LES COMMENTAIRES d'Eric
Dupin
dans FRANCE-SOIR du mois
d'avril 1999
- Les nationalismes contre les nations (2 avril)
- Kosovo:la guerre de l'opinion (7 avril)
- Européennes: militarisation de la bataille
électorale (9 avril)
- La cohabitation en temps de guerre
(14 avril)
- Algérie: du bon usage d'une mascarade
démocratique (16 avril)
- RPR: l'impossible parti du président
(21 avril)
- Balkans: le véritable but de guerre américain
(23 avril)
LES
NATIONALISMES CONTRE LES NATIONS
(2 avril)
C'est à n'y rien comprendre. Les banques vantent "l'espace
de stabilité" d'une Europe où il fait bon investir pendant
qu'un de ses hauts lieux historiques tremble sous les bombes. A l'heure
de la mondialisation, le village planétaire communique par la magie
de l'internet. Simultanément, une floraison de particularismes religieux,
ethniques, nationaux s'affrontent sans merci.
La guerre en Yougoslavie rappelle la force du besoin d'appartenance
des peuples à une communauté. Pour le meilleur et pour le
pire. Ce peut être un "Etat-nation" comme la France en constitue
un modèle historique. L'hexagone est une incroyable mosaïque
de "peuples" aux origines diverses: Alsaciens, Basques, Bretons, Corses,
Catalans, Flamands, Occitans, Savoisiens etc. Leur coexistence est le résultat
d'une ancienne politique étatique violente et peu respectueuse du
"droit à la différence". Mais ce "vivre ensemble" a tenu,
même s'il est aujourd'hui menacé par les difficultés
d'intégration de communautés immigrées.
Aussi mythique soit-elle, l'unité nationale ne survit
que lorsque le projet d'avenir l'emporte sur les divisions héritées
du passé. Des gens séparés par une histoire, une religion
ou une culture différentes ne peuvent se supporter que s'ils partagent
des valeurs communes. En France, ce fut celles de la République.
Dans une large partie du monde, c'est le communisme qui fédéra,
là encore souvent par le force, les particularismes. A sa mort,
l'URSS a éclaté en sept Etats: la Russie, mais aussi la Biélorussie,
l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie et l'Ukraine. Les efforts
du maréchal Tito pour créer un "nationalisme yougoslave"
contre Moscou ont été vains: son pays s'est fractionné,
à ce jour, en cinq entités: Bosnie-Herzégovine (elle-même
séparée en deux), Croatie, Slovénie, Macédoine
et "Yougoslavie" (essentiellement la Serbie).
La question qui embrase les Balkans n'est pas celle du Kosovo.
Il n'existe pas de "peuple kosovar". Il y a un peuple albanais, majoritaire
dans la région, et qui ne peut plus vivre sous le joug du "chauvinisme
grand serbe". Le nationalisme exacerbé de Belgrade pose, à
terme, le problème d'un redécoupage frontalier à hauts
risques. Se constituerait alors une "grande Albanie" ethniquement pure.
Pour l'heure, ce sont les Albanais qui sont les victimes d'un
"nettoyage ethnique" qui n'est, hélas, pas sans précédent
dans l'histoire. Au XIXème siècle, les Grecs et les Serbes
chassaient sans ménagement les Musulmans pour agrandir leurs territoires.
Dans un contexte fort différent, à la fin de la dernière
guerre mondiale, dix millions d'Allemands ont dû laisser la place
à des Polonais, des Soviétiques ou des Tchèques.
Innombrables sont les peuples privés de souveraineté.
Citons simplement les Kurdes et les Tibétains. S'il serait absurde
de plaider en faveur d'un statu quo planétaire, la création
d'une pléiade de nations ethniquement homogènes ferait régresser
l'humanité. Les micro-nationalismes enferment chacun dans ses haines
cuites et recuites contre le voisin. Le seul lien entre ces "Etats-tribus"
serait alors la loi du marché. Avec l'hypocrite discours humanitaire
comme âme d'un monde sans âme.
