- Mais comment prétendre nous identifier aux aspirations des plus pauvres et, en même temps, continuer à vouloir les éduquer, les faire avancer sur nos propres chemins et penser à leur place ?

Pour tenter de conjurer cette contradiction,le plus sûr chemin est de nous mettre à l'école des plus pauvres, et reconnaître qu'il leur "appartient de dicter les priorités" (p. 85). C'est là, commente le Père Joseph, une "exigence concrète et dure ; (car) il ne s'agit pas de prêter une oreille bienveillante, de pratiquer un semblant d'écoute, en guise de thérapeutique psychologique" ( 1 ) ! Mais de "tout repasser au crible de la population" ( 2 ). Ce qui nous invite à une véritable transformation intérieure : "Etre comme une page blanche, où les familles (les plus pauvres) puissent inscrire ce qu'elles ont à dire. (...) Etre perméable, entièrement à l'écoute, admettre que ces familles sont nos maîtres" (p. 162), - jusqu'à "réinventer un métier qui n'a pas été bâti en bonne connaissance des plus pauvres" (p. 200). Et se laisser questionner, sans cesse : "Nos combats englobent-ils vraiment tout le monde ? Recherchons-nous ceux qui ne peuvent pas suivre ? Qui sont-ils ? Où sont-ils ?" (p. 122)

- Cette démarche est une conversion radicale, dont la source pour le Père Joseph, et le creuset, n'est autre que le Christ. Ce Christ que nous ne pourrons nous-mêmes chercher et rencontrer que dans la direction où l'Evangile nous dit d'aller : "vers un hors-la-ville, vers des chemins creux où personne n'a envie d'aller" (p. 123). Nous y découvrirons les traits du crucifié et du ressuscité, puisque "pour rencontrer le Seigneur, (il faut) aller au plus opprimé" (p. 219). Et nous voilà engagés dans un mouvement de déprise, laissant le Christ nous entraîner dans le mystère de sa mort et de sa vie, dans la découverte de son être même : "De riche qu'il était, il s'est fait pauvre" (2 Co 8, 9) ; "Il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave" (Ph 2, 7). "Pour embrasser et sauver l'humanité, Jésus était obligé de se faire le dernier des derniers. Sinon, il eût été reconnu par les possédants mais non pas par les plus humiliés" (p. 25).

L'identification du Christ aux plus pauvres n'était pas un comportement parmi d'autres, mais son identité même. Il n'est pas venu vers les pauvres, comme le riche s'approche du mendiant... Il n'a pas pris seulement le parti des pauvres, pour on ne sait quelles raisons pédagogiques. Le penser serait sans doute risquer d'être conduits "à une méprise dangereuse sur les chemins à emprunter pour le suivre" ( 3 ). Serait-ce encore le Jésus des Evangiles que nous suivrions ? Ne risquerions-nous pas de "nous tromper sur la nature même de
Dieu" ( 4 ), et de son amour, - cet amour qui "nous a toujours conduits, d'une façon ou d'une autre, au plus pauvre, (puisqu') en Jésus Christ, Dieu a manifesté son amour d'une manière non seulement inédite, mais totale, le Christ s'étant imposé dans sa déchéance" (p. 228) ?

Ne risquerions-nous pas d'oublier que "toute théologie nous amène à rencontrer Dieu dans l'appauvrissement de son Fils" ( 5 ) ?

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