La
dynamique interpersonnelle et la dynamique
pédagogique
Le
noyau: moi et les immigrants (la dynamique
interpersonnelle)
C'est
en vertu des pôles ontologique, historique et
fonctionnel de J. L Lemoigne présenté par M.
André Morin (1995) que ma compréhension de
l'être humain tend à se développer. En
fonction de cette triangulation, la pratique
éducative découlerait de l'interaction
existant entre les valeurs de l'éducateur et de son
histoire de vie. Il me semble a priori possible
d'étudier celles de mes étudiants en fonction
des mêmes pôles. L'analyse de mes récits
de vie et de pratique (Pineau, 1993 ; Bernier, 1986) devront
me permettre de mieux comprendre le passage de
l'émigration à l'immigration tel que
vécu de l'intérieur par mes étudiants.
Dans cet esprit, la notion de relation pédagogique
rejoint celle de relation interpersonnelle.
La
relation pédagogique
Si
l'analogie du huis clos de Jean Paul Sartre tient le coup,
moi et mes étudiants et eux, entre eux, vivons une
expérience de nature intersubjective (Pineau, 1993)
dans le cadre du cours de français écrit
assisté par ordinateur. Cette relation fortement
imprégnée d'amour (c'est pour cela que le mot
amour dans le modèle est situé du
côté de la relation pédagogique
interculturelle) rejoint par le fait même le monde
métaculturel, qui sera décrit plus loin.
L'amour mature pour Fromm représente un don de soi
et, selon Rogers (1968), s'exprime par de
l'empathie.
Les
pôles théoriques
pédagogiques
Ouellette
(1993) soutient que le processus de francisation des
immigrants comprend une dimension humaine qui transcende le
seul enseignement de la langue. En ce sens, la dynamique
pédagogique se situe à l'avant plan de
l'esquisse du modèle; il s'agit d'une dynamique de
surface et d'un miroir de la richesse humaine vécue
dans le cours. Il s'agit des éléments
déclencheurs de la relation humaine. Dans le cadre de
cette esquisse du modèle, cette dynamique comprend
trois pôles principaux en interaction: l'humanisme, la
technologie éducationnelle (la T.E.) et la didactique
des langues. Dans mon esquisse, les ovales sont poreux afin
de refléter la vitalité des échanges
d'éléments comme dans les combinaisons
chimiques. De fait, les échanges entre les
disciplines mentionnées s'effectuent de
manière inégale et souvent
imprévisible. L'effet explicite peut
n'apparaître que plus tard à un endroit
inattendu, ce qui rejoint le principe de
l'imprévisibilité dans les systèmes
complexes, selon la théorie du chaos, une
théorie issue de la physique. Il peut arriver, par
exemple, que le respect et la chaleur humaine ressentis par
les étudiants au cours de la session permettent
à des étudiants timides de prendre des risques
et d'exploiter plus à fond leur apprentissage de la
langue en dehors du cours... ou quelques années plus
tard.
En
fait, la mise en place de cette dynamique pédagogique
n'est que le moyen qui permet à des gens de
communiquer. Le contexte d'apprentissage d'une langue et les
moyens employés, permettent à des gens de
mieux se connaître sur le plan personnel et de tisser
des liens avec d'autres personnes. En ce sens, la dynamique
pédagogique constitue la porte d'entrée d'un
univers extrêmement vaste et non une finalité,
ce qui correspond à ma vision de l'enseignement du
français. Il s'agit d'un instrument au service de la
compréhension de la nature humaine.
Le
contexte communicationnel
Le
dialogue critique de Paolo Freire (Torres-Novoa, 1977)
favoriserait l'atteinte graduelle de niveaux de conscience.
Favoriserait-il aussi la construction de la connaissance des
apprenants? S'il est vrai que pour ce pédagogue
l'égalitarisme constitue une valeur importante au
niveau social, il m'apparaît que celle ci ne peut
être valable que si elle repose sur un humanisme
profond. Fromm (Maccoby, 1994) croit aussi que les relations
interpersonnelles et la culture contribuent au
développement de la personnalité. En un sens,
cela rejoint la notion d'autopoïétique (Pineau,
1992), selon laquelle l'homme se construit. La construction
du savoir semble aller aussi en ce sens. La conscientisation
et le personnel, ainsi que l'interpersonnel me semblent
dès lors au coeur de la communication
éducative.
La
relation interculturelle
La
relation humaine interculturelle qui se dégage du
cours de français du cofi est de niveau
intermédiaire. Il me semble que celle ci s'inscrit
dans une dynamique complexe, non limitée à une
divergence de langue ou de nationalité. Dorsaint
(1998) explique: "À l'intérieur d'une
même société considérée
comme uniforme, cohabitent des sous-cultures dont une influe
sur l'autre." (9) Comme être humain, il peut nous
arriver de nous sentir plus près de certaines
personnes venant d'autres pays sous certains aspects que
sous d'autres? Pierre Billon (1982), romancier,
disait:
"
la nationalité est une définition politique
qui ne correspond pas à grand chose pour moi. Quand
je lis Gabriel Garcia Marquez, je suis sud américain
et quand je retrouve Dostoïevski, je me sens
l'âme russe. Dieu merci, il n'y a pas besoin de
passeport pour voyager dans les mondes imaginaires."
(53)
L'identité
culturelle serait ainsi beaucoup liée à un
sentiment d'appartenance à un groupe donné et,
en ce sens, viendrait plus d'une décision hautement
personnelle que de définitions
officielles.
Par
ailleurs, la relation interculturelle confronte des
référentiels: des éléments
d'architecture aux valeurs collectives et individuelles. Au
delà de l'observable, cependant, ces
référentiels typiques ou communs laissent
envisager l'existence de traits communs entre les nations
concernées. La compréhension du sens
caché des marques culturelles semble nous rapprocher
de l'essence humaine: avec le temps et la réduction
des frontières (ce que permet les médias et
Internet, notamment), les échanges interculturels
rapprochent-ils les gens du partage de valeurs ?
L'environnement
métaculturel: l'espace-temps et
l'amour
L'espace-temps
Hubert
Reeves (1986) croit que notre utilisation des
réactions en chaînes cosmiques nous conduit au
bord de l'autodestruction. "Ni les dinosaures, ni les
singes, ni même les hommes jusqu'au siècle
dernier ne pouvaient s'autodétruire. Nous pouvons
maintenant interrompre le concert de jazz... ". (160) Selon
lui, le nous, "c'est tout l'"expérience-univers qui
se joue en nous et par nous."(Reeves, 198)
Pour paraphraser Reeves, le pendule de Foucault oscillerait
actuellement du mauvais côté. Peut-on tenter de
renverser son mouvement? Reeves croit de fait à une
forme de conscience cosmique. Citant le philosophe allemand
De Mach, il affirme ceci: "Tout l'univers est
mystérieusement présent à chaque
endroit et à chaque instant du monde." (Reeves, 199)
Une conséquence de cela? Selon Freud, par exemple, la
guerre n'est rien de plus qu'un mouvement de
régulation de la population humaine, une opinion que
les recherches de Laborit sur les rats, cité par
Dubé (1986) tend à confirmer.
L'infiniment
grand n'a pas fini de soulever des doutes existentiels
majeurs. D'où venons nous exactement? Sommes nous
seuls dans l'univers? L'infiniment petit aussi nous
amène à faire preuve de modestie: des virus
tiennent tête aux médicaments modernes, des
bactéries apprennent à survivre et des
insectes ne réagissent pas aux radiations. Entre ces
deux mondes, le grand et le petit, où se situe le
nôtre? "Quelles merveilles inouïes prépare
en chacun de nous la gestation cosmique? L'homme est
né du primate. Qui naîtra de l'homme?" (19),
demande Reeves (1986). L'espèce animale du
plecostumus de mon aquarium date des origines de la vie
organisée. Cette structure, ce système, a-t-il
atteint une certaine forme d'immortalité?
Chaque
jour, des ouragans, des feux de forêt, des
inondations, bref des cataclysmes naturels nous rappellent
la fragilité de l'existence humaine. Lors de tels
événements, il semble que les gens oublient
pour un instant leurs divergences d'opinions et que la
communauté internationale fasse preuve d'une
étonnante unité. Pourquoi faut il que cela se
produise seulement aux moments de désastres, au
moment où l'on ressent la menace d'extinction due
à la catastrophe? Et qu'est ce qui nous touche au
point de faire preuve de solidarité; alors, qu'en
d'autres occasions nous nous montrons plutôt
indifférents?
Qu'est-ce
qui nous rapproche de l'amour pour un instant? Qu'est-ce que
l'amour dans ce modèle?
L'amour
L'espace-temps
décrit précédemment met en
lumière le débat entre la science et le
spirituel. Comme le mentionne Teilhard de Chardin (1955):
"Entre matérialistes et spiritualistes, entre
déterministes et finalistes, sur le plan
scientifique, la querelle dure toujours". (41) Cela met
aussi en cause les dimensions matérialiste et
spirituelle de l'amour. Selon Maslow cité par
Hilgard, Atkinson, R. L. & R.C. Atkinson, 1980, 364),
l'amour, qu'il définit comme un besoin de s'affilier
et d'appartenir aux autres, bref à un besoin
d'être aimé, occuperait le troisième
rang d'une hiérarchie qui aurait l'actualisation de
soi comme ultime sommet. Cet amour reflèterait le
luxe de pays développés puisque
l'inégalité du partage des richesses
planétaires empêcherait des nations
entières de répondre à leurs besoins
physiologiques et à leurs besoins de
sécurité qui, selon Maslow, doivent être
satisfaits avant leur besoin d'être aimé.
L'atteinte des besoins élevés de la pyramide
serait ainsi impossible, en se basant sur Maslow, dans un
contexte d'oppression. Cela me touche, me blesse et me fait
très mal.
Rogers
(1968) préférant parler de sentiment positif
définirait ainsi le besoin d'aimer: "suis-je capable
d'éprouver des attitudes positives envers l'autre:
chaleur, attention, affection, intérêt,
respect?" (40) Dans un contexte où tout changement
organismique vient de l'authenticité des êtres
en présence, de la congruence, ce sentiment positif
découlerait d'une "considération positive
inconditionnelle" (Rogers, 1968, 49) à l'égard
de l'autre. Cette vision altruiste de l'amour rejoint celle
de Fromm pour qui l'amour représentait une forme de
don de soi. Le plus bel exemple de don de soi n'est il pas
celui du Christ qui tout au moins représente, que
lon soit croyant ou non, un homme d'une grande
générosité.
Theilhard
de Chardin (1955) croit que l'amour constitue une forme
d'énergie née avec l'univers. "Si, à un
état prodigieusement rudimentaire sans doute, mais
déjà naissant, quelque propension interne
à s'unir n'existait pas, jusque dans la
molécule, il serait physiquement impossible à
l'amour d'apparaître plus haut, chez nous, à
l'état hominisé". (265) En ce sens, l'amour
viendrait d'une forme de "Dedans des choses", qui est
peut-être à l'origine du spirituel.
Sa
vision de l'amour ne constituerait-elle pas la force
indispensable qui renverserait le pendule de Foucault vu
antérieurement? Citant Nicolas de Cues du
Moyen-Âge, il ajoute: "Sous les forces de l'amour, ce
sont les fragments du Monde qui se recherchent pour que le
Monde arrive", (Theilhard de Chardin, 1955, 266). L'amour
selon Theilhard de Chardin (1955, 267) est aussi la seule
force qui permet "d'achever les êtres" , un concept
qui rejoint le sommet de la pyramide de Maslow. L'homme
peut-il aimer plus que ses proches immédiats et ainsi
contribuer à la personnalisation, à
l'actualisation de tous?
"Si,
comme vous le prétendez, un amour universel est
impossible, que signifie donc, dans nos coeurs, cet
instinct irrésistible qui nous porte vers
l'Unité chaque fois que, dans une direction
quelconque, notre passion s'exalte? Sens de l'Univers,
sens du Tout: en face de la Nature, devant la
Beauté, dans la musique, la nostalgie nous prend,
-l'expectation et le sentiment d'une grande
Présence", Theilhard de Chardin (1955,
267).