KOSOVO:
LA GUERRE DE L'OPINION
(7 avril)
L'opinion est un des principaux acteurs de l'intervention de l'OTAN
en Yougoslavie. L'émotion provoquée par le drame bosniaque
en est à l'origine. La diplomatie occidentale ne pouvait rester
passive devant les crimes perpétrés contre les Kosovars.
Ce furent l'accord de Rambouillet, la menace d'une frappe militaire si
les Serbes ne le ratifiaient pas, enfin la mise à exécution
de cette menace. Par des raids aériens à répétition.
Mais l'opinion s'en contenta d'autant moins qu'il est très
vite devenu évident que les bombardements de l'OTAN aggravaient
le problème plus qu'il ne le résolvaient. De l'aveu même
des responsables de l'organisation atlantique, l'opération "Force
alliée" fut mal calibrée. Les militaires français
dissimulent mal leur étonnement face à la candeur de leurs
homologues américains. Et la Maison Blanche flotte quant aux buts
poursuivis par l'opération en cours.
La guerre de l'image a donc vite tourné à l'avantage
de Belgrade. Les Serbes impressionnèrent une Amérique sensible
en exhibant trois prisonniers à la triste mine. Les télévisions
ne cessèrent de montrer les malheurs de l'exode forcé des
Albanais du Kosovo. D'où un retournement non prévu, par les
dirigeants politiques des pays occidentaux, de leurs opinions publiques.
Si Slobodan Milosevic est bien l'horrible dictateur génocidaire
que l'on dit, pourquoi ne pas lui flanquer un bonne raclée à
domicile ?
Les derniers sondages montrent qu'une majorité d'Américains,
de Britanniques et de Français se disent favorables à une
intervention terrestre en Yougoslavie. Au point que ce sont les gouvernants
qui résistent désormais à une pression belliciste
à fort écho médiatique. Tony Blair écarte la
perspective d'une intervention au sol, Bill Clinton persiste à espérer
que les raids aboutiront à la "capitulation" de Milosevic tandis
que les deux têtes de l'exécutif français défendent
une intensification de la stratégie actuellement suivie.
La "guerre humanitaire" est un exercice périlleux.
Les interventions de l'ONU au Liban et en Bosnie n'ont pas été
couronnées de succès, c'est le moins qu'on puisse dire. Une
reconquête du sol kosovar rencontrerait d'immenses difficultés
militaires. Les experts évaluent à une centaine de milliers
d'hommes le nombre de soldats qui devraient être engagés.
Faute d'une collaboration de la Grèce et de la Macédoine,
de sérieux obstacles logistiques devraient être surmontés.
Et l'affrontement avec les troupes serbes ne pourrait être que sanglant.
L'opinion internationale est-elle réellement prête à
supporter pareilles épreuves ?
Un engagement terrestre ne pourrait d'ailleurs rester dans
un cadre humanitaire. Sa réussite n'aurait de sens qu'avec une proclamation
de l'indépendance du Kosovo, prélude à son rattachement
à l'Albanie. Avec d'inévitables effets de déstabilisations
supplémentaires dans les Balkans. Il est évidemment plus
confortable d'évacuer ces questions et de caresser l'opinion dans
le sens du poil en demandant, comme Daniel Cohn-Bendit, d'être "plus
humain et moins politique". Comme si l'on faisait de la bonne politique
avec de bons sentiments. Et si la bonne conscience occidentale - chaque
pays accueillant son lot de réfugiés - garantissait la résolution
des drames de la planète.
EUROPEENNES:
MILITARISATION DE LA BATAILLE ELECTORALE
(9 avril)
Le scrutin européen du 13 juin s'annonçait dénué
d'enjeu réel. Le drame du Kosovo devrait lui donner une dimension
nouvelle. Il serait indécent de gloser sur l'éden promis
par la monnaie unique alors que la guerre fait rage à cent cinquante
kilomètres des côtes italiennes. Le conflit yougoslave ne
facilitera toutefois pas la tâche des électeurs.
La crise internationale dans laquelle la France est engagée
brouille d'abord le clivage droite-gauche. Jusqu'à présent,
les deux partenaires de la cohabitation agissent en harmonie. C'est tout
juste si l'on peut déceler des nuances dans l'expression de Jacques
Chirac et de Lionel Jospin. Le premier insiste plus sur la "barbarie" de
Slobodan Milosevic tandis que le second met davantage l'accent sur la "solution
politique" à rechercher.
