4. La vie des Tercios espagnol


 
4.1 Le recrutement 4.2 La vie pratique 4.3 La discipline
4.4 L'Horreur des Combats 4.5 Les désertions et les mutineries 4.6 le Coût d'un Tercio

 


4.1 Le recrutement

Les soldats des Tercios espagnol étaient recrutés principalement en Castille, c’est à dire dans les régions actuelles de Asturias, Cantabria, Castilla y Leon, Extramadura, Castilla la Mancha et Andalucia. Sur ce vaste territoire qui ne couvre qu’une partie de la péninsule ibérique, vivaient 4 millions d’habitants (83% du total de l'Espagne) en 1530 et environ 5,6 Millions  (84% du total de l'Espagne) vers 1590. Au cours de la majeur  partie du XVII siècle on aura une stagnation de la population, voire de régression ce qui compliquera singulièrement le recrutement de soldats pour les Tercios.

Quand le roi désirait lever un Tercio en Espagne, il désignait un maître de camp et un nombre variable de capitaines pour qu’ils recrutent chacun leurs compagnies. Quant un capitaine avait une licence pour recruter une compagnie, il choisissait ses aides, un "alférez" et un sergent, ensuite il choisissait une bannière pour sa compagnie qui devait comporter une croix de Bourgogne rouge. La croix rouge était le symbole des unités espagnoles. Ensuite les recruteurs sillonnaient la région, qui leur était assignée, pour trouver les 240 hommes de la compagnie.

La croix rouge de Bourgogne était le symbole des armées de l'Espagne Impérial. Les Uniformes n'existaient pas (en tout cas au XVI et au début du XVII siècle), même si les espagnols portaient souvent des bandes ou plumes de couleur rouge et jaune. La croix permettait d'identifier les forces espagnoles des autres. Elle était portée sur les drapeaux de la compagnie et sur les vêtements des soldats.
Au XVI siècle, les aspirants soldats étaient plus ou moins volontaires. Au XVII  siècle, suite aux revers militaires et aux nouveaux fronts militaires, le recrutement commença à devenir de plus en plus contraint. Les nouvelles compagnies se dirigeaient vers une zone de rassemblement en respectant les villages qu’ils traversaient. Normalement les  nouvelles recrues (ou bisoño) touchaient rapidement leurs premières soldes. L’argent était donné au capitaine qui ensuite le redistribuait aux soldats.
 
Alférez du début du XVII siècle. Cet officier était chargé de la garde de la bannière de sa compagnie. ici nous avons représenté le drapeau principal du Tercio de los Morados Viejos.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

Pendant une grande partie de la période qui nous concerne les Tercios étaient basés principalement en Flandres et en Italie (le Milanais, la Sardaigne, Naples et la Sicile).  De ce fait, les nouvelles recrues étaient envoyées en Italie ou ils apprenaient le métier des armes, ensuite ils servaient sur d’autres terrains d’opérations. En utilisant le chemin espagnol ou la voie maritime, on estime ainsi que de 1580 à 1620, 58 400 bisoños (1460 h/ans) sont arrivés en Flandres, pour maintenir un effectif réel moyen de 7400 fantassins espagnols.

Le chemin espagnol correspondait au parcours des bisoños de Lombardie jusqu'en Flandre, il passait par la Savoie, la Franche-conté, la Lorraine ou l'Alsace.

Afin de compenser les pertes la méthode la plus simple était de dissoudre les compagnies les plus faibles en effectifs ou les compagnies récemment créées. De même, pour des raisons politiques ou économiques les vétérans des Tercios pouvaient être licenciaient par la couronne et renvoyés en Espagne. En fait un engagement dans les Tercio était presque un engagement à vie.


4.2 La vie Pratique

Les Tercios étaient une unité d’élite, à ce titre ils bougeaient régulièrement, y compris ceux d’Italie. Les casernes, baraquements sont une création récente, à l’époque qui nous occupe tous ceux-ci n’existaient pas. En temps de paix  les soldats étaient éparpillés sur une région et ils logeaient en petit groupe chez l’habitant. Les soldats devaient par contre payer leurs logements et leurs nourritures. De manière générale les hommes des Tercios avaient un niveau de vie supérieure à la moyenne de l'époque, même si aucun soldats ne fit vraiment fortune en s'engageant.

En campagne le logement était beaucoup plus rudimentaire, mais les vivres étaient approvisionnés par l’armée, dans la mesure du possible. Dans l'armée espagnole des Flandres, la logistique, au sens ou nous l'entendons aujourd'hui, était particulièrement développée avec un état-major chargé de l'approvisionnement en vivres et matériels. De même, les premiers chefs de l'armée des Flandres (Duc de Alba et de Parma) organisèrent et instituèrent, le premier hôpital militaire permanent en Europe dans la ville de Malines dans le Brabant flamand.

