En arrivant au camp de Noisy, le Père Joseph ne fait pas une évaluation de la situation pour programmer ensuite une action d'envergure. Il n'y entre pas avec des idées préconçues. Il vient... parce que, là, survivent des familles rejetées de tous.

Bien plus tard, aux questions sur cette période d'un journaliste suisse, il répond : "Lorsque je me suis trouvé devant la misère de Noisy-le-Grand, j'ai pensé tout d'abord que cette population exigeait de moi un engagement de ma personne tout entière. A ce moment-là, je ne pensais pas à un Mouvement, je pensais seulement que je devais être présent au coeur de la misère. J'ai pensé que je devais donner à ces familles l'honneur. (...). Le monde de la misère a besoin de compréhension. (...). Les pauvres n'attendent pas de nous une parole, ni même une action. Ils attendent de nous une présence et même un silence" ( 1 ).

N'est-ce pas ce qu'il disait en parlant des volontaires-permanents, pourtant totalement engagés dans l'action, et qui en donne aussi une interprétation : "L'activité rassure et satisfait. (...). Elle risque de nous faire perdre le sens de la fragilité de l'autre (...). Nous cessons de faire de lui un sujet à part entière de notre action, il devient objet de notre réussite. (...) Pour cette raison, la principale vertu d'un volontaire dans une cité est le silence" (p. 201). "Sinon, très bientôt, nous menons un autre combat, le nôtre" (p. 200).

En habitant dans ce bout du monde, le Père Joseph ne vient pas pour rendre quelques services, mais pour partager la vie de ceux qui n'étaient plus rien pour personne, c'est-à-dire pour communier à leurs aspirations comme à tout ce qu'ils sont. Ce qu'il écrira plus tard au sujet du volontariat ATD Quart Monde, c'est manifestement ce qu'il a lui-même vécu dans toute sa radicalité : la lutte contre la misère "ne sera pas simplement affaire de gouvernement, ce sera aussi affaire d'hommes acceptant de marcher avec les exclus, de lier leur vie à leur vie, parfois de tout quitter pour partager leur sort" (p. 15). "Une communauté de destin", dira-t-il encore très fréquemment.

En effet,"nous (ne) pouvons savoir l'espérance de l'homme le plus pauvre (que) par un long commerce avec lui" (p. 217), et "non pas (à partir) d'une idée que nous nous faisons de son existence" (p. 218).

Ne nous méprenons pas : cette "vie partagée" ne fait pas du Père Joseph à Noisy-le-Grand une sorte de contemplatif de la déréliction humaine, elle l'engage dans "un projet de lutte contre la misère" (p. 152).

La situation subie par les familles du camp de Noisy est tellement intolérable que rester auprès d'elles ne peut que conduire à la révolte, ou à l'abandon. Ou encore à sombrer avec elles dans le désespoir et l'enfermement. De cette crainte est née une première association, - qui deviendra un peu plus tard le Mouvement ATD Quart Monde : "C'était une manière de partager ce drame quotidien" (p. 152).

Mais une association n'a pas d'efficacité magique. Encore faut-il que des hommes et des femmes de toutes conditions la rejoignent, car "que pouvions-nous, les familles et moi-même, si des hommes et des femmes voulant ce que nous voulions : détruire la misère et sa honte, ne se portaient pas à nos côtés" (p. 152) ? Ainsi naît peu à peu ce qui s'appellera le volontariat et l'alliance, - sans idées ni méthodologies préétablies, mais poussés par l'évidence : être avec une population qui n'en peut plus. Là encore, "tout est né d'une vie partagée, jamais d'une théorie" (p. 152).

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