Par ailleurs, les désaccords qui surgissent au sein
même de plusieurs listes ont de quoi laisser perplexe. La liste communiste
de Robert Hue confirme sa vocation d'auberge espagnole en abritant opposants
et partisans de l'intervention militaire. Celle que conduit le socialiste
François Hollande comporte également des candidats hostiles
aux frappes, ceux du Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement.
A droite, il n'est pas certain que l'ardent bellicisme d'Alain Madelin
soit partagé par Philippe Séguin. Que pense donc Charles
Pasqua de ce conflit ? Pour une grande gueule, il est bien muet.
Curieusement, la guerre des Balkans ressuscite les mêmes
lignes de partage que celle du Golfe et que le traité de Maastricht.
Alors que ces trois problèmes n'ont rien à voir. Les trois
grandes et sages formations gouvernementales (PS, RPR, UDF) sont "pour".
Les marges de l'échiquier politique (l'extrême-gauche, le
PCF, le MDC, quelques gaullistes, l'extrême-droite) sont "contre".
L'exception qui confirme la règle vient des écologistes.
Sacrés parti de gouvernement, les Verts ont laissé un humanitarisme
de bon aloi l'emporter sur leur tradition pacifiste. Ils ne se distinguent
qu'en exigeant à la fois de favoriser l'exil des kosovars et d'intervenir
sans tarder au Kosovo...
L'imprévisible cours des événements pèsera
sur la prochaine compétition électorale. Pour l'heure, l'opinion
soutient massivement l'action de l'OTAN. Ce parfum d'"union sacrée",
s'il devait persister, favoriserait les listes Hollande et Séguin.
Il handicaperait l'extrême-droite et surtout le PCF.
Sensible aux images, l'opinion peut cependant vite se retourner.
Plusieurs pièges guettent l'Alliance atlantique. Belgrade cherchera
à la diviser par de subtiles manoeuvres diplomatiques. Non sans
chances de succès. En cas d'opérations terrestres, la résistance
serbe risque de donner au conflit un tour encore plus sanglant. Cet imbroglio
peut enfin finir par une partition du Kosovo, une issue peu glorieuse pour
l'OTAN. Les listes critiques à son endroit s'en trouveraient renforcées.
Les va-t-en guerre de salon seront-ils tentés d'utiliser
la tribune des européennes pour prêcher leurs leçons
de morale ? Ce genre d'intellectuels n'est guère plus efficace au
combat électoral que sur un vrai champ de bataille. En 1994, la
médiatique "liste Sarajevo" avait essuyé un échec
cinglant...
LA
COHABITATION EN TEMPS DE GUERRE
(14 avril)
Que pèse la politique politicienne face au drame kosovar
? Moralement, pas lourd. Mais le jeu des pouvoirs en France influence le
cours des événements. Par son histoire et sa situation géo-politique,
notre pays a un rôle particulier dans la recherche d'une solution
associant l'ONU et, par conséquent, la Russie. C'est ce message
que Jacques Chirac a cherché à transmettre lundi soir. Lionel
Jospin n'a pas dit autre chose précédemment. A ce jour, la
cohabitation résiste honorablement à l'épreuve de
l'engagement militaire du pays. Les deux têtes de notre exécutif
national parlent d'une même voix avec deux bouches. La coordination
entre l'Elysée et Matignon est bien huilée.
La figure typiquement hexagonale de la "cohabitation" n'a
pourtant jamais connu pareille épreuve. Il existe peu de pays où
le chef de la majorité et celui de l'opposition se partagent les
manettes de l'Etat. Vivant la troisième expérience du genre,
les Français commencent à y être habitués. Mais
jamais les deux héros de la coexistence institutionnelle n'ont eu
à gérer de concert une grave situation de tension internationale.
Pour mesurer à quel point l'accord entre le chef de
l'Etat et celui du gouvernement est vital dans les circonstances présentes,
il suffit de relire la Constitution. L'article 15 stipule que le président
de la République est "le chef des armées". L'article 21 ajoute
que le Premier ministre est "responsable de la Défense nationale".
