L'Espagne.
Ma patrie d'adoption. Ce n'est qu'il y a quelques années que j'ai
commencé à vraiment apprécier la littérature
en espagnol. Depuis, ma bibliothèque n'a cessé de grandir
Joan
Marsé est un auteur catalan, dont les romans décrivent
la société catalane et Barcelone.
Il atteint la prouesse, à partir de deux personnages principaux
identiques, d'écrire trois romans différents : Ultimas
tardes con Teresa, La oscura historia de la prima Montse
et El amante bilingüe.
A partir
d'un "xarnego", fils d'immigrés andalous et d'une jeune
catalane, il décrit des espoirs, des amours, des folies. Des
espoirs déçus peut-être, car lui-même est
fils de Gràcia et orfèvre de formation, il a vécu
la difficile intégration à la société
catalane.
Ultimas
tardes con Teresa parle de l'ambition malsaine d'un jeune andalou
qui pense que le meilleur moyen de se faire une place confortable
dans la société catalane est de séduire une fille
de la bourgeoisie. La cousine Montse est une jeune catalane séduite
par un délinquant andalou, et qui le payera cher, et dans El
amante bilingüe, c'est l'histoire assez surprenante d'un
catalan qui souffre de double personnalité linguistique.
Dans "La
muchacha de las bragas de oro", qui est sans aucun doute à
classer dans la littérature fantastique,
il parle de la folie d'un écrivain franquiste face à
un passé revanchard. Il écrit ses mémoires
et en "arrange" les détails déplaisants. Ses choix
passés deviennent raisonnés, et il renonce même
à ses idéaux... histoire d'être plus lisible.
D'un coup, grâce à l'intervention de sa nièce,
la fille à la culotte dorée, il sombre dans le doute...
je n'en dis pas plus.
Gabriel
García Marquez est un des plus grands auteurs de langue espagnole
de ce siècle. Actuellement en traitement pour un cancer, c'est
un ami proche de Felipe González, le chef du Parti Socialiste
Espagnol, de Fidel Castro et de Bill Clinton, et un écrivain
engagé pour les causes de gauche. Pour moi c'est le plus grand
auteur de langue espagnole de ce siècle, sinon depuis plusieurs
siècles. Bientôt une page, promis juré.
Le monde
de Garcia Marquez est un monde réel, certes, mais qui contient
parfois des éléments surnaturels inattendus, comme
dans "100 ans de solitude" (Prix Nobel de Littérature
en 1982), où soudainement, les vierges se mettent à
voler et les vieux sages prévoient l'avenir.
Il
s'inspire de faits divers et peint dans "Chronique d'une mort annoncée"
la vie d'une ville en bord de rivière, et un meurtre prémédité
par deux frères pour venger l'honneur de leur soeur. Ce livre
a été porté à l'écran de façon
très réussie avec Anthony Delon et Ornella Muti. Les
paysages et les couleurs sont très réussis. A voir.
Un autre
livre très connu est "El coronel no tiene quien le escriba"
(Personne n'écrit au colonel) qui décrit la déception
d'un militaire en retraite qui attend sa retraite qui n'arrive malheureusement
pas.
Dans "Ojos
de perro azul", un de ses premiers titres, il adopte un style
très proche d'André Pieyre de Mandiargues. C'est une
narrative souvent à la première personne, d'un style
parfois proche de l'hallucination (car très étrange),
qui contient souvent des éléments d'érotisme
mais reste en même temps très précis graphiquement.
Après
la pluie ("Després de la pluja") est la pièce
de théâtre catalane la plus traduite et la plus jouée.
Ecrite par Sergi Belbel, et Molière 99 de la meilleure pièce
comique, écrite selon la petite histoire parce qu'on lui aurait
interdit de fumer sur le plateau d'une production.
Les personnages,
tous employés d'une entreprise se rassemblent sur la terrace
de l'immeuble pour "prendre l'air" ou plutôt pour goûter
au plaisir défendu... en griller une petite.
Il mélange
ce goût du secret partagé - quel scandale ! - par les
cadres avec des tableaux oniriques où certains rêvent
de voir leurs collègues sauter du toit.
La métaphore
des luttes et des jalousies qu'entraîne la promiscuité
inéluctable des employés.
Leopoldo
Alas ("Clarín") - 1852-1901 fait un véritable
scandale quand il écrit "La Regenta" et décrit la vie
légèrement dissolue d'Oviedo.
Il était progressiste et républicain. Il écrivit
dans le journal satyrique "La vida es sueño", où il
connut un autre grand écrivain, Calderón de la Barca.