Le
spirituel, comme l'espace-temps, représente un monde
où l'inconnu occupe beaucoup plus de place que le
connu. Dans l'esquisse du modèle, cette dimension se
situe de mon côté parce que, à ce stade
ci de la recherche, il m'est impossible de présumer
de la valeur qu'elle occupe chez autrui. Le cosmos
reflète à mon sens des valeurs
existentialistes puisqu'il m'amène à
m'interroger sur le sens et surtout sur la valeur de la vie
humaine et à me demander ce qui peut engendrer en moi
tantôt de l'indignation, de la révolte et de la
colère et tantôt de la tendresse et de
l'admiration à l'égard du genre humain. Une
fois de plus, cela m'amène à croire, comme
Reeves.
La
conclusion sur l'esquisse du modèle
Ma
recherche n'a pas pour but d'identifier de manière
exhaustive toutes les composantes microscopiques ou
macroscopiques impliquées dans la communication
éducative, et encore moins de couvrir toutes les
dimensions philosophiques illustrées dans l'esquisse
du modèle. Celui-ci a été conçu
de façon à m'orienter ou du moins me guider
lors de la rédaction de mes récits de pratique
et ainsi éviter que ceux-ci se dispersent dans des
directions trop éloignées des
expériences d'apprentissage et d'enseignement.
Toutefois, il se devait d'être très ouvert afin
de ne pas devenir un carcan et ainsi créer des
inhibitions lors de la rédaction.
Je
rappelle également qu'il n'est pas dans mon
intention, de toute façon impensable, de couvrir
toutes les dimensions de la didactique des langues ou encore
de brosser un portrait complet des traits et des marques
culturelles qui ont existé à certains moments
de l'histoire à certains endroits de la terre. Ma
recherche vise plutôt à mettre en
lumière des composantes qui me semblent essentielles
à la découverte de ma vision de l'enseignement
et de l'apprentissage.
3.2
La présentation des récits de vie et de
pratique
L'introduction
J'ai
procédé à la rédaction
d'un
récit de vie de départ
questionné.
Les questions associées au récit de vie ont
permis de situer des paramètres de nature
pédagogique, mais aussi de nature interpersonnelle et
ontologique qui me permettent de comprendre l'histoire de la
naissance des valeurs qui alimentent l'esquisse du
modèle.
En
effet, j'ai relaté des événements
allant de mon enfance à aujourd'hui afin d'illustrer
mes propres passages; à partir desquels j'ai fait
jaillir un bouillon de questions de nature
pédagogique, mais aussi de nature ontologique et
sociale.
L'ensemble
de cet exercice, c'est-à-dire la rédaction du
récit de vie de départ et les questions ont
servi deux propos. Dans un premier temps, cela m'a permis de
comprendre les principes et des notions, surtout les valeurs
de lesquisse du modèle, présenté
en première partie. Dans un second temps, cela a
servi de base de réflexions aux récits de
pratique qui donnera naissance au modèle de
communication éducative à la suite des
analyses et interprétations subséquentes
(chapitre
4, page 95).
Du
récit de vie de départ aux récits de
pratique
Le
récit de vie de départ est un texte de type
narratif, poétique et philosophique qui relatait en
quatre petits récits des événements
d'apprentissage importants de ma vie. Il s'agit de:
1) le
récit 1: l'enfance
2) le
récit 2: l'apprenant,
3) le
récit 3: l'enseignant
et 4)
le récit 4: l'apprenant -
l'enseignant. Comme
ces titres le suggèrent, ces événements
couvraient une période allant de mon enfance à
aujourd'hui. Après la rédaction de ce
récit de vie de départ, j'ai approfondi la
réflexion de chacun des petits récits qui ont
alors formé des récits de pratique.
Ce
qui suit présente les quatre petits récits du
récit de vie de départ.
|
3.2.1
Le récit 1: l'enfance
Il
s'agit d'une réflexion à partir
d'événements de mon enfance qui ont eu un
impact sur ma pratique pédagogique. Il ne s'agit pas
d'une psychanalyse, mais plutôt de traces des sources
de mon comportement pédagogique issues de la
période que les psychanalystes considèrent
fondamentale au niveau de la formation de la
personnalité. Au cours de ce récit, je porte
une attention particulière aux aspects de ma vie qui
m'ont amené à occuper un rôle
d'apprenant et un rôle d'enseignant (les moments
où j'ai " montré " des choses à
d'autres) dans le contexte humain et multiculturel tel que
décrit dans le questionnement et dans la
problématique. Ce récit sera entrecoupé
de questions et de réflexions reliées à
ma pratique éducative.
Question
1 Comment ai-je vécu mes premiers
passages?
Alors
que j'étais âgé de 2 ans, nous habitions
dans le village abénaquis Odanak, un milieu
minoritaire entouré de villages
québécois. Malgré mon jeune âge,
j'ai conservé de bons souvenirs de cette
époque. Au rez de chaussée de la grande maison
blanche, il y avait deux vérandas vitrées, de
chaque côté de la maison. À
l'intérieur de celles ci, il m'arrivait
fréquemment de jouer seul et d'imaginer des histoires
de capitaines de sous marins. Ainsi il m'arrivait de
m'isoler, une attitude que j'ai conservée. Cette
attitude d'isolement a été renforcée.
À la même époque, j'avais
commencé à établir un lien avec un
petit garçon du village. Lui et moi formions de bons
amis. Lorsqu'il a dû déménager avec sa
famille, j'ai éprouvé un grand vide. Au lieu
de m'en remettre et de bâtir de nouvelles relations,
je suis retourné dans mon monde imaginaire. Puis
notre famille, à son tour, a
déménagé. Dans la nouvelle maison, l'un
de mes premiers gestes a consisté à rechercher
mon sous marin. Je me rappelle que, à
l'époque, j'avais 3 ans, je n'étais même
pas conscient du fait qu'il s'agissait d'une nouvelle
maison. Bref, dès le début de ma vie, j'ai
appris à créer mon propre
environnement.
La
solitude engendrée par le départ de mon ami
était imprégnée d'une profonde
tristesse. Cela avait probablement aiguisé ma
sensibilité. De fait, je me sentais incapable de la
moindre agressivité. Même lorsqu'il m'arrivait
de jouer aux Cow boys et aux Indiens, je pleurais à
la mort simulée de mon frère. Puis est venu le
moment d'entrer à l'école. J'ai vécu
cet épisode comme un choc.
Question
2 Quelles ont été les répercussions de
ma solitude sur mon
comportement
d'apprenant à l'école?
À
Saint-François-du-lac, on inaugurait l'école
le jour de mon entrée en maternelle. Ce
jour-là, j'avais l'impression d'être dans les
nuages. On me retirait de mon monde imaginaire et de mon
isolement pour m'introduire de force dans la
société. Lors des séances de peinture
à la gouache comme dans les jeux avec des camions, je
ne me mêlais pas aux autres. Au lieu de me faire des
amis, je restais seul la plupart du temps. Le ratio "
moments solitaires " et " relations sociales " donnait
nettement un avantage à la première
situation.
Je
me souviens même avoir été puni à
cause de mon isolement. La surveillante de
récréation avait formé une
clôture composée des enfants qui, comme moi,
préféraient jouer seul. Elle appelait
ça " faire le piquet ": une expérience
humiliante. Comme j'étais vulnérable laid et
gras, il arrivait fréquemment que les autres enfants
se moquent de moi et me fassent mal. Mon frère
prenait ma défense quand il lui arrivait d'être
témoin de certaines scènes. Un autre
élève, réputé pour être
une brute et son frère aussi bagarreur que lui
prenaient aussi occasionnellement ma défense.
Quelques années plus tard j'allais faire la rencontre
d'un autre étudiant qui, bien qu'anciennement
délinquant, prenait la défense des faibles
à son école. Cet étudiant fait
maintenant partie de l'armée canadienne.
De
fait, mes contacts significatifs venaient souvent des
lectures que le prêtre me demandait de faire à
la messe le samedi soir ou le dimanche. Il
s'agissait-là d'une activité que j'aimais
bien. Il m'arrivait aussi de me cacher dans l'escalier alors
que des membres du comité pastoral tenaient des
réunions à la maison. À quelques
occasions, je n'ai pu résister à la tentation
de glisser un mot aux conversations. Par rapport aux
meurtriers que Dieu envoyait en enfer, il me semblait qu'il
s'agissait d'une attitude éloignée du pardon
et de la miséricorde. À cette époque le
prêtre voyait en moi un possible membre de la
relève.
À
la maison, je replongeais dans mon monde imaginaire et mes
jeux solitaires alors que mon frère allait faire du
sport avec ses copains. Un jour, un nouveau est venu
s'établir à Saint François du lac avec
sa famille. Comme il ne connaissait personne, il m'a
été facile d'établir une relation avec
lui. Ensemble, nous avons fait les cent coups pendant
quelques mois c'est à dire jusqu'au jour où
lui et plusieurs membres de sa famille périrent dans
un incendie. Bien sûr que cela m'a replongé en
pleine solitude. Il est possible, par ailleurs, que les
bienfaits que la venue d'un étranger avait
semés en moi m'aient procuré une attitude
bienveillante à l'égard des gens de
l'extérieur et de cultures différentes. Les
deux enfants qui ont marqué mon enfance sont, d'une
part, mon copain amérindien (ou vivant dans un
village amérindien) et, d'autre part, un nouveau
venu.
Première
série de questions pour la construction du
modèle
Quels
sont les facteurs qui facilitent l'intégration d'un
nouveau venu dans une relation? Quels liens pourrait on
établir entre l'étranger et
l'immigrant?
-
Qu'implique une telle
relation comme changements dans la manière de
vivre d'un autre? Quelle est la part de découverte
de l'autre et celle d'expression de
soi?
-
Ma " tendre enfance "
comprend t-elle les germes qui ont guidé mes
pratiques éducatives? N'y retrouve t on pas les
germes de l'autodidaxie et ceux de ma
préoccupation pour l'interculturel? Ne serait ce
pas ces débuts qui ont réellement
orienté ma carrière actuelle?
Ma solitude et mon rejet de mon
monde immédiat ont dû contribuer à une
attitude défaitiste. D'une certaine manière,
j'ai commencé à croire que le destin voulait
de moi que je mène une vie solitaire. Ainsi me suis
je entouré de chats et, plus tard, d'un chien; ces
animaux constituaient les membres vivants de mon univers.
À mes yeux, ils avaient plus d'importance que tout
être humain. Mon repli sur moi a pris diverses formes.
En plus de me bâtir un univers social composé
d'animaux, j'ai appris à m'exprimer à ma
manière. À14 ans, je comptais
déjà plus de 200 chansons et poèmes, en
plus de quelques récits d'aventures. Mes textes
traitaient beaucoup de solitude. Sur le plan humain, un
chansonnier était devenu une idole. J'avais
été touché par les mots d'une chanson
qui parlait de croissance solitaire. Un jour j'ai mis le feu
à mes documents, effrayé à
l'idée que mes parents en découvrent
l'existence. Je n'avais confiance en personne. J'ai tout de
même conservé ceux auxquels j'attachais le plus
d'importance.
Dès
lors, je rêvais de devenir zoologue ou
paléoanthropologue et de vivre la plupart du temps
loin de toute civilisation. En classe, lors d'un cours de
catéchèse, j'avais même pris
l'initiative de demander au professeur si je pouvais faire
une présentation orale sur les animaux en voie
d'extinction. La religieuse qui donnait le cours a
acquiescé à ma demande sans trop savoir quel
pouvait être le lien entre mon sujet et la religion.
À la suite de ma présentation, elle m'a
demandé si j'avais des projets d'avenir. C'est
à ce moment-là que j'ai reconnu mon
intérêt pour la vie en jungle. Comme je ne
rêvais pas d'être pompier, joueur de hockey ou
pilote d'avion comme tous les petits garçons de mon
âge, elle est intervenue auprès du groupe en
disant, pleine de respect à mon endroit "que
j'étais un monsieur"; elle a ajouté qu'il n'y
avait aucune plaisanterie dans ce commentaire... Un
professeur de l'Université Concordia, directrice du
département d'andragogie (Adult Education), en 1989,
me disait que j'étais "an unlikely young man". Y
a-t-il un lien?
Aujourd'hui
je crois qu'il y avait un lien entre ma présentation
orale et Dieu. Ma présentation orale, en traitant du
sort de centaines d'animaux en voie de disparition, laissait
émerger celui que je considérais comme un
grand responsable, voire même un criminel: l'Homme.