Je parlerais succinctement du personnel non militaire. Ainsi en 1594,  26 compagnies espagnoles regroupaient 3131 soldats et 403 personnelles non militaires (11%). En 1606 le Tercio de Juan Bravo disposait de 922 soldats et de 47 femmes. Comme nous pouvons le voir le terme de personnel non militaire regroupaient des femmes (les femmes des soldats et des prostitués), des enfants ou adolescents (ceux des soldats) et des serviteurs. En  cas de mouvement du Tercio le personnel non militaire marchait avec les bagages.
 

4.3 La discipline

Les soldats des Tercios avaient la réputation d'être disciplinés. Cette discipline venait de l'entraînement intensif des bisoños et de l'obéissance aveugle aux ordres. En s'engageant dans au service du roi, le soldat perdait sa liberté et promettait d'obéir au roi et ces représentants, c'est à dire aux officiers et sous-officiers. Cette obéissance avait néanmoins une limite, en dehors du "service du roi" le soldat redevenait un homme normal. 
Suivant,  Don Sancho de Londoño ("Discurso sobre la forma de reduzir la disciplina militar a meior y antiguo estado" Bruselas 1596) on peu résumer la discipline des Tercios au combat par:

Savoir obéir
Ne pas déstabiliser le dispositif tactique
Ne jamais abandonner son poste

Les "indisciplines" des soldats étaient régit par le code militaire qui comprenait un système de punition très dure et des  "privilèges militaires". L'un des privilèges les plus important, c'est que les soldats étaient jugés par un tribunal militaire et non par les tribunaux des pays ou ils étaient. Un fait important sur les châtiments, c'est que ceux-ci devaient respecter l'honneur du soldat condamné. Les crimes les plus grave concernaient la désobéissance qui était puni de la peine de mort par décapitation. Les officiers pouvaient se montrer plus flexible et tenir compte des antécédents des condamnés.

De même, la religion, et les soldats des Tercios étaient profondément catholiques,  permettait de maintenir cette discipline de fer. En fin de compte, les soldats devaient être fidèles; fidèles à Dieux, au Pape* et au Roi d'Espagne et ses  représentants.

* note: Le sac de Rome en 1527 a été perpétré par des mercenaires allemands majoritairement protestants.


4.4  L'Horreur des Combats entre Fantassins

Le combat de deux formations d’infanterie qui venait au corps à corps était une expérience terrifiante ainsi Olivier Chalines décrit les sensations des combattant dans la mêlé: Ceux qui sont dans la mêlé sont submergés par un varcarne tonitruant : mousqueterie en salve ou coup  désordonnée, grêle de balle sur les cuirasses et les fers des piques, hennissement, clameur de l’assaut, mis aussi cris de terreur des combattant en plein effort, abaissant les piques, frappant ou poussant de toutes leurs forces ….râle et hurlement des corps perforés ou écrasés …….on ne s’entend plus, L’ouï et la vue sont saturés, l’odeur du sang, de la sueur, mais aussi des excréments des hommes et des chevaux vont compléter un tableau peu réjouissant.

Les misères de la guerre, Gravure de JACQUES CALLOT (1592-1635): 

Massacre et pillage de l'ennemi vaincu. 
 
 
 
 

 

A la fin les vainqueurs sortent souvent des rangs pour achever dans leur excitation les combattants ennemi qui passe a portée de dague ou d’épée. Seule des troupes de vétérans pouvaient maintenir un semblant d’ordre.

4.5Les désertions et les mutineries

4.5.1 Les désertions

Les pertes dans les Tercios étaient élevées, Parker estime que la moyenne mensuelle des pertes dans les Tercios de l’armée des Flandres était de 1,5% des hommes. Si on tient compte les renforts reçus entre 1586 et 1620 pour maintenir un effectif moyen de 7400 hommes un calcul rapide donne une moyenne mensuelle des pertes de 1,6% des hommes.
En générale dans une troupe disciplinée, en moyenne 50% des pertes étaient dues aux désertions. Parmis les troupes peu disciplinées, en moyenne 75% des pertes étaient dues aux désertions.
Periodes 
1570-1572
 1572-1573
 1574-1575
 1582-1586
Moyenne mensuelle
 0,7%
 2,0%
 2,0%
 1,5%
Pour les autres nations ou armées ennemies la moyenne mensuelle tournait entre 2% et 7% des hommes.
La figure suivante donne une évolutions des pertes du Tercio de Naples qui comptait environ 2720 hommes en décembre 1570. Quatre années plus tard le Tercio ne comptait plus que 1428 hommes. Pendant la période de paix  de décembre 1570 à mai 1572  le Tercio ne combat pas et perd environ 300 hommes (0,6% mensuelle). Après mai 1572 le Tercio combat presque sans interruption est perd environ 990 hommes (1,7% mensuelle) dont 396 tués. Ces chiffres indiquent qu’en 4 ans le Tercio a perdu 1290 hommes dont 62% ont disparues.
Pertes cumulatives du tercio de Naple, une unité de l’armée des Flandres, de 1571 à 1574
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Dans ce cas les disparues étaient pour la plupart des déserteurs. La vie du soldat espagnol comme dans toutes les armées était dure.  La misère de la vie militaire, le retard de la solde, les combats, la discipline de fer, l’abus de certains officiers, le manque de nourriture etc… pour toutes ces raisons, et d’autres, de nombreux soldats n’avaient qu’une envie c’étaient de regagner leurs foyers. Le code militaire espagnol était rigoureux avec en générale la peine de mort pour les déserteurs.  De plus ces hommes faisaient face à un autre ennemi, les paysans en colères contre les excès de la guerre, tout heureux d’assouvir leur vengeance sur ces malheureux. La désertion pouvait également avoir un autre but, pour certains espagnols il valait mieux combattre en France dans la ligue catholique (soldes plus élevées), Allemagne ou en Italie qu’en Flandres.