De son nom de plume lui vient "Clarín".
Il fait de Vetusta (le surnom qu'il donne à Oviedo) la véritable
héroine de son roman, qui décrit le combat de deux
hommes pour une femme, l'un, son confesseur, pour son âme,
l'autre, un coureur de jupons, pour... pour son jupon. Ana Ozores
ne trouve de réponse à ses angoisses ni dans la dévotion
ni dans l'infidélité.
Il explore bien avant James Joyce les techniques de
monologue intérieur, de rêves ou de souvenirs. Son livre
dérange : il décrit la bourgeoisie décadente
et un clergé corrompu. Après sa mort, son manque de
popularité le fera oublier 50 ans, avant un retour en force
dans les années 50.
Sur la place de la cathédrale se trouve maintenant une statue
grandeur nature de Ana Ozores Quintanar, l'héroine de ce
roman.
Eduardo Mendoza décrit dans un de ses
meilleurs livres (La ciudad de los prodigios) la vie à
Barcelone entre les
deux expositions universelles de 1888 et de 1929. Onofre Bouvila devient
le magnat imaginaire de la ville des comtes ; c'est surtout l'occasion
de décrire la belle époque dans la capitale catalane,
en pleine effervescence.
Antonio Machado est un des poètes les plus
reconnus du monde espagnol. Je vous offre le poème que j'aime le
plus, mis en musique par Joan
Manuel Serrat, et traduit par moi.
Cantares...
Todo pasa y todo queda,
pero lo nuestro es
pasar,
pasar haciendo caminos,
caminos sobre el mar.
..
Nunca persequí
la gloria,
ni dejar en la memoria
de los hombres mi canción;
yo amo los mundos sutiles,
ingrávidos y
gentiles,
como pompas de jabón.
.
Me gusta verlos pintarse
de sol y grana, volar
bajo el cielo azul,
temblar
súbitamente
y quebrarse...
.
Nunca perseguí
la gloria.
.
Caminante, son tus
huellas
el camino y nada más;
Chemins...
Les choses restent
et passent
Mais nous, nous ne
restons pas
nous passons, traçant
des sentiers,
des sentiers sur la
mer
...
Je n'ai jamais poursuivi
la gloire
ni voulu laisser dans
la mémoire
des hommes ma chanson
;
j'aime les mondes subtiles
légers et délicats
comme des bulles de
savon.
.
J'aime les voir se
colorer
d'or et de sang, voler
sous le ciel bleu,
tout d'un coup
trembler puis éclater...
Je n'ai jamais poursuivi
la gloire.
.
Toi qui marche, le
chemin,
ce sont tes traces,
et rien de plus.
Julio Cortazar est un auteur argentin né
à Bruxelles qui écrivit des contes fantastiques,
dont "El Axolotl"
et "La isla al mediodia" et aussi "La noche boca arriba", qui fait
un parallèle étrange entre une hospitalisation et une
chasse à l'homme dans la jungle. Ce conte fantastique rappelle
dans sa dimension onirique l'histoire "The Janissaires of Emilion".
Dans "La
isla al mediodia", il parle également de coincidences étranges
(un homme refuse d'embarquer dans un avion, celui-ci s'écrase)
mais dans cette histoire courte, peu d'éléments fantastiques
et une morale qui ressemble plus à celle d'une fable. Julio
Cortazar a d'ailleurs une narrative courte d'où sont souvent
absents les repères habituels de temps ou d'espace, ou bien
où les silences courants apportent un certain malaise.
Julio
Cortazar pensait que le fantastique, c'est avant tout "le fait que
la logique, les liens de cause à effet du temps et de l'espace,
tout ce que notre intelligence accepte depuis Aristote comme inamovible,
sûr, tranquilisé soit brusquement secoué, comme
brusqué, par une sorte de vent intérieur qui les déplace
et les fait changer". Comme Alfred Jarrys'intéressait
plus aux exceptions qu'aux règles, car l'exception ouvrait
la porte d'une réalité mystérieuse et fantastique
qu'il vallait la peine d'explorer. (El sentimiento de lo Fantástico
Conférence donnée à l'U.C.A.B.)
Auteur
engagé, il critiqua durement la dictature argentine de Perón
et soutint les sandinistes du Nicaragua. La France l'accueillit
et il prit la nationalité française en 1981, peu avant
de mourir de leucémie en 1984. Gabriel Garcia Marquez pense
de lui qu'il était un conteur extraordinaire.