L'être humain, séparé de Dieu, qui se
laisse guider par ses seuls instincts et son
égoïsme est responsable de bien des maux. Mon
professeur avait sans doute apprécié mon sens
véritable des responsabilités. Un
écrivain, quelques années plus tard, faisait
dire à l'un de ses personnages qu'il
appréciait les gens qui prenait le sort du monde sur
leurs épaules. Quand j'avais 12 ans, je m'occupais
déjà de celui des animaux.
Deuxième
série de questions pour la construction du
modèle
-
Peut on vraiment
enseigner aux humains si on leur préfère
les animaux?
-
De quelle manière
la théorie de l'évolution a t elle
influencé ma geste
éducative?
-
Le texte écrit
semble avoir constitué un élément
majeur de croissance personnelle. Est il impératif
d'inclure cet aspect lors de l'enseignement de
l'écrit? Ou ne devrais je pas respecter les
démarches individuelles?
-
Ce qui semble avoir
été bon pour moi l'est il pour les
autres?
-
Quelle est l'influence
de la peur et de la méfiance à l'endroit
des autres en enseignement? Qu'en est il quand
l'apprenant se sent inférieur ou supérieur
à ses collègues?
-
L'influence d'un animal
est elle vraiment négligeable sur le plan de la
psychologie de l'apprentissage? La zoothérapie
montre que les animaux contribuent à
développer des habiletés d'expression
affective et sociale; les gens parlent à leurs
animaux; en ce sens, est ce un moyen de plus pour
pratiquer la langue?
-
De quelle manière
les apprentissages faits par des animaux pour le cirque,
le cinéma, le dressage et la simulation
contiennent ils des aspects pertinents à
l'enseignement des langues? Des gorilles n'ont ils pas
appris des mots? Les exercices
répétés ("drill and practice") ne
s'appliquent ils pas aux animaux comme aux humains? Le
langage des signes ne serait-il pas pertinent pour aider
des sourds à tout au moins comprendre une langue
seconde?
Par ailleurs, je laissais libre
cours à divers fantasmes. À titre d'exemple,
l'un de mes passe temps préférés
consistait à recueillir et à nettoyer les
crânes de mes chats morts. Il m'est même
arrivé de reconstituer le squelette d'un renard. Ces
objets représentent encore des éléments
décoratifs de mon appartement. Tout ce qui
était susceptible de me distinguer des autres
devenait une source d'intérêt. Peut être
est il vrai que je tentais de me rendre intéressant
et de m'attirer l'attention des autres. Il reste, cependant,
que cette attitude a aussi contribué à
cultiver en moi un goût de recherche de la
différence. Mon père qui, semble t il,
appréciait le travail que j'effectuais sur moi
même avait défendu ma cause auprès de ma
mère pour que celle ci accepte de garder au
congélateur mes cadavres d'animaux. Ainsi
étais je en plein processus d'exploration et de
découverte, selon lui. Je me demande plutôt, de
mon côté, si mes goûts macabres ne
visaient pas à exprimer la douleur que j'avais subie
à la suite du décès de mes amis...
humain ou animal.
Troisième
série de questions pour la construction du
modèle
-
Dans quelle mesure
l'enseignant joue t il un rôle de
psychologue?
-
Le fait d'amener les
gens à écrire dans le but d'apprendre la
langue écrite ne favorise t il pas
l'émergence d'un retour sur soi chez les
apprenants? Dans quelle mesure l'enseignant doit il
intervenir?
-
Où se trouvent
ses droits et devoirs et où se trouvent ses
limites? Doit on absolument favoriser le processus
d'exploration et de découverte? De quelle
manière exploiter ces tendances?
De fait, il existait une
véritable relation d'amour entre moi et mes chats.
Chaque fois que l'un d'entre eux était tué par
une automobile, mon réservoir de tristesse se
remplissait. Le règne animal occupait une telle
importance que dès l'âge de huit ans mon choix
de carrière était établi: j'allais
vivre seul en pleine jungle en compagnie d'animaux; alors,
je me suis intéressé aux travaux de Jane
Goodall auprès des chimpanzés et à ceux
de Diane Fossey avec ses gorilles. Encore aujourd'hui je
regrette amèrement de vivre dans un système
qui possède des règles de fonctionnement
à cause desquelles je me sens souvent comme un animal
en captivité. Dès lors, je voulais qu'on me
fiche la paix et je ressentais le besoin d'exprimer un
désir de liberté. Les systèmes
politiques et économiques construits par les
êtres humains, qu'ils soient de nature capitaliste ou
communiste, me tombaient sur les nerfs. L'être humain,
à mes yeux, était un idiot. Du moins ceux qui
plaçaient leurs semblables en position de servitude
et d'humiliation.
Quatrième
série de questions pour la construction du
modèle
-
L'amour? N'est ce pas
l'essence d'une relation? Ce sentiment existe entre
l'humain et les animaux (ses semblables?); entre l'humain
et l'humain. Ne devrait il pas être, en
conséquence, au cur d'une relation
éducative?
-
Dans quelle mesure y a t
il une influence " interculturelle " entre l'humain et
l'animal? Si l'homme domestique l'animal, quelle est
l'influence de l'animal sur le comportement humain? Dans
quelle mesure l'animal favorise t il l'expression de soi
(dans un contexte d'apprentissage du français) et
aide t il à développer des habiletés
de relations sociales?
-
Les systèmes
construits par l'humain mènent à la
servitude et à l'humiliation dans une large
mesure. Cette prise de conscience et la colère que
j'éprouve ne cultivent elles pas en moi, comme
éducateur, le désir de mettre en place des
structures pédagogiques de nature autonomisante et
basées sur le respect mutuel?
-
Dans quelle mesure
reproduit on les modèles appris, même si
ceux ci nous semblent nocifs?
-
La correction par les
pairs n'est elle pas une forme d'asservissement? En
particulier dans le cas d'un adulte puisque pour celui ci
le retour aux études en soi peut être
ressenti comme une expérience
éprouvante?
Ma
vulnérabilité est restée forte jusqu'en
1976, date à laquelle Montréal recevait les
jeux olympiques. J'ai passé deux semaines
entières le nez rivé à l'écran
de télévision pour admirer surtout les
prouesses de la gymnaste roumaine Nadia Comaneci.
Après les jeux, j'ai éprouvé le
désir de m'impliquer sportivement. Auparavant,
j'avais échoué l'examen d'un cours de
natation... C'est au Cégep, dix ans plus tard, qu'un
professeur a compris pourquoi je coulais lorsque j'essayais
de me mettre sur le dos. Le problème venait de la
lourdeur de mes cuisses, qui rendait l'action de flotter
impossible si je ne remuais pas les jambes. Si on avait
compris cela dix ans plutôt, je n'aurais pas
encaissé ma défaite. Quoi qu'il en soit, les
jeux olympiques m'ont encouragé à faire du
jogging et de la bicyclette. Comme par enchantement, mes
kilos en trop fondaient; conséquemment, on ne se
moquait plus de moi à l'école.
La
télévision avait réussi là
où mon père et l'école avaient
échoué. Le premier m'avait inscrit à la
piscine sans succès, alors que les cours
d'éducation physique à l'école
suscitaient peu d'intérêt chez moi. La
télévision et maintenant l'ordinateur
constituent-ils l'un des principaux agents
d'éducation de l'école de la vie? Les autres
viendraient des pairs et de la famille. À partir du
moment où j'ai pris la décision de m'impliquer
dans le sport, les ressources de l'école avaient
changé de rôle. Au lieu d'être au service
du programme d'éducation qui contrôlait la
nature et la forme que devait prendre ma formation
secondaire, j'employais dès lors les ressources de
l'école pour répondre à MES
besoins.
À
l'école j'ai fait du jogging sur l'heure du midi
accompagné de professeurs. De fait, je courais
parfois douze kilomètres par jour répartis en
deux séances: six le matin vers quatre heures et six
autres le midi à l'école. Ma
persévérance m'a valu une récompense
officielle de l'école; en effet, à ma
surprise, on m'a envoyé une sorte de diplôme
pour féliciter mes initiatives et ma
persévérance. Ce document, à mes yeux,
a toujours eu plus de valeur que les diplômes de fin
d'études. Peut-être en aura-t-il même
davantage que ma maîtrise. Il représentait une
forme de reconnaissance officielle venant du milieu scolaire
pour un apprentissage non-officiel, issu de l'école
de la vie. J'avais su relier les deux milieux en une seule
activité. Toutefois, ce diplôme
reflétait pour moi le passage d'une vie totalement
refermée, de victime sans mécanisme
défense à celle d'une vie plus
forte.
Mon
implication dans le domaine parascolaire a augmenté
considérablement. D'abord, j'ai été
membre de l'équipe de volley-ball qui
représentait l'école dans divers tournois.
Même si je n'étais pas le meilleur joueur, mes
coéquipiers appréciaient beaucoup la
qualité de mes services à effet, mes
déplacements défensifs, mon sens de
l'anticipation des attaques adverses et surtout la
précision de mes passes. Ces dernières ont
permis à notre équipe d'exploiter à
fond la puissance de son attaque et de remporter le
championnat des deux ligues pour lesquelles nous jouions
simultanément. Ma valeur n'était ni
évidente à mes yeux ni à ceux de
l'instructeur, biaisés par la valeur que nous
accordions à la puissance de nos attaquants. Nous
oubliions un détail: sans passe précise, nos
attaquants demeuraient sans force. Et plusieurs d'entre eux
faisaient de mauvaises passes... Toutefois, ceux-ci se sont
spontanément rebellés lors de la série
finale d'un tournoi en voyant que l'instructeur ne comptait
pas me faire jouer. Aux yeux des joueurs, pour gagner, ma
présence allait de soi.
À
cette époque, je couvrais la section sportive du
journal-étudiant. Cela me forçait à
assister à diverses compétitions sportives des
autres équipes masculines et, plus
intéressant, féminines de l'école. Lors
de ces événements, je prenais des notes et je
réalisais occasionnellement des entrevues
auprès des joueurs. Ainsi, je recueillais des
récits de pratiques sportives. Il m'arrivait aussi de
prendre des photographies. À la suite d'un incident
interne, on m'a demandé de remplacer le
rédacteur en chef, chassé de l'équipe
du journal pour fainéance. Je me suis à ce
point impliqué dans le journal que cette
année-là l'école m'a donné des
crédits pour un cours inexistant de...
journalisme.
L'école
secondaire avait ainsi reconnu la valeur de ma
persévérance dans le domaine de la course
à pied et celle de ma participation dans une
activité parascolaire. Faut-il s'en étonner
dans la mesure où il régnait encore à
Nicolet à cette époque-là un peu de
l'atmosphère de pédagogie ouverte qui avait
animé le directeur précédent, un
psychanalyste. Mon père qui avait été
son adjoint croyait aussi beaucoup à la valeur de la
pédagogie ouverte.
Comme
rédacteur en chef, mon style de direction s'inspirait
des mauvaises habitudes d'une trop longue période de
solitude. J'ai imposé ma vision de façon
autoritaire au lieu d'établir une forme de cogestion;
mon autorité découlait beaucoup plus de mon
acharnement au travail, du modèle qu'offrait mon
comportement que du désir d'ordonner. De l'avis de
plusieurs, le dernier numéro du journal était
le meilleur que l'école ait connu et devait servir de
modèle pour guider le professeur superviseur du
journal. Pour ce numéro, j'ai demandé à
tous mes collaborateurs de se réserver une page
personnelle pour exprimer, illustrer et raconter ce que
signifiait pour eux le fait d'avoir participé
à l'équipe du journal. Sans le savoir, je leur
demandais un récit de vie à caractère
phénoménologique.
Le
journal m'avait évidemment habitué à
une certaine systématisation. Nous étions
responsables de la cueillette des textes, de la mise en
page, de l'assemblage et de la vente du journal. Il me
semblait particulièrement agréable d'aller
vendre des copies du journal à une école
privée de filles. Par ailleurs, un professeur
d'éducation physique impliqué dans la
région m'a amené à écrire
régulièrement des articles dans l'hebdo de
Nicolet. Le journal me permettait ainsi de mieux
connaître le monde du journalisme et de me procurer
une certaine notoriété dans la
région.
