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DOSSIER : la traduction juridique et assermentée (Juillet 1999)

 

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Spécificités de la traduction juridique

Article de Frédéric Houbert, Traducteur libéral.

Il est une évidence que les textes juridiques ont pour principale spécificité de faire référence à des systèmes et à des logiques de pensée ancrés dans une culture bien particulière. Tout le monde sait que les systèmes juridiques anglo-saxons et français diffèrent sur des points fondamentaux. Cela découle principalement du fait que les textes de loi sont le plus souvent le résultat de réflexions d'ordre éthique, philosophique, psychologique, culturel et même religieux, qui sont propres à chaque pays, à chaque nation. Ainsi, des notions anglo-saxonnes telles que la "common law", l’"equity", ou la "consideration" dans les contrats sont totalement inconnues dans le système juridique français ; cela s'explique notamment par le fait que le droit anglais est un droit essentiellement jurisprudentiel, fondé sur la coutume, alors que le droit français s'appuie lui sur des textes fondateurs comme la Constitution, par exemple. Il est utile de constater à cet égard que le droit américain s'appuie lui aussi sur une Constitution (et ses amendements), à laquelle il est d’ailleurs fait référence de manière systématique dans les procès les plus divers.

La conséquence de cette constatation au niveau de la traduction est que le traducteur va devoir rendre dans la langue d'arrivée des concepts et des notions qui n'existent souvent que dans la langue de départ. Outre les termes cités plus haut, on peut également s'arrêter sur les notions de "solicitor" ou de "barrister" : ces deux termes font en effet référence à des professions qui n'existent qu'Outre-Manche. Le "solicitor", par exemple, est un officier judiciaire qui cumulent les fonctions d'avoué et de notaire, c'est en quelque sorte l'intermédiaire entre l'avocat et son client : la traduction de ce terme par "avoué" ou par "notaire", même si elle est acceptable en fonction du contexte, restera toujours incomplète par rapport au contenu du terme anglais "solicitor".

Malheureusement, lorsqu'il traduit des textes entrant dans le cadre de procédures (des assignations notamment), le traducteur se trouve bien souvent dans l'obligation de choisir un terme équivalent plutôt que de conserver le terme original et de l'expliciter par une note de bas de page par exemple, ce qui apparaît pour le moins incongru dans ce genre de documents (à moins qu'il ne s'agisse d'une notion fondamentale qui exige une explication, comme la "common law" citée plus haut par exemple, auquel cas une note du traducteur s’avérera nécessaire). Dans ce cas précis, il est donc préférable de traduire "solicitor" par "avoué" ou par "notaire" (en faisant toujours très attention au contexte), même si une partie de la notion d'origine est perdue, car cela facilitera la compréhension du document par le destinataire de la traduction et évitera de laborieuses consultations de notes de bas de page qui freinent toujours la lecture d'un document.

Cette méthode vaut surtout pour les termes qualifiant des professions ou des fonctions précises. Dans le cas d'institutions ou de textes de loi, il est préférable de conserver, entre guillemets, le terme concerné, lors de sa première occurrence, dans la langue originale, puis de l'expliciter entre parenthèses. On pourra ensuite soit répéter simplement le terme original entre guillemets, soit reprendre la traduction dont le lecteur final saura à quoi elle fait référence grâce à l'explication intervenue plus haut. Cette alternative sera laissée au libre choix du traducteur, en fonction du style et de la cohésion du texte. Par exemple, si l'on doit traduire, dans le sens du thème, le concept auquel renvoie le "Ministère de l’Economie et des Finances" français, on aura le choix entre les deux schémas suivants :

A) Première solution :

original : "Le Ministère de l’Economie et des Finances a refusé l'offre..."

traduction : "The "Ministère de l'Economie et des Finances" (i.e., the French Treasury) turned down the proposal...",

puis reprendre the "Ministère de l’Economie et des Finances" ...

B) Deuxième solution :

Suivre la même démarche que précédemment pour la première occurrence puis utiliser ensuite "the French Treasury...".