4.3.2 La mutinerie
La deuxième moyen de manifester son mécontentement était la mutinerie. Dans son livre sur l’armée des Flandres, Parker décrit bien les mutineries de cette armée tout au long des années de guerres dans le nord de l'europe.

Le tableau suivant donne une idée de la durée des mutinerie. La mutinerie la plus longue rapportée par Parker a duré 710 jours, et elle est le fait d'un groupement d'infanterie et de cavalerie de toute les nations (wallon, allemand, italien etc...).

Lieu - Date de début
Type Unitée
Nombres d'hommes
Durée
Haarlem - 29/07/1573
Tercio Espagnol
2634
19 jours
Amberes - 15/04/1574
Tercio espagnol
4562
45 jours
Aalts - 2/07/1576
Tercio & Cavalerie Espagnol
5334
272 jours
Diest - 27/11/1590
Tercio espagnol
1872
347 jours
Calais - 30/11/1597
Garnison espagnol
295
169 jours
Gant - 1/10/1598
Garnison espagnol
448
125 jours
Ces mutineries avaient un coût élevé en argent et d'un point de vus militaire. Les garnisons mutinées pouvaient donner la forteresse à l’ennemie, de même leur indiscipline pouvait avoir de funeste conséquence pour le déroulement d’une campagne.

Il est important de remarquer que les mutineries comme les désertions étaient communes à toutes les armées et que les Tercios ont été plutôt moins affectés par les désertions que les autres armées.

4.6 Le coût d'un Tercio

Comme troupes de mercenaire, nous dirions professionnelles aujourd'hui, les Tercios avaient un coût, c'est à dire la solde des soldats et officiers du Tercio et le coût de leur équipement. Vers 1572 - 1575, suivant les calculs de René Quatrefages on aurait pour un Tercio de 12 compagnies de 2500 hommes avec en plus 159 membres d'état-major:

Etat Major du Tercio: 29 personnes 238 écu/mois
12 Compagnies 10 Capitaine* 400 écu/mois

12 Alferez 180 écu/mois

12 Sergents 96 écu/mois

100 Cabo 600 écu/mois

200 Mousquetaires 1 080 écu/mois

500 Arquebusiers 2 000 écu/mois

800 Piquiers avec Cuirasse 3 200 écu/mois

900 Piquiers Sec 2 700 écu/mois

96 Membres de l'Etat-Majors des compagnies** 434 écu/mois
* le Maestro de Campo est le capitaine de la première compagnie et le Sargento Mayor de la seconde.
** 1 Etat-Major de compagnie comporte:  1 enseigne, 3 musiciens, 1 clerc, 1 chapelain, 1 barbier et 1 valet pour le capitaine
Nous arrivons à un total d'environ 11 000 écu par mois, seulement pour les soldes. Les autres frais (équipement, artillerie, hospitalisation, victuailles en campagne etc...) représentait une somme de 7 000 écu mensuel. Nous arrivons, vers 1575, a un somme mensuelle de 18 000 écus  pour 2660 hommes.

En 1601 les 6 000 fantassins de l'armée des Flandres avaient un coût de 46 000 écu par mois, c'est à dire 34% du coût de forces d'infanterie, alors qu'ils ne représentaient que 27% des forces. De même vers 1609, les 6 500 fantassins espagnols coûtaient environ 44 000 écus par mois soit 52% du total de l'infanterie alors qu'ils ne représentaient que 43% des forces..

A titre d'exemple, la monarchie espagnole a envoyé 22 millions d'écu entre 1567 et 1577 pour financer sa guerre en Flandres, soit 186 000 par mois (le coût de 10 Tercios). Cet argent devait servir à entretenir, une flotte de guerre à Dunkerque, les forteresses des Flandres et une armée d'environ 65 000 hommes. De même, entre 1561 et 1600, les remises d'argent provenant des Amériques fourniront  près de 177,3 Millions d'écus au trésor castillans, soit une moyenne de 4,55 Millions d'écus par ans.

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