Toutefois,
mon apprentissage avait été beaucoup plus
relié à la puissance de l'expression de soi et
à la communication écrite. Mes textes
étaient lus. L'un de mes confrères de classe
disait même que j'arriverais à rendre
intéressant un fait aussi banal que le manque d'une
poignée de porte à une armoire... Une
étudiante est venue me voir pour discuter de
thèmes que j'avais écrits et qu'elle n'avait
pas appréciés. Pourtant, je ne me rappelais
pas avoir écrit un seul des mots qu'elle me
reprochait... L'essentiel est invisible pour les yeux,
disait Saint-Exupéry. Or, les mots lorsqu'ils sont
écrits, c'est surtout pour les yeux.
J'ai
découvert ce jour-là que la langue n'est
souvent qu'un prétexte pour rapprocher les humains et
tenter de rendre accessible l'incommunicable. Cette
étudiante ne cherchait qu'un prétexte pour
s'exprimer; ce qu'elle a fait davantage l'année
suivante lorsqu'elle a décidé de faire partie
de la nouvelle équipe du journal. Je devais apprendre
que cette jeune fille avait essayé de se suicider
quelques mois avant de lire mon texte et de communiquer avec
moi. Notre rencontre lui a peut-être redonné
goût à la vie.
Cette
expérience devait vraisemblablement me convaincre
d'étudier dans le domaine de la communication plus
tard. Ne constitue-t-elle pas également une
première expérience reliée à la
technologie éducationnelle? Au Cégep, j'ai peu
participé à des activités
parascolaires. Toutefois, j'allais souvent au cinéma
grâce aux efforts d'un professeur de cinéma,
fondateur de Ciné-Campus à
Trois-Rivières et maintenant technologue de
l'éducation. Il avait réussi à
créer un cinéma de répertoire au
coût d'entrée dérisoire. Par ailleurs,
je lisais beaucoup de romans et j'ai entrepris la
rédaction d'une première version d'une
pièce de théâtre. Celle-ci s'inspirait
du roman policier et du roman d'horreur. Il ne s'agissait
pas de ma première fiction. Dans le
journal-étudiant il m'était arrivé de
rédiger en deux pages l'histoire de la vie d'un
personnage qui finissait par prendre son envol après
avoir été du côté des "suiveux"
toute sa vie. Mon texte puisait dans le monde du
mystère, un climat que j'aime bien.
Bien
sûr un collègue de classe avait bien
essayé d'obtenir ma collaboration dans le
journal-étudiant du Cégep dont il avait la
responsabilité. Cet ancien confrère de classe,
maintenant avocat, plaçait toujours mes textes comme
éditoriaux. Toutefois l'aventure journalistique
estudiantine relevait déjà un peu du
passé pour moi. Vers la fin de mon Cégep, je
me suis embarqué dans deux aventures sur un coup de
tête: un voyage à New York et une semaine
d'études sur le terrain en géologie à
l'université de Rimouski. Dans les deux cas, je
m'étais inscrit seul à l'intérieur de
groupes. À New York, je m'étais beaucoup
intéressé au musée d'Histoire
naturelle; alors que du côté de Rimouski j'ai
pu faire un peu de spéléologie. Sur un autre
coup de tête je partais pour Ottawa à la fin de
mon Cégep.
Ainsi,
mes premiers contacts avec la société et
l'institution scolaire ont été
désagréables. Peut-être cela a-t-il
joué un rôle... sur mon comportement en
général.
Cinquième
série de questions pour la construction du
modèle
-
Le fait de laisser un
enfant ou un apprenant seul favorise t il l'autonomie
dans l'apprentissage?
-
Quel est le rôle
du monde imaginaire comme base d'expression personnelle
et de communication?De quelle nature devrait être
le soutien de l'enseignant auprès d'un apprenant
qui éprouverait de la difficulté à
supporter son isolement?
-
Est il souhaitable de
favoriser l'isolement? Jusqu'à quel
point?
-
Est il souhaitable
d'amener les apprenants à concevoir leur propre
environnement éducatif?
-
Les approches
éducatives destinées aux adultes
s'appliquent elles aux enfants? L'enfant est il
l'égal de l'adulte?
-
Dans quelle mesure
l'adulte a-t-il le droit d'intervenir dans la
destinée de l'enfant?
-
Tous les enfants
agissent ils comme je l'ai fait?
-
Dans quelle mesure
l'éducation reçue de mes parents a t elle
influencé mon propre cheminement?
-
De quelle manière
peut on exploiter les apprentissages effectués au
cours de la démarche individuelle?
-
Quelles sont les
attitudes qui guident l'apprentissage et peut on les
classifier de telle manière à distinguer
celles qui forment des attitudes fondamentales et
d'autres des habitudes?
-
Jean -Jacques Rousseau
disait que l'enfant était un adulte en miniature.
Mon exemple illustre t il cet aspect de
l'apprentissage?
-
L'équilibre entre
les relations sociales et l'isolement est il souhaitable?
Ou ne vaut il pas mieux respecter les dispositions
individuelles? En conséquence, en classe va t on
forcer l'établissement de liens et la
création de dyades?
-
Les rapports apprenants
et enseignants doivent ils être de nature
autoritaire ou de nature égalitaire?
-
Comment les
étudiants vivent ils la période de chocs
due au passage d'un type de vie à un autre? Est ce
agréable ou désagréable?
-
Les rapports
désagréables sont ils nécessairement
destructeurs? Ou ne contribuent ils pas plutôt
à confronter l'apprenant à lui même
en vue d'une croissance?
-
La punition? Doit on
punir un comportement si celui ci ne cause pas de tort
à autrui? Et comment? Au lieu de punir
l'isolement, ne pourrait on pas offrir des
activités compensatoires comme l'usage d'Internet?
Le fait de rester seul implique t il
nécessairement un refus de communiquer? Une
personne seule ne peut elle pas, au contraire,
communiquer différemment des autres? Jouer au
soccer n'est peut être pas une
panacée.
-
La formation
d'équipes par la technique de la
détermination au hasard est elle une bonne chose?
Je détestais cela comme étudiant; qu'en est
il de mes étudiants?
|
Des
applications pédagogiques de ces premières
expériences: du travail individuel au travail
collectif
Je
reprends ci-dessous l'une des questions soulevées
dans le récit de vie et tente d'y répondre par
un récit de pratique. La question se lisait
ainsi:
L'équilibre
entre les relations sociales et l'isolement est il
souhaitable? Ou ne vaut il pas mieux respecter les
dispositions individuelles? En conséquence, en classe
va t on forcer l'établissement de liens et la
création de dyades?
Comme
apprenant autodidacte, comme personne s'enseignant à
lui même, le fait de travailler seul m'a souvent
permis, je crois, d'atteindre rapidement des objectifs avec
lesquels je me sentais à l'aise. Dans ce cas, il
s'agit d'objectifs pour lesquels, je possédais
déjà des acquis importants ou encore d'autres
qui représentaient des défis excitants. Par
ailleurs, le fait de travailler avec des inconnus ou des
gens qui possédaient de meilleurs acquis que moi me
rendait nerveux. J'en perdais mes moyens. Ainsi me suis je
retrouvé en situation de régression mentale au
niveau de mes capacités d'apprenant. J'attribue cela
à une certaine timidité et à un
important manque de confiance en moi. Par contre, j'ai
beaucoup apprécié la collaboration de gens qui
ne m'étouffaient pas lors de travail en
équipe, de ceux qui me laissaient prendre des
initiatives. Des partenaires me paraissaient aussi
souhaitables si, en plus de manifester une attitude
accueillante, ils possédaient une maîtrise
d'aspects d'une tâche que je trouvais
particulièrement inintéressante ou trop
éloignée de mes connaissances.
Ainsi
j'ai apprécié le travail en équipe dans
le cas où le ou les partenaires possédaient
surtout une attitude accueillante; sinon, j'ai nettement
préféré travailler seul. Chaque fois
que j'ai travaillé en équipe, j'ai
souhaité également que l'occasion puisse me
permettre d'établir une nouvelle relation
d'amitié. Le sens de la dyade dépassait
largement celui de la tâche à accomplir. J'ai
aussi constaté l'existence d'une évolution
aussi bien dans mes préférences de style de
travail que dans celle du groupe comme tel. S'il m'arrivait
de préférer travailler seul,
l'expérience de l'équipe pouvait à la
longue gagner ma faveur; alors, qu'à l'opposé,
il pouvait y avoir désir de divorce avec un
partenaire. Bref, l'expérience pouvait m'amener
à des changements drastiques au niveau de ma
perception de celle ci. Ou bien cela m'ouvrait les yeux sur
de nouveaux horizons, ou bien cela me permettait de voir des
barrières et de réaliser mon erreur au moment
de ma décision.
Par
ailleurs, même si certaines activités me
paraissaient désagréables, en rejeter la
valeur était une autre paire de manches. D'une part,
la vie est remplie de situations désagréables;
alors que, d'autre part, la valeur
Mon
expérience d'apprenant m'a amené à
croire que l'idéal consistait peut être en un
chevauchement du travail individuel et du travail en dyades.
Trop de l'un conduit à un isolement que j'ai
longtemps regretté, alors que l'excès du
travail collectif me semble sujet à la
création d'une relation de dépendance. Cette
croyance m'a probablement conduit à concevoir des
activités éducatives qui tiennent compte de
ces deux dimensions lors de ma pratique éducative. En
début de carrière, je me suis senti
plutôt enclin à favoriser la tenue de cours
traditionnels.
Comme
éducateur, alors, il m'a semblé important de
concevoir un cours qui accorde aussi bien une place au
travail individuel qu'à l'apprentissage de type
coopératif. Force est d'admettre, cependant, qu'en
début de carrière, le développement et
le déroulement de mes activités suivaient un
cheminement chaotique. Cela était dû au fait
que j'apprenais une grande partie du contenu à
enseigner et des méthodes simultanément.
Parfois, il m'arrivait de m'inspirer des techniques que
j'avais vécues comme étudiant, même de
celles qui ne m'avaient pas plu. J'appliquais ce que je
connaissais. En d'autres mots, mon approche éducative
opérait essentiellement par imitation. Maladroitement
aussi il m'arrivait de me laisser inspirer par le groupe. Si
celui ci semblait mieux apprécier le travail en
commun, mon cours accordait alors beaucoup de place aux
initiatives de travail en groupes et aux interactions
spontanées. Si, au contraire, mes étudiants
semblaient manifester une attitude passive, j'avais le
réflexe de me retirer sous une forme d'enseignement
traditionnel, selon lequel mon rôle comprenait une
large part de transmission d'informations. En un mot, comme
éducateur, j'ai vécu une période
initiale de tâtonnements, laquelle me permettait
d'explorer des aspects variés de l'enseignement et de
l'apprentissage.
Intuitivement,
cependant, j'avais compris que la relation éducative
mettait en présence des apprenants et un enseignant;
de même, il me semblait que les uns apprenaient aussi
des autres. Il m'avait aussi paru évident que le
groupe comme tel possédait sa propre démarche,
parfois contradictoire à celle du professeur ou des
méthodes préconisées par l'institution
scolaire. Ainsi chaque membre de l'équipe devait
s'adapter aux autres, qu'il s'agisse des divers apprenants,
de l'éducateur et des gestionnaires de
l'établissement scolaire. À certains moments,
il me semblait être pris entre deux feux. D'un
côté, des étudiants ne juraient que par
de l'enseignement de type traditionnel; alors que d'un autre
côté, l'administration nous interdisait
carrément d'enseigner la langue sous quelque aspect
grammatical que ce soit. C'était l'époque
dogmatique de l'approche communicative.
Néanmoins,
j'ai été davantage sensible aux attentes des
étudiants et aux styles d'apprentissage des
étudiants qu'au dogme de l'institution scolaire,
même lors de la venue surprise d'observateurs en salle
de classe. Généralement, il m'a semblé
que bien peu d'étudiants étaient tout à
fait traditionnels ou tout à fait non traditionnels.
Ainsi, graduellement, il m'a paru plus facile d'instaurer
des activités qui tantôt favorisaient
l'apprentissage individuel et tantôt la collaboration
des gens. De fait, les préférences des
étudiants (tout comme les miennes) se situaient
à l'intérieur d'un continuum très
nuancé; avec le temps et l'expérience, il
arrivait même que celles ci changent de manière
drastique.