La codécision s'impose en matière militaire, même si
la tradition accorde une prédominance au président.
C'est une des raisons pour lesquelles cette épreuve
est incontestablement plus difficile à vivre pour Jospin que pour
Chirac. Depuis sa désastreuse dissolution du printemps 1997, le
chef de l'Etat avait perdu la main. Son emprise sur une opposition en piètre
état était sujette à caution. Le Premier ministre
menait pratiquement à sa guise la barque gouvernementale. La guerre
en Yougoslavie change ce rapport des forces. Elle redonne, pour des raisons
institutionnelles et symboliques, le premier rôle au chef de l'Etat
qui paraît régulièrement sur les petits écrans
entouré des drapeaux français et européen.
Par contraste, le Premier ministre est en retrait. Et gêné.
Jospin doit tout d'abord gérer les lourdes contradictions d'une
majorité plus plurielle que jamais. Son souci essentiel ne concerne
pas tant le PCF que Jean-Pierre Chevènement. Le dédoublement
de personnalité des communistes semble les prémunir contre
la tentation de provoquer une crise ministérielle. Mais le tempérament
de l'ombrageux ministre de l'Intérieur - pièce maîtresse
du dispositif jospinien - laisse planer un risque plus sérieux de
démission si la France devait s'engager plus intensément
dans le conflit balkanique.
Jospin n'est d'ailleurs pas forcément à très
l'aise avec lui-même. Quoi qu'il pense en son for intérieur
de la stratégie de l'OTAN, il sait ne point pouvoir s'opposer au
président de la République sur ce dossier. L'ouverture d'une
crise serait d'autant plus périlleuse pour son avenir politique
que d'aucuns ne manqueraient pas de rappeler le pacifisme foncier de son
père Robert partisan, en 1938, des accords de Munich.
ALGERIE:
DU BON USAGE D'UNE MASCARADE DEMOCRATIQUE
(16 avril)
A toute chose, malheur est bon. Les Algériens ont été
privés hier d'une élection présidentielle digne de
cet nom. Après le retrait de dernière minute de six des sept
candidats en lice, le scrutin s'est transformé en triste plébiscite
pour Abdelaziz Bouteflika, l'homme du système en place. Le refus,
par le président sortant Zeroual, de prendre en considération
les fraudes manifestes qui ont entaché le début du processus
électoral a précipité cette mascarade démocratique.
Faut-il s'en attrister ? Pas forcément. Cette élection-là
était inévitablement truquée. Si la campagne a dégagé
un léger parfum de liberté surveillée, les conditions
d'un débat honnête - avec un presse indépendante -
n'étaient pas réunies. Chacun savait d'avance que le candidat
du pouvoir bénéficierait d'un bourrage des urnes. Au demeurant,
l'émiettement de l'opposition ne laissait planer aucun doute sur
la victoire de Bouteflika.
Mieux vaut finalement que celle-ci soit dépouillée
de toute apparence de légitimité démocratique. L'ancien
ministre des Affaires étrangères de Houari Boumedienne n'est
que le nouveau chef désigné par le complexe étatico-militaire
qui dirige l'Algérie depuis des années. On ne peut exclure
que ce fin politique use de cette faiblesse initiale comme d'un atout pour
tenter d'engager un authentique processus de démocratisation. Après
tout, la survie même de l'establishment interdit le statu quo. L'appareil
militaire est divisé sur l'avenir du pays. De quoi nourrir les espoirs
de tous ceux qui souhaitent, quelle que soit leur sensibilité, que
l'Algérie sorte enfin d'une guerre civile plus ou moins larvée.
La convergence manifestée par les différents
courants de l'opposition est, de ce point de vue, encourageante. Le refus
de participer au scrutin du 15 avril a rassemblé à la fois
un adversaire de longue date du régime comme Hocine Aït-Ahmed
et un dissident relativement récent tel Mouloud Hamrouche, en passant
par le candidat le plus sérieux des islamistes, Taleb Ibrahimi.
Cette unité de circonstance pourrait marquer une étape importante
dans le climat politique algérien.
