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Tirage
de tête est un manuscrit qui a été
volé à son auteur. Et nous sommes tout à fait d'accord
avec lui pour reconnaître que ce n'est pas correct. Mais il semblait
primordial, à beaucoup de ceux qui ont connus Michel Touchalon,
de faire vivre ce portrait autrement que dans un tirroir, ou au creux
d'une disquette. C'est chose faite. |
Au
SOMMAIRE de Chapitre
1er
1er
extrait:
La naissance Chapitre
2 4e
extrait: au Flore Chapitre
3 6e
extrait: Fils de pub
9e
extrait: Chapitre
5 10e
extrait:
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5e extrait : Le défilé
Il tournait en rond dans le vaste appartement familial, descendant une vieille bouteille de Dalwhinnie, incapable de se concentrer pour écouter les nouvelles à la radio, sortant sur une terrasse ou sur une autre pour guetter les premières fusillades, le début d'une insurrection réelle. Il se disait qu'il avait bien fait de stocker de l'essence, qu'il réussirait à s'enfuir, qu'il rejoindrait Sara là-bas, dans les Highlands... Il s'allongea, plus qu'à moitié saoul, toutes fenêtres ouvertes. Il essayait de se dissimuler qu'il bandait encore, douloureusement, pour la fille de Charléty... La sonnerie du téléphone le fit sursauter. "Michel, c'est Jean-Louis! N'écoute pas leurs conneries, hein? On n'a pas perdu! Papa vient de m'appeler! Il sait, tu penses!... Le Général prépare quelque chose d'énorme! Il n'a pas voulu m'en dire plus, mais qu'on se tienne derrière lui, la jeunesse, hein! Dors bien, mon grand, je passerai prendre le petit déjeuner avec toi, qu'on s'organise!" Touchalon se rassura d'une dernière rasade de quinze-ans, se masturba vaguement avant de s'endormir en comptant les chars au coin des rues - et parfois ils roulaient sur les reins d'Isabelle... Au matin, plus de Général! Mystère complet!... Même dans les conditions de communications archaïques de cette époque, un homme tel que de Gaulle ne pouvait disparaître plus de deux ou trois heures sans que sa présence fût signalée ailleurs, sauf à être couverte par le secret militaire. Son absence, immotivée, qui constituait une entorse singulière à la Constitution, durera près de sept heures, le temps pour Mitterrand de boire plusieurs grands verres d'eau de Vichy... En décidant, le jour suivant, de dissoudre l'Assemblée, il achèvera dans le confusionnisme électoral ce que les accords de Grenelle avaient entériné, la collusion des intérêts politiques que Pompidou représentait et ceux des rackets syndicaux, démo-chrétiens ou staliniens. Divine surprise! Touchalon, qui n'avait jamais douté du Général, sentit aussitôt que son monde serait sauvé par cette manuvre géniale que son ami Lauzun lui avait laissé soupçonner. Justement, ils avaient rendez-vous au Frondeur de Bouvines, avenue George-V, un de leurs clubs préférés, repaire de monarchistes et de fascistes où ils se sentaient, juvénilement, les moins à droite, pour rejoindre à la Concorde leurs amis de l'Union des jeunes pour le progrès et défiler jusqu'à l'Etoile. On allait montrer à la chienlit le grand serpent de l'ordre, s'égosiller pour soutenir le discours magistral du Général. La présence de Malraux, mais surtout de François Mauriac, réconfortait nombre de ces jeunes garçons... Finie, la grande trouille! Le soulagement des honnêtes gens les rassembla spontanément; en une heure à peine, ils furent 300 000 et les jeunes, astucieusement, eurent l'idée de redescendre avec les autobus des militants provinciaux afin de parcourir l'avenue plusieurs fois, ce qui faisait du monde. Naturellement, la notoriété de Jean-Louis Lauzun comme le jarret de Michel Touchalon se devaient de participer à cette circulation effrénée. L'effort physique comme les éraillements de la gorge, ainsi que la dépression bienfaisante qui suit la fin d'un grand danger, d'une éprouvante angoisse, les conduisirent très loin dans l'état de grâce... * La nuit était tombée, claire, tiède, joyeuse, incitant à la flânerie, quand deux ombres se détachèrent de l'Obélisque contre lequel elles avaient laissé des ruissellements naturels... La circulation des automobiles n'était pas encore rétablie sur la plus belle avenue du monde souillée des traces suspectes que toute foule laisse derrière elle, gigantesque organisme éructant, suant, se soulageant, marquant le pavé de sa mauvaise graisse, quand Lauzun et Touchalon entreprirent, fortement éméchés, de remonter pour la cinquième fois jusqu'à l'Etoile, formant ainsi la tête et la queue de cette manifestation historique! Les casques des C.R.S. et des gendarmes mobiles brillaient gaiement à tous les carrefours, une agitation bon enfant régnait comme on avait distribué aux hommes des sandwiches et du gros rouge. Les deux jeunes gens saluèrent de hourras éraillés les beaux képis blancs d'une unité parachutiste en uniforme de parade qui rentrait aux Invalides... Ils avaient parcouru, dans l'exaltation de ce jour mémorable, une bonne douzaine de kilomètres, faisant de nombreux crochets vers leurs brasseries préférées, levant leur bock ou leur verre de whisky, en des toasts encore plus nombreux, au rétablissement de l'ordre, à la santé du Général, au maintien du gouvernement, aux succès des prochaines législatives, pérorant de comptoir en comptoir avant de retourner scander un peu sur les Champs-Elysées les mots du jour... S'y trouvant désormais seuls, ils gueulaient de toutes leurs forces : "Général, nous voilà", ce qui ne manquait pas de pertinence! Au rond-point des Champs-Elysées, ils furent interceptés par un vieux commandant de C.R.S. qui s'enquit paternellement de leurs intentions. Il leur apprit - ce qu'il ne croyait pas superflu - que la manifestation était terminée depuis près de deux heures, que l'avenue allait être rendue aux automobiles d'un instant à l'autre, qu'ils ne seraient plus alors que des piétons, qu'il ne fallait pas gâcher ce beau jour par deux morts inutiles... Le tandem l'approuva chaleureusement et Touchalon, ému, lui demanda la permission de l'embrasser, ce à quoi l'officier consentit tandis que ses hommes se retenaient de rire. Sa lèvre était barrée par une grosse moustache blanche à laquelle le manifestant emporté se piqua en l'étreignant. " A travers
vous, mon commandant, déclama-t-il, c'est toute la police que je
veux embrasser! Malheureusement, les photographes avaient regagné leurs agences, aucun cliché ne fut pris de cette scène superbe, à la Déroulède! Une DS noire arriva sans faire de bruit, suivie d'une 403 d'escorte. Le préfet Grimaud, qui avait reconnu Lauzun, descendit de sa voiture. " Hé
bien, commandant, ces jeunes gens?... Lauzun et Touchalon ne s'expliquaient pas du tout comment ce dernier flasque de whisky avait pu tomber dans leur poche. Ils remercièrent simplement le préfet de ce mince service avant d'aller prendre un repos bien mérité. Madame Lauzun était à la campagne et le ministre dormait souvent dans un petit cabinet à la porte du Général, pour gagner du temps... Ils ne furent donc accueillis que par Céline, la si intéressante sur de Jean-Louis, qui les félicita de leur jolie performance avant de proposer à l'ami une confortable chambre donnant sur les jardins. |
Nous
sommes désolés de l'aspect affreux de cette page,
trop inspirée du gris Touchalonien... |