Que
conclure de tout cela sinon que la démarche
individuelle et l'interaction forment deux constituantes de
la même situation d'apprentissage. Si une situation
d'enseignement et d'apprentissage ne jure que par l'une des
démarches, l'autre finit souvent par manquer... Le
tout consiste à établir une stratégie
qui se base sur les préférences initiales du
groupe et d'y intégrer graduellement des
éléments qui répondent à
d'autres tendances. Méfions nous aussi des gros Non!
catégoriques de certains étudiants.
L'expérience m'a montré qu'il arrivait que mes
étudiants les plus ancrés dans une conception
de l'apprentissage changent drastiquement de point de vue.
E, l'une de mes étudiantes de la session
dernière, par exemple, m'avait carrément
mentionné qu'elle ne voulait pas perdre son temps. En
ce sens, elle a sévèrement exigé de
faire des exercices en solitaire. Quelques semaines, plus
tard, elle exigeait avec force la tenue davantage
d'activités de type coopératif... O, une autre
étudiante, m'a demandé avec enthousiasme si le
travail en équipe était une technique
éducative importante au Québec; cette
même personne, quelques semaines plus tôt,
m'avait critiqué durement parce que je favorisais
l'apprentissage coopératif.
L'ordinateur
est un jouet qui, parfois, suscite des interactions
spontanées. Sa seule présence; parfois, suffit
pour établir un climat de collaboration. Les
étudiants les plus forts sur le plan technique ne se
laissent pas priver pour venir en aide aux autres. Par
contre, il arrive aussi que les étudiants s'assoient
derrière l'ordinateur pour oublier leurs
collègues et la classe. Ils se créent, semble
t il, un monde individuel. En un mot, l'instrument en soi ne
fait que révéler des tendances personnelles.
Il crée un effet miroir qui nous permet de mieux
comprendre la personnalité des utilisateurs. Sachant
cela, le concepteur d'environnement pédagogique
informatisé que je suis dispose d'informations
susceptibles de l'aider à établir un meilleur
équilibre entre la démarche individuelle et la
démarche en équipe.
La
dimension ludique de l'ordinateur entraîne parfois
l'apprenant à se consacrer sur la double tâche
à accomplir: l'apprentissage de l'outil de travail et
celui du français. Il semble que cela facilite, pour
certains, le partage des idées par l'écrit.
Des étudiants perdent ainsi des inhibitions et leurs
craintes face à l'exposition de leurs erreurs. Ainsi
ai je vu des étudiants s'amuser lors de dialogues
écrits ou lors de l'usage de tutoriels
destinés à l'apprentissage de
l'écriture et de la lecture, même si cela les
obligeait du même souffle à exposer leurs
erreurs de français aux autres. Ainsi l'emploi de
l'ordinateur ajoute une dimension à la situation
d'apprentissage.
3.2.2
Le récit 2: l'apprenant
Il
s'agit principalement d'événements
reliés à mes premières études
universitaires en communication à l'université
d'Ottawa et de mes études en andragogie à
l'université Concordia. Dans le cadre de mon
récit de pratique comme apprenant, il sera aussi
question des événements marquants qui ont pu
influencer mon comportement pédagogique
Question
1 Comment ai-je vécu mes deuxièmes
passages?
À
la fin de mes études collégiales, j'ai choisi
de quitter mon village, une fois pour toute. En fait, un
jour j'ai quitté Saint François du lac, sur un
coup de tête et j'ai entrepris des études
universitaires à l'Université d'Ottawa.
Même si là bas, je me retrouvais encore plus
isolé qu'avant; car, après tout, je quittais
les quelques personnes de mon entourage, mes débuts
dans cette nouvelle ville m'enivraient. Il s'agissait d'une
aventure et d'une occasion en vue d'explorer de nouveaux
horizons. De fait, je ne me souviens pas avoir
regretté mon geste ou de m'être ennuyé
de mon village. Il s'est toutefois produit un
événement inoubliable dans le cadre de l'un de
mes cours. Après avoir travaillé fort et avoir
accompli près des deux tiers d'un projet
d'émission de télévision dans un cours
en communication, l'équipe dont je faisais partie a
pris la décision de m'expulser. Les membres de cette
équipe étaient en grande partie
composés de Québécois. La
méchanceté avait pris un nouveau visage. Le
soir où l'incident s'est produit les deux seuls
étrangers du groupe, un Camerounais et un
Zaïrois, ont passé la nuit chez moi avec moi.
Cet événement a été le
début d'une amitié qui a duré
jusqu'à la fin de mes études. Avec eux ma
solitude prit fin. De plus, j'ai eu l'occasion de m'exprimer
à l'intérieur d'un club international et de
rencontrer nombre d'immigrants. C'est dans ce contexte que
mon silence a pris fin et que j'ai commencé à
faire partie de la société. J'ai bien
sûr entretenu des relations avec quelques
Québécois; mais, de manière
générale, mon entourage venait du monde
entier.
Première
série de questions pour la construction du
modèle
Ainsi, il faudra attendre
l'université d'Ottawa et ma rencontre d'un
étudiant camerounais, alors étudiant en
communication comme moi pour que je renoue avec les
activités parascolaires. Cet étudiant est
maintenant technologue de l'éducation. Plusieurs de
ses amis que je rencontrais régulièrement
travaillaient comme diplomates dans diverses ambassades
africaines que j'ai pu visiter. À la
télévision communautaire, j'ai
participé à deux émissions portant sur
les relations entre les médias et la politique.
À Ottawa, je vivais ma première
expérience avec le milieu de la politique
internationale. J'ai aussi fait la connaissance d'un
écrivain qui était professeur invité au
département de communication. Il était aussi
le conseiller du ministre des Communications sur le plan des
projets techniques, ce qui l'a amené à
s'occuper de la présidence du comité de suivi
des échanges technologiques dans le cadre du Sommet
de la Francophonie.
Quelques
années plus tard, des amis indiens m'ont
accordé le privilège d'assister à une
cérémonie religieuse typique; par la suite,
j'ai entrepris de nouvelles études, à
Québec. Là bas je me tenais presque seulement
avec des étudiants étrangers; bref, mes
débuts d'être social se sont effectués
à l'intérieur d'un monde multiculturel. C'est
alors que j'ai réalisé la valeur que les
dimensions culturelles représentaient pour les
gens.
Peut-être
était-ce le milieu politique qui m'avait
motivé à choisir la ville de Québec
lors de mon retour aux études quelques années
plus tard. À l'université Laval, je me suis
impliqué dans une expérience de jumelage
linguistique qui a duré près de deux ans. Dans
le cadre du cours de graphisme que j'avais pris dans mon
programme de certificat en technologie éducative,
j'ai eu l'idée d'illustrer les grandes étapes
de cette expérience à l'aide de six panneaux.
La réalisation de ce récit de vie
illustré a surpris bien du monde là-bas et
émerveillé un professeur de
l'Université Concordia à qui j'ai
présenté mes affiches lors de ma demande
d'admission au programme d'andragogie (Adult Education).
Dans l'un de ses cours, elle m'a autorisé à me
servir de mon expérience de jumelage linguistique, et
de mes affiches, pour en dégager des principes
éducatifs et réaliser une présentation
orale.
Depuis Ottawa, j'ai
constamment employé des médias pour animer mes
présentations: j'ai réalisé des
acétates à rabats, des diaporamas, des
vidéos, ainsi que des dépliants en provenance
entre autres d'ambassades et de consulats. J'ai aussi
employé l'ordinateur pour réaliser des dessins
et mes acétates.
Faut-il se surprendre alors
que je marie technologie, modélisation
systémique et récit de vie en vue de la
réalisation de mon modèle dans ma recherche
actuelle? Faut-il se surprendre aussi de l'importance que
j'accorde aux activités parascolaires en institution
et à l'extérieur de celle-ci, au récit
de vie? Le projet de mon séminaire de synthèse
en Communication portait sur la communication
éducative et surtout sur le rôle de
l'autodidaxie en apprentissage. J'avais alors
réalisé un modèle théorique pour
illustrer ma vision de ce phénomène, un
modèle qui illustrait principalement mon
interprétation de concepts théoriques et non
des principes issus de récit de vie. Cela se passait
avant la mort de mes deux premiers enfants et mon divorce
à une époque; où, de l'avis de mon
frère, mon écriture était plus
conceptuelle, mais beaucoup moins humaine.
* * * *
*
Après
être passé d'Ottawa à Québec, je
me suis dirigé vers Montréal où
j'uvre auprès d'immigrants depuis près
d'une dizaine d'années maintenant. Les
épisodes de ma vie où j'ai établi des
relations avec les " miens " sont peu nombreux et, la
plupart du temps, désagréables. Je me sentais
différent des membres de ma famille; mes pairs se
moquaient de moi ou me chassaient de leur groupe; alors que
pendant ce temps là l'étranger, lui, m'avait
ouvert les bras. De fait, mon frère habitait
Montréal depuis quelques années avant moi.
J'ai été ébahi lorsqu'il m'a
montré l'aspect cosmopolite de la ville. J'avais
l'impression qu'il s'agissait d'un microcosme
planétaire. C'est alors que j'ai décidé
de m'établir ici.
Deuxième
série de questions pour la construction du
modèle
-
Peut on être
à la fois " né " dans un univers
multiculturel et être un " représentant " de
la société d'accueil pour les nouveaux
arrivants? Cette question me semble d'autant plus
pertinente que pour plusieurs de mes étudiants, je
constitue le premier vrai lien avec un
Québécois.
-
Les " transferts "
d'apprentissage m'aident ils à mieux encaisser ce
que je ne comprenais pas, à apprendre du nouveau?
Cela m'amène t il à vouloir apprendre de
mes étudiants plus qu'à leur enseigner?
Cela ne m'amène t il pas également à
vouloir qu'ils apprennent les uns des autres et à
établir une structure pédagogique en
conséquence? Eux éprouvent ils ce
même désir? Sinon, est il bien de leur
imposer une telle attitude? Hormis certains
départs involontaires (dus à la guerre ou
à la famine), certains ne se sentaient ils pas
rejetés des leurs? Comment cela influence t il le
monde d'ici? Au contraire, comment l'étranger est
il sujet d'admiration ou au contraire de mépris
aux yeux de certains? Cette perception évolue t
elle?
En fait, je pourrais presque
dire que l'immigrant représente pour moi mon
entrée en société. C'est grâce au
fait que je me suis créé une micro
société, composée essentiellement
d'immigrants, que j'ai acquis des habiletés sociales
et professionnelles; lesquelles m'ont permis, à leur
tour, de mieux apprivoiser l'univers des institutions et de
revenir auprès des " miens ". L'âge aussi
constitue un facteur qui m'a amené à me
socialiser davantage. Il reste que ma vie auprès des
immigrants m'a permis de mieux comprendre la
diversité humaine. L'être a culturel (spirituel
et universel) de la Bible existe bel et bien. Ma meilleure
amie demeure ma compagne: une Colombienne. Par contre, les
environnements socioculturels ont forgé des groupes
qui partagent des valeurs, des croyances, des habitudes et
des traditions différentes. De fait, je me sens mal
à l'aise sur cette question là. À mes
yeux, toutes ces divergences ne constituent que des
composantes de la grande famille humaine. Un ami camerounais
a déjà dit de moi qu'il ignorait la couleur de
ma peau. Probablement que lui et moi nous nous rejoignions
beaucoup au niveau de la dimension a culturelle (spirituelle
et universelle.) D'autres, au contraire, font preuve
d'ethnocentrisme et de racisme. À l'échelle de
l'univers, l'être humain est très petit, si
petit que l'explosion de la terre ne se verrait même
pas d'un autre système solaire. À
l'échelle du système solaire ses disputes
culturelles ne sont rien!
Question
2 Comment passer d'une terre pour plusieurs mondes à
une terre sans frontières?
La
terre appartient à tous. En dépit des
divergences d'ordre culturel, la dimension a culturelle de
l'humain occupe une place supérieure et devrait
suffire pour qu'il y ait un libre déplacement des
individus sur la planète. Les barrières
gouvernementales; en ce sens, reflètent, à
plus grande échelle, un certain ethnocentrisme qui me
dérange. De fait, il me semble même assister
à la naissance d'une forme de culture universelle.
Des McDonald's s'installent en Russie; avant eux, des
souvenirs canadiens ont été fabriqués
en Chine et des ouvriers polonais ont fait la grève.