Cette deuxième solution sera préférée à condition que la traduction par équivalence renvoie à un concept immédiatement compréhensible par l'utilisateur de la traduction et s'intègre bien au reste du texte (comme cela est le cas dans cet exemple).

Enfin, lorsque le terme original a un "réel" équivalent dans la langue d'arrivée, il sera bien entendu possible de l'utiliser, tout en ayant bien conscience qu'il ne s'agit que d'un "équivalent" (cela a son importance dans les textes juridiques) : par exemple, traduire "witness" par "témoin" ou "plaintiff" par "plaignant".

Comme le montre cet exemple, cela n'est bien entendu valable qu'à condition que le terme original ne renvoie pas à une notion propre au système juridique de référence, autrement dit, à condition qu'il soit à "usage universel". Si tel n'est pas le cas, il sera nécessaire de suivre la procédure expliquée plus haut (on ne traduira pas directement, par exemple, "Garde des Sceaux" par "Minister of Justice" sans donner plus d'explications : il faudra garder le terme original entre guillemets puis entre parenthèses, préciser "the French Minister of Justice" par exemple, ou "the French equivalent of the Lord High Chancellor", dans le cas d’un destinataire britannique).

En deuxième lieu, arrêtons-nous sur la question de la forme des textes juridiques. De toute évidence, le langage juridique, ou "legalese", est pour le moins tortueux, ce quelle que soit la langue concernée. En effet, chacun d'entre nous a en mémoire au moins un document ou un courrier à caractère juridique dont il n'aura pas saisi la moitié des subtilités syntaxiques. Pour comprendre cette apparente complexité, il faut bien avoir conscience de l'importance du rôle des documents juridiques : en effet, quelle que soit la nature du texte, que ce soit un contrat, une assignation ou un jugement, l'objet du document consiste à fixer un cadre formel devant être tout à la fois assez rigide pour que les parties puissent y faire référence et relativement souple pour que leurs relations puissent se développer avec un minimum de liberté.

Dans le cas plus spécifique des textes de loi, le problème se pose avec encore plus d'acuité : il s'agit ici de fixer des règles valables pour le plus grand nombre tout en tenant compte de l'infinie variété des exceptions possibles. Autrement dit, il s'agit de tenir un discours universel tout en gardant à l'esprit le caractère unique de chaque situation possible.

On comprend dès lors aisément la difficulté de la tâche du rédacteur chargé de composer ces textes, et par conséquent, celle du traducteur appelé à les traduire !

A propos de la forme des textes, il convient de remarquer la présence beaucoup plus discrète de la ponctuation dans les textes anglais que cela n’est le cas dans les textes français. Il n'est en effet pas rare, dans les documents en anglais, de voir des phrases atteignant aisément plusieurs lignes, avec peu de virgules, et contenant parfois plusieurs idées importantes ou tout un enchaînement logique partant d'une constatation et arrivant à un aboutissement. Dans les documents de langue française, les phrases sont généralement plus courtes et la ponctuation plus importante, ce qui en facilite la lecture et donc la compréhension. Cette constatation est également évoquée sous forme de recommandation dans l’article de Jean Kerby intitulé "La traduction juridique, un cas d’espèce" paru dans "Langage du droit et traduction" (Linguatech, 1982, p.10) : "Le traducteur a intérêt à recomposer la longue phrase anglaise en phrases plus courtes : il en a d’ailleurs le droit, vu qu’il n’est nullement lié ici par le style de l’original. N’étant pas non plus lié par la ponctuation du texte de départ, il doit tirer parti de la ponctuation française pour donner toute la clarté possible au produit fini". Au niveau de la traduction, cette remarque a son importance : elle signifie que le travail de "déstructuration" du traducteur va être plus grand que cela peut être le cas dans des textes généraux. Pour des raisons essentiellement liées à la structure du texte d'arrivée, le traducteur va en effet devoir décomposer la syntaxe du texte source et isoler les idées qu'il exprime afin d'être en mesure de reconstruire le message dans la langue cible. Dans bon nombre de cas, lorsque les phrases sont relativement simples, la déstructuration nécessaire sera assez faible mais souvent, le traducteur devra se mettre dans la peau d'un véritable "destructeur" du texte original avant de prétendre parvenir à un résultat satisfaisant au niveau du texte traduit.