D'ores et déjà, ce pays ne vit plus le drame
d'un face-à-face sanglant des militaires et des islamistes, avec
une faible opposition démocratique coincée entre ces deux
camps. De part et d'autre, les divisions sont de plus en plus patentes.
Cette élection présidentielle aurait pu en apporter la démonstration.
Les sept candidats reflétaient toute une palette d'opinions. Bouteflika,
candidat du parti au pouvoir "Rassemblement national démocratique",
avait même le soutien d'un petit groupe islamiste. Le régime
était affaibli par une floraison de candidatures critiques issues
de ses rangs comme celles de Mouloud Hamrouche, mais aussi de Youcef el-Khatib
et de Mokdad Sifi. Après la dissolution du FIS, les islamistes n'ont
pas retrouvé leur unité. Certains soutenaient Taleb Ibrahimi
tandis que d'autres préféraient Abdallah Djaballah... Preuve
supplémentaire de la complexité nouvelle de l'échiquier
politique algérien, le leader du FFS, Hocine Aït-Ahmed, est
de moins en moins marqué par ses origines kabyles. Après
cette présidentielle ratée, l'Algérie va certes traverser
une dangereuse période de crise politique. Mais le pire n'est pas
forcément sûr.
RPR:
L'IMPOSSIBLE PARTI DU PRESIDENT
(21 avril)
Le RPR est mort, vive le parti du président ? Ce serait
trop simple. L'abandon inopiné de Philippe Séguin est certes
une excellente nouvelle pour l'Elysée. Si cette péripétie
handicape temporairement la droite, elle ouvre ensuite de meilleures perspectives
pour le chef de l'Etat. L'hypothèque Séguin levée,
Chirac pourra s'employer à rebâtir son leadership sur l'opposition.
Un préalable indispensable à sa propre réussite lors
des prochaines échéances électorales.
Mais le plus dur reste à faire. Le vrai problème
ne vient pas de ceux qui parlent aujourd'hui le plus fort. François
Bayrou roule les mécaniques avec une jouissance qu'on lui pardonne
d'autant plus volontiers que c'est un plaisir excessivement rare chez un
centriste. Merveilleusement servie par les circonstances, l'UDF aurait
grand tort de ne point aller au bout de sa logique. Elle serait promise
à un score honorable face une liste RPR-DL conduite par Nicolas
Sarkozy et Claude Goasguen - une hypothèse sérieusement évoquée
dans un microcosme chamboulé... Après avoir rééquilibré,
par la grâce des européennes, le rapport de forces en sa faveur,
l'UDF serait en meilleure situation pour participer à une nouvelle
"Alliance" avec ses partenaires.
La stratégie chiraquienne se heurtera aussi et surtout
à la balladurisation des esprits qui gangrène la droite.
Le RPR fondé en 1976 par l'actuel chef de l'Etat n'est plus qu'un
champ de ruines. Ses personnalités les plus fortes ne sont pas des
fidèles de Chirac. Alain Juppé reste très impopulaire,
à l'intérieur comme à l'extérieur du mouvement.
Jean-Louis Debré demeure lourdement inconsistant. Ce n'est pas un
hasard si Nicolas Sarkozy, l'ancien lieutenant d'Edouard Balladur, occupe
- au moins provisoirement - le poste de président du RPR. Le maire
de Neuilly est un redoutable homme d'appareil. Quant à son ancien
mentor, il bénéficie d'un réelle aura dans l'électorat
conservateur. Balladur a su rester une référence qui comptera
vraisemblablement dans les prochaines batailles électorales - européennes
ou municipales. Les embarras d'Alain Madelin, autre allié de Chirac
en 1995, affaiblissent encore la marge de manoeuvre du chef de l'Etat.
La sécession "souverainiste" de Charles Pasqua empêche
enfin le président de contrôler toute la droite. Quelle que
soit la configuration des listes en compétition le 13 juin, celle
du tandem Pasqua-Villiers devrait obtenir un bon score. L'ancien ministre
de l'Intérieur ne se rangera pas ensuite docilement derrière
ce que Sarkozy appelle sans rire "la politique européenne de Jacques
Chirac", dont la clarté est proverbiale. Alors que l'extrême-droite
s'enfonce dans une lutte fratricide, la place se libère pour une
droite populaire et nationaliste qui ne se mariera pas aisément
avec un grand parti libéral-conservateur à la dévotion
du président de la République.