Tous les jours, les médias nous montrent des
événements d'ailleurs d'uniformisation comme
cela semble être la tendance actuelle, mais bien de la
richesse que nous apportent les diversités
culturelles? Ma culture universelle est en quelque
sorte un autre nom pour la tolérance.
Troisième
série de questions pour la construction du
modèle
-
Les médias
permettent à l'humain d'établir des liens
à distance. Constituent ils réellement des
moyens efficaces en vue de favoriser l'émergence
d'un nouveau partage et des échanges
culturels?
-
L'usage d'Internet et du
courrier électronique ne permettraient ils pas
à la fois à l'immigrant de maintenir un
meilleur lien avec la mère patrie et
d'établir de meilleures relations avec les gens de
la société d'accueil?
3.2.3 Le
récit 3: l'enseignant
Mon
récit de vie comme enseignant traite de mes
premières expériences comme enseignant
auprès des immigrants; ainsi que de mes
premières visions du passage de l'émigration
à l'immigration. Il est également question de
l'importance qu'a eue la littérature à des
moments particulièrement difficiles, alors que
j'uvrais en milieu carcéral et que
débutais ma carrière au cofi.
Question
1 Comment ai-je vécu mes troisièmes
passages?
Si
l'on me demandait de trouver un objet pour me
décrire, voici lequel ce serait: V GER. De fait, il
s'agit de la sonde spatiale VOYAGER, telle qu'apparue dans
Star Trek. Même si je me décris comme une
personne sensible, il me semble souvent revêtir la
carapace d'une sonde. De plus, je me laisse guider par mes
sens et je laisse libre cours à mes intuitions.
À l'instar d'une sonde, je me contente souvent
d'accumuler des observations sur tout ce qui entre en moi.
Or, un jour, j'ai pris conscience que la dimension
aculturelle de l'humain telle que définie par mes
espoirs et la Bible relevait en grande partie d'un
rêve et de mes espoirs.
Première
série de questions pour la construction du
modèle
-
De nouveau, comme
éducateur, dans quelle mesure dois je accorder de
l'importance aux dimensions aculturelle (spirituelle et
universelle) et culturelle de l'humain?
-
Dans quelle mesure dois
je encourager l'expression spontanée?
La
vie que j'ai menée en compagnie de l'étranger
m'a permis de mieux comprendre les joies et les frustrations
de l'immigration dans le quotidien. Si tous les hommes
étaient égaux devant Dieu; et si la terre
devait appartenir à tous, la réalité me
présentait nombre de nuances. C'est alors que j'ai
changé de niveau de discours. Au lieu de
m'intéresser à l'idéal, j'ai
été amené à m'intéresser
au quotidien. Celui ci me montrait que des compatriotes d'un
pays partageaient souvent une histoire et des valeurs
communes. De plus, la méchanceté et
l'ethnocentrisme n'avaient plus pour nom le Québec.
Dans le fond, au niveau des attitudes fondamentales,
l'étranger et nous, nous nous ressemblions beaucoup
plus que je ne le croyais. Il y a du racisme entre les
immigrants; il y en a aussi de leur part à notre
endroit et vice versa. L'être humain n'était
pas que petit, il lui arrivait d'être bas, d'où
qu'il vienne. Le contraire était tout aussi vrai;
ainsi n'y avait-il pas lieu de faire du chauvinisme.
Deuxième
série de questions pour la construction du
modèle
-
Dans quelle mesure est
il important de " vivre " avec les étudiants? La
relation éducative n'est elle pas, avant tout une
relation humaine?
-
Quelle est ma propre
part d'ethnocentrisme? De quelle manière de
mauvaises expériences en compagnie de
l'étranger peuvent elles nuire ou influencer une
relation éducative? Qu'en est il de la
mienne?
Par ailleurs, me
premières expériences auprès des
immigrants m'ont donné l'impression que le geste de
changer de pays constituait un processus complexe. Il
s'agissait d'un départ dans l'espoir de mener une vie
meilleure. Très souvent; cependant, des instants de
chocs suivent de près des moments remplis
d'enthousiasme. Certains développent en eux beaucoup
de nostalgie, laquelle peut les accompagner toute leur vie.
Pendant son séjour dans le nouveau pays, l'immigrant
découvre des aspects culturels qui le confrontent
à ses propres croyances et à ses propres
valeurs. Il vit un effet miroir. Ceux qui décident de
rester acquièrent souvent de nouvelles habitudes. De
leur propre aveu, leur pays leur semble différent, vu
d'un autre angle. Certains choisissent de vivre au sein de
la majorité, alors que d'autres forment des ghettos.
Évidemment, tous ne réagissent pas de la
même manière; mais, un fait demeure: il y a un
passage entre le geste d'émigrer (de partir) et celui
d'immigrer (d'entrer). La personne en processus migratoire
vit un changement majeur.
Troisième
série de questions pour la construction du
modèle
-
Est il souhaitable que
le passage de l'émigration à l'immigration
soit complet? Et est ce réalisable? Quelles sont
les nuances entre l'intégration et l'assimilation?
Où se situent les limites de tolérance
à la fois de la société d'accueil et
des nouveaux arrivants
-
Comme mes
étudiants, j'ai choisi de partir. Plusieurs
d'entre eux partent de chez eux aussi sur un coup de
tête. Une fois arrivés ici, ils
éprouvent des difficultés majeures avec
l'immigration. Ces similitudes avec ma propre
expérience m'aident elles à mieux les
comprendre ou à mieux les connaître?Quelles
sont les grandes différences et ressemblances
entre mon propre départ et celui de mes
étudiants? Ils sont partis dans l'espoir de mener
une vie meilleure; j'ai fait de même...
Parallèlement
à mes études, j'ai développé des
projets éducatifs bénévoles et j'ai
commencé à enseigner à des adultes
souffrant de déficience intellectuelle, d'abord, puis
à des Amérindiens, à des chefs
d'entreprises, ensuite et finalement aux immigrants. Alors
que je contribuais à développer chez ces
personnes des habiletés de communication en
français, la langue servait de véhicule pour
me permettre de connaître de nouveaux mondes. Ainsi la
langue, pour moi, constituait un instrument de
communication, une porte d'accès au savoir. Les
entretiens prenaient des formes diverses. Parfois il
s'agissait d'entrevues à caractère
journalistique, alors qu'à d'autres moments, les
réflexions rejoignaient des vérités
profondes et contribuaient au développement de la
personne. D'une manière ou d'une autre, j'avais
atteint les objectifs que je m'étais vaguement
fixés lors de mes études en communication. En
bifurquant des études en communication à
l'enseignement d'habiletés de communication
(français langue seconde en approche communicative),
j'avais intuitivement compris qu'il existait des moyens
variés pour l'atteinte d'objectifs.
Quatrième
série de questions pour la construction du
modèle
-
Comme éducateur
communicateur autodidacte, j'ai mis en place une
structure qui combine informatique, journalisme et
didactique des langues dans une formule autonomisante. La
rédaction de textes sert-elle à des fins de
communication en plus d'exercices de pratique de la
langue?
-
Dans quelle mesure une
telle formule convient elle aux besoins des
étudiants et à ceux de la
société d'accueil?
Même si j'ai
employé la langue afin de mieux connaître des
gens, d'autres dimensions de celle ci ont vu le jour en moi.
À la suite de mon divorce, je me suis totalement
effondré. Tout l'univers que j'avais essayé de
bâtir s'était écroulé. Pendant
plusieurs mois, je revoyais les cadavres de mes deux
premiers enfants, que j'avais tenus dans mes bras. Je
pensais à mon fils, vivant, qui venait de me quitter
avec sa mère. Au même moment, ma situation
professionnelle s'est aussi détériorée.
Comme si tout cela ne suffisait pas, j'ai dû faire
face à des situations difficiles alors que
j'enseignais en milieu carcéral. Étrangement,
en plus de mon frère et de ma mère, c'est un
Mexicain qui m'appelait pour me remonter le moral et une
Allemande qui m'encourageait à écrire. Cette
femme avait sorti de la poubelle un bout de papier sur
lequel j'avais "modélisé" ma perception de la
vie. En regardant sa main bouger, j'avais l'impression que
pour la première fois depuis longtemps une main
sortait mon cur de la poubelle pour le réparer.
J'y voyais une intervention divine. Un directeur de centre
communautaire d'origine marocaine s'était aussi battu
à mes côtés contre
l'inflexibilité de certaines instances
institutionnelles.
De
mon côté, j'avais compris qu'il était
important d'exprimer ses émotions et sa tristesse.
Mes douloureuses expériences antérieures
m'avaient procuré, en un sens, un bon niveau
d'autodidaxie à ce sujet là. Alors, j'ai
trouvé mon réconfort auprès des
Baudelaire et Rimbaud, chantés par Léo
Ferré, ainsi que dans la tristesse
mélancolique d'Émile Nelligan. Ce dernier
m'intéressait d'autant plus qu'il s'agissait du
compagnon de mon père lors de ses heures d'agonie
solitaires à l'hôpital. C'est alors que j'ai
compris la douleur que mon père avait ressentie.
L'écoute de ces poètes du malheur m'a
rapproché des autres. Ma sensibilité est
devenue plus humaine. Ainsi les mots des autres ont
contribué à un changement majeur dans ma
personnalité. Pour la première fois de ma vie,
peut être, je sortais de mon propre malheur et
j'apprenais à vraiment écouter celui des
autres. J'avais l'impression de comprendre l'être
humain qui avait écrit le poème. Le texte
avait pris vie.
De
Charles Baudelaire, je retiens ces mots tirés de
"Recueillement"
Sois Sage, O ma
douleur et tiens toi bien tranquille,
Tu réclamais le soir,
il descend, le voici....
... Ma douleur, donne moi la
main, viens par ici.
La
douleur devient une amie qu'il faut apprendre à
apprivoiser. Bizarrement, j'ai presque fait pleurer un
assassin en milieu carcéral, alors que je passais
à ses côtés. Il a suffi que je lui dise
bonjour pour que je voie en cet homme beaucoup
d'émotion. Cela me rappelle aussi un poème
chanté.
De
Léo Ferré, je retiens
Thank you
Satan,
Pour la fleur que tu fais
naître dans le cur des
assassins...
Bien
sûr, mes remerciements iraient plus à Dieu
qu'à Satan. À l'époque où
j'uvrais en milieu carcéral, je me sentais
prêt à toute éventualité. J'ai
atteint le fond de la solitude et je m'étais
résigné. Seul un Sidéen, un
Cancéreux... en phase terminale auraient pu
comprendre l'étendue de ma résignation.
Même que s'il avait été dans les plans
de Dieu que je termine ma vie, je me sentais aussi
prêt. Ma vie avait ressemblé à un jeu
des serpents et des échelles. Chaque fois que j'avais
lancé le dé et que j'avais réussi
à gravir quelques échelons, un serpent me
ramenait à la case de départ. Plusieurs fois,
j'ai eu l'impression que les détenus avaient
parié que je n'allais pas revenir à la suite
d'incidents dangereux. Ils ignoraient jusqu'à quel
point mon combat ne m'appartenait plus. "C'est le soldat qui
désespère; mais, le chrétien garde sa
foi", se plaît à chanter José Carreras.
C'est ce que j'ai fait aussi.
Cinquième
série de questions pour la construction du
modèle
-
La seule liberté
réside-t-elle dans le pouvoir des
mots?
-
Il n'y en a pas d'autre.
Il est inutile de chercher ailleurs. Rempli de cette
conviction, je suis amené à fortement
encourager mes étudiants à écrire
beaucoup et à s'exprimer. Mon attitude est elle
légitime?
Par ailleurs, pour combler
mes heures de solitude, j'ai abondamment écrit: un
roman, d'abord, un recueil de poésie, ensuite, des
réflexions philosophiques, etc., près de 1000
pages de textes en moins de 2 ans. Il pouvait m'arriver de
passer une journée entière à
l'ordinateur. De fait, j'ai acquis la conviction que le fait
d'écrire à la machine m'avait permis de
rédiger des réflexions que je n'aurais pas eu
le courage de faire à la main. À force
d'écrire, j'ai appris à détailler mes
observations et à faire des nuances. Mes personnages
reprenaient des traits de personnes que j'avais connues;
alors que, auparavant, ils n'étaient que de
pâles copies de personnages imaginés par
d'autres, de ceux de romans que j'avais lus, notamment.