Prenons l'exemple qui suit, tiré d'un contrat concernant l'acquisition d'une entreprise française par une entreprise américaine :

Texte source :

"Seller and Buyer agree that prior to the execution of the Purchase Agreement and two business days after any mutually agreed upon public announcement thereof they will not, and will use their best efforts to ensure that their employees, agents and representatives who have or may gain knowledge of the existence of this Letter of Intent, buy, sell, lend or borrow or enter into any agreement or understanding to buy, sell, lend or borrow any securities of DIT."

Traduction proposée :

"Le Vendeur et l'Acheteur s'engagent à ne pas acheter, vendre, prêter ou emprunter de titres de DIT avant l'exécution du Contrat d'achat et pendant deux jours ouvrables après toute annonce publique de celle-ci convenue d'un commun accord, et à ne pas signer de contrat ou d'accord dans ce sens ; ils s'engagent en outre à prendre toutes les mesures nécessaires afin de s'assurer que leurs employés, fondés de pouvoir et mandataires qui peuvent avoir connaissance ou qui peuvent prendre connaissance de l'existence de la présente Lettre d'Intention s'abstiennent d'acheter, de vendre, de prêter ou d'emprunter lesdits titres."

A propos de cet exemple, plusieurs remarques viennent à l'esprit.

Au niveau du texte source :

- ce texte témoigne de l'extrême souplesse de la langue anglaise au niveau de sa syntaxe (il s'agit ici d'un texte américain, ne l'oublions pas).

- le texte contient un des nombreux adverbes souvent rencontrés dans ce genre de texte, à savoir "thereof", outil elliptique très pratique en anglais mais qui exige une compréhension parfaite du message original de la part du traducteur.

- la structure du texte source est souvent lourde et même incorrecte (on attend une répétition de "will not" après "ensure that their employees...").

- le texte original contient une idée principale, "... agree that they will not buy.. any securities", laquelle comprend une relative introduite par "and" ("will use ... of Intent"), ainsi qu'une idée secondaire renforçant l'idée principale, "or enter into any agreement or understanding to buy, sell, lend or borrow...".

Au niveau de la traduction :

- on constate que le traducteur a "cassé" la phrase originale en deux parties : la première partie contient l'idée principale du texte source accompagnée de sa "sous-idée", la seconde reprend l'autre grande idée. Ce choix permet de mieux faire la distinction entre les deux idées principales, qui se chevauchaient de manière quelque peu confuse dans le texte source.

- le fait d'avoir placé "avant l'exécution du contrat" après les différents verbes permet en outre d'éviter la confusion qu'aurait fait naître "s'engagent avant l'exécution du contrat".

Cet exemple montre bien que le traducteur profite de ce qui est au départ une nécessité (la déstructuration, ou recomposition) pour reformuler le message final afin, d'une part, de rendre celui-ci acceptable pour le destinataire de la traduction, et, d'autre part, de permettre une compréhension parfaitement claire du message sans trahison du texte de départ.

Ajoutons enfin qu'en traduction juridique plus qu'ailleurs, il ne faut jamais clarifier les ambiguïtés éventuellement présentes dans le texte original au moment de la traduction. Cela pourrait avoir pour effet de donner naissance à des règles de droit ou à des stipulations qui ne sont pas présentes dans le texte de départ, avec toutes les conséquences que cela peut avoir pour les parties concernées. Comme l'écrit R. Greenstein dans son article "Sur la traduction juridique" paru dans "Traduire" (N°171), le journal de la S.F.T. : "Le traducteur doit rester fidèle au document source ; il ne doit pas corriger les erreurs éventuelles, mais doit les signaler (...). Le rôle du traducteur n'est pas d'interpréter, mais il doit signaler par des notes les ambiguïtés et problèmes du texte d'origine".

© Copyright 1999 - Association des Anciens Elèves de l'Ecole Supérieure d'Interprètes et de Traducteurs de l'Université de Paris - Tous droits réservés.

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