui ne se différencie pas forcément du reste du mouvement de la société par ce qu'il fait. En tout cas il s'en distingue toujours par la manière dont il le fait. Il ne peut donner naissance à aucun regroupement durable organisateur de luttes. Sa critique globale ne naît pas de rien, elle. s'appuie sur l'expérience des échecs d'aménagement du capital, mais les prolétaires ne nouent des liens communistes et n'agissent en communistes qu'après cette expérience.
Leurs rencontres et leurs actions se placent d'emblée au niveau de la totalité. Ces rencontres et ces actions, leur puissance, constituent la preuve que le prolétariat existe. Il n'y en a pas d'autre.

 

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