Ainsi mes textes avaient acquis une meilleure dimension
réaliste. Même mon frère m'en a fait la
remarque. Il m'avait dit que mes textes étaient plus
humains que ceux d'avant.
Sixième
série de questions pour la construction du
modèle
-
Le traitement de texte
représente pour moi le meilleur moyen en vue
d'exprimer mes idées et mes sentiments.
J'écris plus rapidement et je peux plus facilement
me corriger. Ces aspects valent ils la perte de la
relation entre la main et le papier? La dite relation
était elle plus magique, comme le
prétendent certains?
-
Dans le cadre de
l'apprentissage d'une langue, quels sont les avantages de
l'usage des Tic?
C'est sans force que,
à la fin de "Le
château", les
doigts sur le clavier et les yeux clos j'ai écrit la
fin suivante:... au milieu des arbres solitaires,
le père
resté seul regarde de loin son
château
MON
château
Dans de telles
circonstances, comment me serait il possible de fermer les
yeux devant le pouvoir des mots? Mes poèmes et mes
récits d'aventures d'antan m'avaient peut être
sauvé de la schizophrénie. Quant à mes
nouveaux textes, ils venaient de largement contribuer
à me remettre sur pied au moment où j'avais
l'impression qu'il n'y avait plus rien à
espérer de la vie. Oui, les mots avaient le pouvoir
de rendre la vie! Et de naître à nouveau. Je ne
suis plus le même homme. D'un intellectuel
isolé et rêveur, je suis devenu un être
humain. Bien que je sois peut être aussi seul
qu'avant, il reste que l'acte d'écrire a
expulsé de la solitude son aspect douloureux. L'acte
d'écrire nécessite ce que j'appelle des
moments de bienveillante solitude. Il est impossible de
rejoindre les cordes profondes de soi et la liberté
créatrice si l'on est continuellement
dérangé ou perturbé.
Pour un auteur, la solitude
est une nécessité, comme la neige pour un
skieur. Le fait d'encourager les nouveaux arrivants à
écrire diminue t il la dimension douloureuse que
peuvent contenir l'isolement et la solitude?
* * * *
* |
Question
2 Comment je suis passé d'une vision dichotomique de
la vie à celle d'une mosaïque?
Comme
tout le monde, mes premières visions du monde
étaient d'ordre dichotomique. Il y avait le Bien et
le Mal. Ce qui n'était pas bien devait être
mal. Aujourd'hui, le monde me semble beaucoup plus
nuancé. De plus, je possède une croyance
profonde au fait que la vérité consiste en un
amalgame de données parfois d'apparences
contradictoires. Tout peut être bien. La somme de
toutes les observations et l'organisation de celles ci peut
contribuer à nous rapprocher de cette
vérité. De plus en plus, j'éprouve le
désir d'intégrer mes savoirs. Une
mosaïque se crée sous mes yeux, pleine de vides
et de thèmes sans cesse en développement.
Malgré l'aspect chaotique de ma vision, je me sens
à l'aise. Certains ont peur du changement et
préfèrent suivre un cheminement
linéaire. Moi, pas tout le temps. Pourtant, il n'en a
pas toujours été ainsi.
Depuis
que j'ai commencé à travailler, j'ai
continuellement dû faire face à des
décisions majeures. Comme contractuel, la fin d'un
contrat s'accompagnait souvent d'une période de
stress. Or, depuis un certain temps, le fait de vivre
d'incertitude professionnelle revêt un aspect
agréable. Ça me force à prendre du
recul par rapport à mon lieu de travail et à
ne jamais prendre les choses pour acquises.
L'expérience m'a permis de développer
certaines habiletés à gérer diverses
situations. Peut être que l'accroissement de ma
tolérance à l'incertitude m'a permis de mieux
apprécier la valeur du zigzague professionnel. Ce
faisant, j'ai pu développer un goût particulier
pour l'exploration de plusieurs univers
simultanés.
Des
applications pédagogiques de ces troisièmes
expériences: l'autoformation
Dans
le cours de ma vie, je me suis retiré de la
société et j'ai appris à me constituer
des micro sociétés pour rester sain d'esprit.
Ainsi ai je pu vivre ma solitude jusqu'à ce que je
rencontre le monde de l'étranger. Une étape
importante, à cet effet, a été mon
cheminement universitaire. À Ottawa, j'ai vécu
surtout en compagnie d'Africains. Par la suite, à
Québec, je me suis créé un monde
personnel en vue d'apprendre l'anglais. Je me tenais
exclusivement avec des Américains venus ici pour
apprendre le français. De retour chez moi,
j'écoutais la radio et la télévision en
anglais; à l'université, je passais de
nombreuses heures au laboratoire de langues, etc.
Étrangement, j'ai l'impression que le fait
d'écrire en anglais m'a permis de m'exprimer. Il me
semblait plus facile d'aller au fond de mes émotions.
Peut être qu'il m'était plus facile de vaincre
mes inhibitions du fait que j'employais des mots qui ne
revêtaient pas la même connotation que leur
équivalent en français. De plus, j'ai pris des
initiatives supplémentaires en vue de maîtriser
l'anglais. J'ai décidé d'entreprendre des
études en andragogie à l'Université
Concordia à Montréal. En agissant ainsi, je
désirais vivre une immersion en langue seconde dans
un contexte significatif. Sans le savoir à ce moment
là, j'étais devenu un étudiant
autodidacte.
Parallèlement
à mon apprentissage de l'anglais, j'ai
développé bénévolement deux
cours. L'un s'adressait à des adultes souffrant de
déficience intellectuelle et l'autre à des
Amérindiens, désireux d'apprendre le
français. Cette période correspond aussi au
moment où j'ai appris à mieux apprécier
ma famille, ma mère, surtout. À la vue de mon
oeuvre, ma mère a commencé à
éprouver une certaine admiration à mon
égard. Au lieu de me percevoir comme un enfant qui
manquait de sens pratique, elle était
émerveillée de mon sens de l'anticipation. Au
moment où je développais mes projets de cours,
je n'avais aucune formation académique en
éducation. Afin de m'aider, j'avais pris la liste des
cours de divers programmes en éducation. À
partir de celle ci, je m'étais fait une idée
de ce que devait être un éducateur. Les titres
des cours me suffisaient. En un sens, mon autodidaxie comme
apprenant de l'anglais se manifestait à d'autres
niveaux: je devenais un enseignant autodidacte et un
concepteur de projets éducatifs autodidacte. En fait,
j'avais développé ces cours, entre autres, en
vue de préparer mon entrée au programme de
certificat en Technologie éducative à
l'Université Laval et, par la suite, au programme de
Diploma in Adult Education à l'Université
Concordia.
Par
ailleurs, je percevais le resserrement d'un étau en
ce qui concerne les offres d'emploi au cofi en dépit
des nouvelles aventures qu'on m'offrait, un resserrement qui
rendait inutile mes gains de rangs sur la liste d'appel
téléphonique et impensable les chances
d'avancement professionnel. Un train passait et semblait
tout détruire sur son passage; de plus, rien ne
semblait être en mesure de le stopper. En fait, cette
vision que je ressentais comme une certitude a
préparé mon retour à
l'université en 1996. Au moment où il me
paraissait certain que j'allais entrer à la
maîtrise en technologie éducationnelle, je me
suis remis à jour. J'ai lu de nombreux ouvrages sur
les nouvelles technologies de l'information et de la
communication, j'ai mis des projets sur papier et j'ai
retravaillé des projets que j'avais
abandonnés. Avec mon fils, je suis allé au
Cosmodôme huit fois, au café
électronique peut-être quinze fois, nous avons
exploré beaucoup de cédéroms, nous
avons aussi été à des expositions
portant sur la technologie. Par ailleurs, j'ai
littéralement sauté à pieds joints sur
la possibilité qui m'était offerte de donner
un cours de français écrit assisté par
ordinateur. En un mot, je me suis créé une
micro société de nature
technologique.
Dans
ce contexte, le fait d'entreprendre une maîtrise
représentait une ressource supplémentaire dans
ma démarche autodidacte. Grâce à deux
professeurs de l'Université de Montréal, ma
micro société s'est enrichie d'une nouvelle
composante, mes séances de tutorat en
élaboration de scénarios d'applications
pédagogiques de l'ordinateur. Mon niveau
d'autodidaxie en arrive au point où il existe un
mariage parfait entre les études, mon emploi et,
jusqu'à un certain point, ma vie personnelle. Non
seulement les barrières psychologiques entre ces
mondes sont elles tombées; mais, les habiletés
développées dans chacun d'entre eux
s'intègrent et forment une nouvelle entité.
D'un praticien, je suis devenu un chercheur. Ce rôle
influence aussi le premier. En bout de ligne, comme par
magie, me voilà en train de raconter ma vie... Mon
apprentissage s'inscrit alors dans un contexte de
permanence, bien ancrée sur le plan
humain.
3.2.4
Le récit 4: l'apprenant -enseignant
De
fait l'ensemble des sections du récit de vie de
départ devrait faire partie du récit 4 dans la
mesure où le dit récit vient de mon choix de
méthodologie de recherche qui tire lui-même son
origine de mon retour aux études. Toutefois, c'est
vraiment lors de la recherche actuelle que la notion de
passage de l'émigration à l'immigration,
entrevue au récit 3, a pris racine en moi et s'est
développée. Aussi est-ce cette notion que je
développe maintenant. Les réflexions portant
sur l'environnement informatisé comme tel ne sont
venues que plus tard, dans un journal de bord d'un cours EPI
en particulier et ne faisaient donc pas partie du
récit de vie de départ 4.
Question
1 Comment mes étudiants vivent-ils le passage de
l'émigration à l'immigration?
Au
cofi nous rencontrons des gens pour qui le geste
d'émigrer ne répond pas à des
impératifs d'ordre professionnel, mais à une
question de survie, officiellement, du moins. De fait, mon
expérience me montre qu'il existe de vrais
réfugiés. Des gens fuient un danger ou un
système répressif. Nombreux sont les
récits horribles que j'ai entendus et les images
atroces que j'ai vues des photos que des étudiants
m'ont montrées. Au cours de ma carrière, il
est même arrivé que je sois contraint par mon
directeur d'affubler l'un de mes étudiants d'un faux
nom parce que celui ci était recherché par les
services secrets de son pays. L'adjointe de mon directeur
m'a avoué que la tête de l'étudiant en
question était mise à prix. Par ailleurs, il
me semble évident que le refuge politique ne
constitue pas toujours la raison principale du grand
départ, de l'émigration.
En
effet, il y a des gens qui s'établissent au
Québec pour des raisons d'ordre économique.
Certains rêvent de faire fortune ou d'occuper un poste
de direction dès leur arrivée. Ils semblent
croire à une sorte d'El Dorado. D'autres combinent
objectifs économiques et humanitaires. Ils viennent
comme martyr; ils se placent sur le Chac Mool du sacrifice,
semble t il. Certains acceptent, avec résignation, le
fait qu'ils devront vivre plus pauvrement que dans leur pays
dans le but, avoué, d'assurer l'avenir de leurs
enfants. Ou bien ils se résignent à une
descente vertigineuse de leur statut social. Un
ingénieur roumain m'a dit un jour: " ma vie est finie
ici; c'est pour mes enfants que j'ai décidé
d'émigrer. "Dans ce même esprit de sacrifice,
certains viennent pour aider leur famille, restée
dans le pays d'origine. Toutes leurs économies y
passent.
En
plus des causes humanitaires et économiques, il
semble que la sentimentalité occupe un rôle
important dans le geste d'émigrer. Certains partent
à l'aventure, peu importe qu'ils aient ou non des
chances d'obtenir leur résidence permanente. Parmi
eux, il y a ceux qui viennent dans un esprit de
conquête. Subjectivement, certains d'entre eux me
semblent parfois perturbés. Les conséquences
de la guerre, de la famine, des menaces? D'autres immigrants
viennent s'établir à la suite d'un divorce
chez eux; ils sont fatigués, dirais je, de voir les
leurs. Ils désirent recommencer leur vie ailleurs.
Parfois, malheureusement, ces gens se vident de leurs
frustrations dans la société d'accueil.
D'autres, paradoxalement, s'établissent à la
suite d'un mariage avec un
Québécois.
