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Lu dans la France Agricole
I. Au cours du dernier septennat, beaucoup d'exploitations ont disparu. Quelles perspectives le métier d'agriculteur offre-t-il aujourd'hui ? La baisse du nombre des exploitations n'a pas commencé il y a sept ans. C'est une tendance ancienne liée en grande partie à la démographie agricole qui ne permet pas de remplacer chaque départ par une installation. Ce qui me préoccupe particulièrement c'est que, depuis 1997, le nombre des installations a chuté de 35%. Ce chiffre illustre bien le bilan de la politique agricole du gouvernement de Lionel Jospin.
Le revenu de la « ferme France » a baissé de plus de 10% au cours des trois dernières années. Seule la baisse importante du nombre des agriculteurs a permis de présenter des prévisions de revenu par exploitant plus favorables. Obnubilé par la mise en place des contrats territoriaux d'exploitation, le gouvernement a délaissé la politique d'installation. Si l'on ajoute à cela les remises en causes permanentes de la Pac et les crises mal réglées dans certains secteurs, la viande ou la viticulture par exemple, force est de constater que le contexte actuel n'est pas favorable à l'engagement de jeunes dans ce métier.
Pourtant, le métier d'agriculteur a encore de belles perspectives avec des défis importants à relever en matière environnementale ou sanitaire. Je ne suis pas pessimiste si, avec une politique adaptée nous savons remobiliser les énergies et réhabiliter l'initiative individuelle. Le monde agricole nous a montré sa capacité de réaction et d'adaptation à de nombreuses reprises dans le passé. Ce dont je suis convaincu, c'est que l'évolution de notre agriculture, nous la conduirons avec les agriculteurs et non contre eux. C'est le seul moyen de sortir de la crise morale actuelle.
II. Comment comptez-vous enrayer la chute du nombre des installations. Prévoyez-vous d'adopter des mesures facilitant la pluriactivité ? Ce métier peut encore attirer de nombreux jeunes, fils ou filles d'agriculteurs mais pas seulement. Il faut pour cela que les espérances de revenu soient suffisantes et qu'elles ne dépendent pas d'une « fonctionnarisation » du métier. L'agriculture peut mourir d'une bureaucratie asphyxiante.
Au-delà de perspectives de revenu qui ne peuvent se consolider qu'avec des prix agricoles ayant un sens économique, nous devons faire vivre l'esprit d'entreprise qui habite chaque jeune. Dans ce sens aussi, nous devrons redéfinir avec la profession les conditions du soutien des pouvoirs publics à l'installation des jeunes en agriculture. C'est un sujet compliqué. Mais nous devons faire un indispensable effort de simplification, introduire davantage de souplesse et réformer notre droit, notamment notre droit fiscal, pour l'adapter aux nouveaux besoins liés à la transmission d'exploitations modernisées.
La question de la pluriactivité n'est pas, en tant que telle, une solution si elle ne fait que masquer l'insuffisance de rémunération du travail agricole. Elle doit être facilitée sur le plan social ou fiscal, mais elle doit d'abord correspondre à un choix professionnel ou familial.
III. Plusieurs syndicats demandent des politiques agricoles basées sur des prix rémunérateurs. Qu'en pensez-vous ? Ils ont raison. Cela me paraît le bon sens même. L'agriculteur doit d'abord tirer son revenu de la vente de ses produits. Ce que traduit aujourd'hui cette revendication aussi, c'est l'échec d'un discours antiéconomique et de dévalorisation de l'effort individuel. C'est aussi une remise en cause de la réforme de 1992 et du « mythe du prix mondial ».
Les agriculteurs ont la désagréable impression de se trouver dans une impasse. On leur demande toujours plus de garanties sanitaires et environnementales et, dans le même temps, les prix baissent sur le marché mondial qui devient la référence absolue alors que les prix n'y signifient plus rien. On leur demande toujours mieux et toujours moins cher. Après on s'étonne qu'il y ait des accidents sanitaires ou environnementaux alors que le système y conduit presque inexorablement.
Il faut apprécier cette revendication non seulement comme une revendication professionnelle mais aussi comme une garantie pour les consommateurs, car seuls des agriculteurs convenablement rémunérés de leur travail seront en mesure d'apporter les garanties attendues sur la qualité de leurs produits et le respect de l'environnement.
