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Tirage
de tête est un manuscrit qui a été
volé à son auteur. Et nous sommes tout à fait d'accord
avec lui pour reconnaître que ce n'est pas correct. Mais il semblait
primordial, à beaucoup de ceux qui ont connus Michel Touchalon,
de faire vivre ce portrait autrement que dans un tirroir, ou au creux
d'une disquette. C'est chose faite. |
Au
SOMMAIRE de Chapitre
1er
1er
extrait:
La naissance Chapitre
2 4e
extrait: au Flore Chapitre
3 6e
extrait: Fils de pub
9e
extrait: Chapitre
5 10e
extrait:
|
8e extrait : Viré
Mais les négligences ne se corrigeant pas l'une l'autre, Moutons Rive Gauche rencontra plus rapidement que T.T.A. de considérables difficultés de trésorerie dont ne pouvait être rendu entièrement responsable ce désuet système du salariat, contraignant l'employeur à verser des cotisations patronales exorbitantes. Les temps avaient changé - ce que celui qui a réussi autrefois préfère ignorer -, la concurrence entre agences s'était intensifiée, la rentabilité de l'investissement publicitaire s'appréciait plus précisément, enfin la domination politique du vieil enfant de Vichy et de ses amis se continuait, ce qui desservait Moutons Rive Gauche dans le vaste secteur de l'économie pseudo-nationalisée et para-étatique. Il n'en allait pas de même pour l'agence qui liquida ses dettes, rétablit sa trésorerie en le rachetant, l'installant lui-même au poste honorifique, purement formel, de vice-président, où son ineptie resterait sans conséquence. On lui donna de quoi se consoler de la perte de sa qualité de président-directeur général, qu'il honorait depuis vingt ans : les chiffres et les oreilles se confiaient son énorme indemnité mensuelle - dont le montant permet de mieux saisir le manque de sérieux que le rapide auteur de la Tortue de Zénon attribue légitimement à des maladroits qui, en travaillant quarante ou trente-neuf heures par semaine, mettraient quatre ans pour amasser la même somme... Et puis, pour faire bonne mesure, on lui attribua un vaste appartement de fonction, rue Jacob, une voiture et un chauffeur - un train de vie dix fois ministériel et sans responsabilité barbante! Il déménagea aussitôt de deux cents mètres, ce qui permit de louer le bel appartement qu'il occupait avec Sara et les enfants. Il n'y a pas de petites économies. La survenue de ce coup fabuleux l'étonna tout de même. Il se tenait, certes, du côté des dirigeants de l'économie spectaculaire-marchande, mais là!... des émoluments fastueux, des notes de frais illimitées, voyages en avion, séjours partout dans le monde, de quoi se consoler de n'être plus pédégé... La célèbre agence qui le récupéra savait évidemment ce qu'elle faisait. Quand son associé le plus bruyant donne un livre sur la publicité, s'il n'y a pas de quoi crier au génie commercial, au moins rencontre-t-on un homme à son affaire, même si son texte a été revu. Au moins ne pose-t-il pas à l'écrivain, au penseur, à l'artiste... A comparer leurs pages, Touchalon ne serait à peu près qu'un bonobo à qui un universitaire américain aurait tenté d'apprendre à écrire On ne lui avait donc accordé ces conditions dorées que le temps de s'assurer de son intéressante clientèle (éditeurs, laboratoires pharmaceutiques, etc.), ce qui prit plus d'un an. Ce délai acheva de le déconnecter de la réalité, à laquelle il n'avait jamais tenu que par peu de fils, avant que ses repreneurs ne lui apprissent qu'ils avaient décidé de se passer de ses services allusifs : ne restait plus qu'à s'entendre sur le montant d'une somptueuse indemnité de licenciement. Ainsi avait-il été également payé pour venir et pour s'en aller! Sa satisfaction devant cette nouvelle bonne fortune affleure dans Corniche sur l'infini : "On l'aura compris, je ne suis pas un homme d'argent. C'est malgré moi que j'en ai plein les mains, plein les poches. Je ne sais même