Ainsi
les immigrants des classes du cofi se classent
officiellement et principalement dans la catégorie
des réfugiés et des parrainés par ceux
ci. Sur le plan comportemental, cependant, des facteurs
économiques et sentimentaux s'ajoutent à la
cause humanitaire pour justifier le geste de quitter son
pays. De fait, que laissent ils réellement et
à quel prix? Dans le but de gagner quoi? Lors d'une
réflexion antérieure, je m'étais
intéressé au prix d'une décision.
Chaque décision, à mon avis, comprend
un prix àpayer. Les motifs d'une décision
résident, à mon sens, dans l'espoir de quitter
une situation qui semble désastreuse pour une
situation nettement meilleure. Je m'étais aussi
intéressé à la question des
conséquences réelles d'un choix et à la
notion d'erreur de calcul. Ainsi une erreur de calcul
pouvait entraîner des conséquences
négatives considérables sur soi et sur autrui.
Ma réflexion m'a aussi conduit à inclure la
notion de perception de la situation et de
l'évolution de celle ci au cours du
processus.
Ce
concept du prix de la décision me semble pertinent
dans le cadre de l'actuelle recherche. De manière
globale, les gens venus d'ailleurs ont pris une
décision importante au moment d'émigrer. Ils
ont laissé un monde derrière eux, certains
voulant fermer une barrière psychologique et
recommencer à zéro. En paraphrasant Michael
Ende, auteur de L'Histoire sans fin je dirais que
d'autres s'enferment" dans les marécages mortels de
la mélancolie" et de la nostalgie. D'une
manière ou d'une autre, leur perception de leur
situation d'émigrant et de la société
d'accueil est en pleine évolution. Elle se constitue
de chocs, de joie, de moments de colère, etc.
Fondamentalement, cependant, s'ils sentent que le gain tarde
à venir, l'émigrant fait face à la
situation suivante: retourner dans son pays d'origine,
capituler et s'adapter, ou repartir. Il n'est pas rare que
j'aie eu dans ma classe des étudiants qui vivaient
leur deuxième et même leur troisième
processus d'émigration. Gilles Vigneault le disait:
"l'homme va volontiers chercher au loin ce qu'il craint de
trouver en lui."
|
Question
2 Qu'est-ce que le passage de l'émigration
à l'immigration?
Au
cours de la réflexion actuelle, j'ai parlé des
émigrants, des gens venus d'ailleurs... Il me semble,
en effet, qu'au début du processus "migratoire ",
nombreux sont ceux qui se ferment à l'endroit de la
société d'accueil. Une partie d'eux
mêmes reste accrochée à la terre natale.
Cet attachement durera toute la vie. L'intégration ne
vient pas de soi. En d'autres mots, le passage de
l'émigration à celui de l'immigration
nécessite du temps. Au bout de quelques
générations, cependant, l'ancêtre fait
partie du nouveau patrimoine culturel. Il y a eu
assimilation des descendants de l'émigrant, non sans
que le processus lui même ait eu un impact sur
l'ensemble de la société. Certains diront que
la société s'est alors enrichie des diverses
cultures; ceux là remettront en question la
présence des ghettos ou des quartiers ethniques. La
perception de ceux ci oscille entre celle du refus de
l'intégration et celle d'une belle marque de
vitalité culturelle. Quant aux descendants
d'immigrants vivant avec les Québécois de
souche, ceux ci pourront être perçus comme des
gens bien intégrés ou totalement
assimilés.
Le
professeur de français représente souvent le
premier contact québécois d'un émigrant
nouvellement arrivé. C'est de lui, en grande partie,
que dépend la nature du développement
sociétal décrit ci haut. Il projette l'image
du Québec entier. C'est à travers son
comportement entier que l'émigrant évalue le
monde dans lequel il est arrivé. Avant lui,
l'émigrant a vécu des rapports officiels: avec
les services de la douane et de l'immigration, notamment.
À l'extérieur, dans la rue, il peut lui
arriver de vivre des expériences racistes. J'ai
entendu dans l'autobus un homme tenir les propos suivants
à l'endroit d'une jeune femme d'origine asiatique: "
Hey, what do we get here? You steal Canadian money; go home!
" À une autre occasion, j'ai vu un jeune homme blanc
gifler une jeune femme noire et poursuivre tout bonnement
son chemin.
Même
s'ils ne sont pas nécessairement exposés au
racisme, certains émigrants découvrent
tôt l'angoisse reliée à la
nouveauté et au changement. Vite la langue constitue
souvent un obstacle à l'emploi. Pour certains, ce
facteur s'accompagne d'une descente vertigineuse de statut
social: une avocate fait de la salade dans un Pizza Hut;
lorsque le propriétaire, pourtant immigrant comme
elle, apprend qu'il s'agit d'une employée d'une
ethnie différente de la sienne, celle ci diminue de
nouveau de statut; au lieu de maintenir son titre d'aide
cuisinière, elle devient plongeuse. Cette femme prend
des cours de français en sachant qu'elle ne sera
jamais plus avocate. En plus des difficultés
reliées à l'emploi, l'émigrant se voit
souvent contraint d'établir un nouveau type de
rapport humain. Alors qu'il faisait partie d'une
majorité dans son pays, le voilà membre d'une
minorité, lui et ses descendants. Tout est à
rebâtir de manière différente. Les
divergences culturelles sont nombreuses et les malentendus
fréquents. "Pourquoi les gens s'embrassent ils dans
la rue ici? ", se demandent certains. "Pourquoi a t
il dit que j'étais écoeurante,
comme s'il était heureux de me voir? " Pour d'autres
le premier choc culturel vient du climat. Partis d'un pays
d'Amérique centrale, ils descendent d'avion, quelques
heures plus tard en pleine tempête de neige. Il leur
arrive de se demander où ils ont atterri.
Ainsi
les difficultés d'adaptation peuvent être
d'ordre pécuniaire, mais aussi d'ordre culturel et
environnemental. La plus importante, à mon avis, se
situe ailleurs, sur le plan humain. Plusieurs rêvent
de retourner dans leur pays d'origine; d'autres
espèrent parrainer leur famille. Je me permettrais
d'affirmer que j'ai connu peu d'immigrants en paix avec eux
mêmes. À l'enivrement des premiers jours, je
sens souvent que l'inquiétude, les difficultés
d'adaptation et la nostalgie (le mal du pays) engendrent
beaucoup de frustration. Cela me porte à croire que
mon cours de français revêt les sens suivants:
il s'agit d'une porte d'entrée aux yeux des tout
nouveaux, encore pleins d'enthousiasme; par contre, pour les
autres, la classe représente l'endroit
rêvé pour exprimer ses frustrations soit par un
comportement souvent infantile ou par des réflexions
chargées d'émotion. Pour d'autres, moins
émotifs peut être, le cours est pris comme une
étape dans leur processus d'intégration
à la vie d'ici et plus particulièrement au
monde du travail.
L'émigrant
en processus d'immigration se sent souvent seul. J'ai connu
une Tibétaine âgée qui constituait le
seul membre de sa communauté ici à
Montréal. Les exemples ne sont pas toujours aussi
pathétiques. Il demeure, cependant, que les familles
sont séparées et les amis d'avant vivent au
loin. Certains se lient rapidement à des compatriotes
d'ici ou à des Québécois; mais,
nombreux sont ceux qui tardent à y arriver. Ils font
face à eux mêmes. Les regards qu'ils portent
sur leur nouvel environnement sont différents. L'une
de mes étudiantes se disait surprise de se sentir
tout à fait indifférente aux problèmes
d'ici qu'elle voyait à la télévision.
Dans son pays, des situations similaires l'auraient
émue. Un étudiant musulman habitué,
dit-il, au concept de la vérité unique
éprouve beaucoup de difficultés à
concevoir que les gens d'ici puissent ne pas partager une
vue d'ensemble sur un sujet donné. Une fois qu'il a
compris cela, il découvre, à sa surprise, que
les gens de son propre pays ne partagent pas non plus
toujours une opinion unique sur un sujet donné.
L'apprentissage du français n'échappe pas non
plus à cet effet miroir. Nombreux sont ceux qui se
croyaient sans accent et qui éprouvent de la
colère au fait qu'il en existe plusieurs au
Québec. Peu à peu, ils découvrent que
les maudits accents constituent l'un des charmes de la
langue... même dans le cas de leur langue maternelle.
Il en va de même des marques d'hésitation dans
un discours oral. Après s'être moqué du
"la, la " des Québécois, certains
découvrent le "hé man" des Jamaïcains, le
"este, este..." des Mexicains ou, plus récemment le
"hou!" des Russes, etc.
Les
éléments de chocs et les réflexions qui
s'ensuivent donnent à l'émigrant un nouveau
regard non seulement du Québec, mais aussi de son
propre pays. Plusieurs réalisent leur rêve de
retour dans le pays d'origine; puis, ils reviennent au
Québec. Ils ne se sentent plus tout à fait
chez eux là bas. Ils trouvent ça vieux; c'est
pas comme avant... Ils ne se sentent pas non plus
Québécois. Ils font partie d'une sorte de "no
man's land". Ils sont devenus des immigrants.
Plusieurs acceptent cette situation et terminent leur vie
comme la fin des contes de fée. Je me sens
émerveillé chaque fois que je vois une
Iranienne se lier d'amitié à une
Péruvienne, ou lorsque qu'un Vietnamien joue à
la pétanque avec un Russe et... un
Québécois dans un parc du quartier Côte
des Neiges. Qu'ont de commun ces personnes? Ces gens
viennent d'ailleurs et ... ils ont été mes
étudiants.
Question
3 Comment ai-je vécu mes quatrièmes
passages?
Au
ministère de l'Immigration, j'ai aussi fait face
à des clientèles variées. Alors que
certains immigrants; de toute évidence,
éprouvaient du mépris à l'endroit des
Québécois; d'autres, au contraire, agissaient
de manière plus qu'honorable. De fait, l'une de mes
étudiantes est devenue ma compagne actuelle. Ainsi
même mon intimité s'est intégrée
à mon monde professionnel. Sur le plan personnel, je
ne sais plus à quel monde j'appartiens et cela m'est
tout à fait égal. Quand ma femme me parle de
la Colombie, j'ai l'impression d'être chez moi; tout
comme elle au Québec. Au lieu d'être de simples
gens de cultures différentes, nous sommes devenus des
Citoyens de la terre. Nos divergences culturelles, bien que
présentes, ne forment rien d'autre que des aspects de
cette "métaculture", de l'union de mondes
différents qui s'enrichissent
mutuellement.
Le
fait d'avoir comme compagne l'une de mes étudiantes
crée une situation étrange. D'une part, ma
compagne a la possibilité de voir des facettes de
l'enseignement qui lui étaient inconnues. Par
exemple, elle comprend mieux mes frustrations et mes efforts
en vue de fournir un bon service. D'autre part, j'ai le
privilège d'observer la face cachée de
l'enseignement: mon étudiante dans son processus
d'études et de révision. En d'autres mots, je
vois de quelle manière l'une de mes étudiantes
s'approprie son apprentissage aussi bien en classe qu'en
dehors de celle ci. Par ailleurs, j'ai aussi la
possibilité de mieux comprendre la
réalité d'une immigrante séparée
de sa famille et celle d'une personne qui tente de
recommencer sa vie. Notre relation, évidemment, est
davantage personnelle. Mon étudiante est d'abord mon
amie et ma compagne.
La
conclusion
La
rédaction d'un récit de vie m'a permis de
soulever un ensemble de questions de nature
pédagogique, ontologique, sociale et culturelle
reliées à l'esquisse du
modèle.
Ces
questions m'ont amené à créer un cadre
de références devant servir au classement des
analyses issues des récits de pratique.
Le
tableau II à
la page suivante donne un aperçu des quatre axes et
des neuf sous axes de ce cadre tels qu'ils apparaissaient au
début de la recherche. Certaines des composantes en
question ont été brièvement
décrites au début de ce chapitre. Le EPI du
cofi, par exemple, met en relation des composantes tant de
la T.E. que de diverses approches psychopédagogiques
entre autres, celle de l'approche humaniste en particulier.
La didactique des langues comprend aussi un chapitre
important sur l'approche communicative qui me semble
intéressant d'étudier.
Les
autres composantes sont mentionnées à titre
illustratif seulement et seront de fait modifiées par
les données issues des analyses au chapitre
4 (page 94). Ce
chapitre montre le fonctionnement du modèle en
question dans le but de le raffiner, de le nuancer et
susciter l'émergence d'un modèle de
communication éducative.
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