IV. Lors de l'examen à mi-parcours de la Pac, certains proposent de transférer des aides vers le deuxième pilier de la Pac. Soutiendrez-vous cette option ? Rappelons tout d'abord que l'idée d'une « revue à mi-parcours » ne correspond ni à la lettre ni à l'esprit des accords de Berlin, qui n'ont fait que prévoir des rendez-vous techniques pour certaines organisations communes de marché (oléagineux, céréales, viande bovine) et un point budgétaire en cas de difficultés particulières ; ce qui n'est pas le cas actuellement. Il y a donc toute une agitation sur cette « revue à mi-parcours » qui cristallise les débats sans que l'on sache vraiment si cela va déboucher sur quelque chose avant l'échéance prévue par les accords de Berlin en 2006.
Dans ces débats, certains proposent, y compris en France, un transfert des soutiens des organisations de marché vers le développement rural. Je suis favorable à un accompagnement renforcé des agriculteurs afin qu'ils puissent mieux prendre en compte les contraintes environnementales et sanitaires nouvelles. Mais il faut réfléchir à une telle orientation avec prudence car elle peut s'avérer un piège politique fatal à la Pac.
En effet, le 2ème pilier c'est le cofinancement ; c'est l'option que nous avons rejeté à Berlin pour le financement des organisations de marché au nom des principes de l'unicité de prix et de la solidarité financière. Aujourd'hui, certains pays cherchent, en fait, à revenir sur cette idée qui, en prônant le cofinancement, vise en réalité des économies budgétaires au niveau communautaire. C'est la première étape du raisonnement ; c'est ce que permet le transfert des aides vers le « développement rural ».
Mais il faut voir au delà : le report de ces crédits sur le 2ème pilier rend plus faciles les décisions politiques d'ajustement des curseurs du cofinancement et donc la renationalisation progressive de la Pac. Alors quand j'entends le ministre de l'Agriculture dire qu'ils sont à la fois pour le transfert des aides vers le « développement rural » et contre la renationalisation de la PAC, je considère qu'ils trompent leurs auditoires.
Il faut plutôt aborder l'hypothèse d'une réforme en position offensive. Le débat sur la Pac est aujourd'hui biaisé par ceux qui veulent une réforme anticipée par rapport à l'échéance prévue pour 2006 dans les accords de Berlin. Compte tenu du bilan de la réforme de 1992 et de l'analyse qui peut être faite de la situation actuelle, il faut que nous puissions dire comment nous, Français, envisageons l'avenir de la Pac. Nous sommes au moins autant légitimes que d'autres à exprimer notre avis. Nous avons tout autant le droit de ne pas accepter une urgence réformatrice si nous jugeons qu'elle n'est pas opportune. Nous ne sommes pas isolés dans notre position de défenses de la Pac. D'autres pays partagent cette volonté. Il serait paradoxal aussi que l'Union européenne n'envisage son avenir que sur les cendres de la Pac qui est toujours la seule véritable politique commune. C'est une hypothèse que je ne peux faire mienne.
V. Comment financer l'élargissement de l'Union européenne sans amputer le budget agricole européen ? A Berlin, en 1999, les chefs d'Etat et de gouvernement ont défini un cadre budgétaire jusqu'en 2006 en prenant en compte le processus d'élargissement et en ne prévoyant pas à ce moment là l'accès aux aides de la Pac pour les pays candidats avant 2006. Ces dernières semaines, la Commission en tenant compte des disponibilités budgétaires prévisibles, a proposé l'accès progressif aux aides de la Pac pour les pays candidats. C'est une démarche constructive dont de nombreux éléments sont encore à discuter. Mais elle démontre bien qu'il n'y a pas à court terme de problème budgétaire pour la Pac avec la perspective de l'élargissement. Cela étant, nous devons préparer l'après 2006 et dans cet exercice, comme à Berlin, les conséquences de l'élargissement seront prises en compte, notamment en matière agricole. Mais il est trop tôt aujourd'hui pour dire comment se conclura cette négociation. D'ici là beaucoup de choses peuvent se passer sur le plan économique ou politique.
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