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Lu dans Le Monde du 25.02.02 par Gaëlle Dupont
Le monde paysan reste un enjeu politique important
Les familles d'agriculteurs représentent aujourd'hui 3,5 % de la population française. Pourquoi les hommes politiques se penchent-ils avec autant d'attention sur le sort d'une frange de la population, qui est en constante diminution ? "Le poids politique des agriculteurs est bien supérieur à leur poids numérique" , rappelle Isabelle Boussard, chercheuse au Cevipof (Centre d'études de la vie politique française). Leur sphère d'influence se situe entre 10 % et 12 % de la population, qui incluent entre autres les salariés des coopératives agricoles, des entreprises de machinisme, ou de l'agroalimentaire. Une "dissymétrie démocratique", selon les termes de Bertrand Hervieu et Jean Viard dans leur ouvrage L'Archipel paysan , paru en 2001, démultiplie encore l'influence politique du monde agricole. Un tiers des 36 000 maires de France sont des agriculteurs. La carte électorale héritée de la IIIe République donne au monde rural nettement plus d'élus qu'aux urbains. Selon les chercheurs, 82 % des agriculteurs vivent dans des communes de moins de 500 habitants. Or, ces communes comptent un élu pour moins de 56 habitants, contre un élu pour 13 205 habitants à Paris.
Les agriculteurs, bien que peu nombreux, occupent 51 % du territoire... La majorité des hommes politiques doit compter avec le vote agricole. Le monde agricole tisse de nombreux relais à Paris parmi les députés et sénateurs, soucieux de leur popularité locale. La FNSEA, qui compte un responsable dans chaque commune, chaque canton, dans tous les départements et régions, et d'importantes troupes à Paris, sait se faire entendre. Le lobby agricole entre en action quand des lois touchant ses intérêts sont en préparation. Le gouvernement en a fait l'expérience lors de l'élaboration de la loi sur l'eau.
La sympathie des paysans, si recherchée, irait à Jacques Chirac. Selon un sondage CSA-Libération (réalisé entre septembre 2001 et février 2002 auprès d'un échantillon de 10 020 personnes), il recueille 39 % des intentions de vote des agriculteurs, contre 13 % à Lionel Jospin. Les liens historiques entre le syndicat majoritaire, la FNSEA (52,43 % aux dernières élections professionnelles), et le RPR renforcent cette proximité. En 1986, le premier ministre Jacques Chirac nomma François Guillaume, ancien président de la FNSEA, ministre de l'agriculture. Christian Jacob, ancien président du CNJA, reste le conseiller du président sur l'agriculture. Selon ce sondage, la droite obtiendrait plus de 68 % des votes des agriculteurs. Alain Madelin obtiendrait 10 % et François Bayrou 9,5 % des suffrages. A gauche, Jean-Pierre Chevènement et Arlette Laguiller font jeu égal à 6 %. Noël Mamère recueille 4 % des intentions de vote.
Les bouleversements subis ces dernières années par le monde agricole changeront-ils les habitudes ? Les actifs agricoles ne représentent plus que 13 % de la population rurale, tandis que le nombre des retraités de l'agriculture est en augmentation. L'imbrication des modes de vie a ouvert le monde agricole et rapproché ses préoccupations de celles des citadins. Dans la même période, les crises alimentaires et l'intérêt croissant des citoyens pour la qualité de l'eau ont fait passer les pratiques agricoles du domaine professionnel et technique au domaine public et éthique. Symptôme de ces évolutions, la popularité de José Bové, porte-parole de la Confédération paysanne, à l'intérieur même du monde agricole. Aux dernières élections professionnelles, le vote en faveur de la Confédération paysanne est passé de 20 % à 27 % des voix. Pourtant, ce syndicat s'adresse à l'ensemble de la société et s'attache à des thèmes qui débordent l'agriculture, comme la sécurité alimentaire, la qualité de l'eau, ou les organismes génétiquement modifiés. Autre inconnue : le succès de Jean Saint-Josse auprès des paysans. Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT) dit vouloir conquérir les agriculteurs "déçus et déboussolés"
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