pas comment le dépenser!" Aurait dû tempérer cet optimisme doré la restriction que les maîtres de la publicité l'avaient de facto exclu de ce secteur. Son éviction leur coûtait assez cher! Il ne pouvait donc maintenir que son personnage de conseil en communication, auquel ses amitiés politiques et au sein des "services" - dont on pourrait juger par là le sérieux - procuraient quelques clients, comme cet inattendu chef d'Etat d'un pays pauvre quoique européen dont personne n'a réussi à retenir le nom et qui fut balayé à l'élection suivante. "Il n'existerait pas sans moi..." confiait le conseiller Touchalon en admirant rêveusement sa dernière volute. Il mua les sommes extrêmement importantes qu'il reçut en quittant l'eldorado publicitaire en un beau portefeuille d'actions off shore que gérerait un cabinet d'agents de change agissant depuis Jersey et dirigé par un ami de son père. La présidence de sa société de communication permettait les mêmes heureux tranferts de fonds que celle de sa précédente entreprise. Chacun n'est-il pas libre de payer un conseil s'il croit y trouver son profit? Prudemment, tandis qu'il roulait sur l'or, il continuait de se salarier et, suivant des avis judicieux, cotisait même à une avantageuse caisse complémentaire de retraite! Les pauvres sont des imbéciles qui ne se soucient du lendemain à travers leur présent dévasté. Touchalon, qui était passé deux fois sans s'en émouvoir tout près de la faillite, faisait travailler d'un même allant ses capitaux et ses points de retraite, de telle manière qu'on payerait cher jusqu'à son dernier hoquet. Mais les pauvres seraient mal fondés à trouver dans cette précaution une mesquinerie. Tel allait son caractère, comme il n'avait jamais eu besoin d'épargner un sou, qu'il s'efforçait de ne rien dépenser non plus. Il montrait ces tics spéciaux que son union mirifique avait changés en naturel automatique, laissant payer tout le monde, esquissant un mouvement flou pour s'en étonner... * La "loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques" (1), paraît célébrer l'exclusion de Touchalon de la sphère publicitaire. Après avoir donné quelques précisions amusantes sur le "financement des campagnes électorales et des partis politiques" , elle s'attaque bravement, au chapitre II de son titre II, à la transparence des prestations de publicité dans cette langue spéciale qui ne décrit le délit que pour inviter à en changer les méthodes. Elle constate, sans
émotion, que tous les usages commerciaux sont violés dans
ce secteur - ce que Maurice Vidal avait légèrement signalé
vingt ans plus tôt (2)-, que des transactions portant sur des sommes
énormes ne font pas l'objet de contrats précis, ni les rabais
de stipulations claires, que le publicitaire se trouve au centre d'une
gigantesque entreprise de corruption, de trafic d'influence, de transferts
de fonds mal contrôlés depuis le secteur productif de l'économie,
qui lui profitent, et à ses amis, dans des conditions occultes,
ou clairement illégales quand le conseil possède des intérêts,
ou des intelligences, chez le vendeur d'espaces ou de supports qu'il désigne.
* Possédant de grands moyens d'exister, quoique tricard dans la pub, comme fort compromis dans la science de la communication des rackets étatiques, promotion des ministères, des réformes, etc., Touchalon songea à recouvrer son état ordinaire de président-directeur général dans un secteur où il pourrait ouvrir boutique sans que personne l'en empêchât... La réponse, facile, lui sauta à l'esprit après quatre nuits et trois jours de réflexion concentrée - soit dix bouteilles de Dalwhinnie quinze-ans et huit macilhennies : l'édition! Excité par sa trouvaille, il alla s'en ouvrir aussitôt à Sara. ________
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Nous
sommes désolés de l'aspect affreux de cette page,
trop inspirée du gris Touchalonien... |