Si Séguin faisait figure d'emmerdeur pour pas mal de
monde, sa sortie de scène politique ne sonne pas l'avènement
de l'union des droites. Celle-ci est d'ailleurs exceptionnelle dans l'histoire
de la France. Pour en être le fédérateur, Chirac n'a
pas encore recouvré l'autorité politique et morale indispensables.
Même s'il vient d'endosser un habit de chef de guerre.
BALKANS:
LE VERITABLE BUT DE GUERRE AMERICAIN
(23 avril)
Sombre cinquantième anniversaire pour l'Otan ! Au bout
d'un mois, l'opération menée en Yougoslavie est un échec
admis par les commentateurs initialement les mieux disposés. Les
bombardements aériens ont aggravé le drame kosovar au lieu
de le soulager. La dictature de Slobodan Milosevic ne s'est nullement affaiblie.
Au-delà même du Kosovo, de la Macédoine au Monténégro,
la région des Balkans est plus déstabilisée que jamais.
Ce gâchis résulte-t-il de simples erreurs techniques
? Les dirigeants de l'Otan auraient-ils mal apprécié la météo,
faussement évalué les capacités de résistance
serbes, élaboré une stratégie oiseuse ? Si tel était
le cas, l'organisation atlantique dirigée par les Etats-Unis révélerait
un dangereux amateurisme.
Les effets pervers de l'intervention de l'Otan avaient pourtant
été prévus par nombre d'experts et même de responsables
officiels occidentaux. D'où une question gênante: et si le
but de cette guerre n'était pas celui qu'on croît ? Ceux qui
pensent assister à une "guerre humanitaire" ne peuvent qu'être
désorientés. Une autre hypothèse rend, hélas,
mieux compte de la réalité. Il faut alors considérer
"Force alliée" comme une démonstration de police internationale
sous commandement américain. Les Etats-Unis ont voulu prouver leur
capacité à exercer librement la fonction de gendarme mondial.
C'est pourquoi l'ONU, qui aurait pu jouer un rôle majeur, a été
volontairement tenue à l'écart. Le "nouvel ordre international"
réglé par l'unique super-puissance du globe n'a que faire
de la tutelle onusienne. Les Américains se contentent d'alliés
européens.
Ces derniers - et tout particulièrement la France -
ont certes joué un rôle majeur dans la processus visant à
ramener Milosevic à la raison. Mais la décision de passer
à l'acte militaire a été réellement prise à
Washington. L'intérêt vital que défendent les dirigeants
américains n'est plus économique, comme lors de la guerre
du Golfe, mais politique. Leur imperium serait sans limite si la communauté
internationale se résignait à laisser les Etats-Unis sélectionner
eux-mêmes les pays méritant une punition militaire. Un choix
nécessairement arbitraire tant sont nombreuses les régions
du monde où des peuples sont opprimés. Que font les Américains
pour protéger les Kurdes contre les exactions turques ?
L'Otan ne peut se permettre de voir sa démonstration
de forces tourner à son désavantage. D'où les rumeurs
et les préparatifs d'intervention terrestre en Yougoslavie. En apparence,
un engagement au sol aurait le mérite de libérer le Kosovo
afin d'y réinstaller ses habitants. Mais rien ne dit que les Américains
soient disposés aux sacrifices imposés par une telle reconquête.
Quelques opérations commando, médiatiquement orchestrées,
sont au moins aussi probables. La face serait sauve, et le moment venu
de négocier avec Serbes et Russes une partition du Kosovo. Les Albanais
de la région y perdraient. Mais les Etats-Unis auraient affermi
leur puissance sur le Vieux Continent. Car l'option d'une intervention
terrestre diviserait les Européens, de l'enthousiasme des Britanniques
à la franche hostilité des Italiens. Un dégât
collatéral qui ne ferait pas pleurer Washington.
Eric DUPIN
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