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Neil Young & Jim Jarmusch:Aimez-vous Brahms ? R&F : On a cru comprendre que vous avez sans cesse écouté la musique de Neil Young pendant l'écriture de "Dead Man". Peut-on imaginer que sa musique , ou la musique en général, influence vos films ? J. Jarmusch : Oui, c'est sûr. La musique en général, et particulièrement celle de Neil pour ce film. J'ai écouté tous ses disques, notamment ceux avec Crazy Horse, en écrivant le script. Même si, à l'époque, je ne pensais même pas qu'il ferait la BO. R&F : Et vous (Neil Young), êtes-vous influencé par des images ou des films ? Certaines de vos chansons, comme "Expecting to Fly", "Down By The River", "The Old Laughing Lady" ou "Cortez The Killer" ont d'étonnantes qualités visuelles... Neil Young : j'ai toujours été intéressé par les images, les films, les vidéos... Pour "Dead Man", le film m'a donné envie de faire la musique. C'est un film qui me touche. Les dialogues me semblaient être les paroles d'une chanson. J'ai vu une mélodie dans le film. Voilà en quoi les images m'influencent. J. Jarmusch (à Neil) : Mais c'est vrai ce qu'il dit, tes meilleures chansons m'ont toujours semblé être de petits films. "Cortez" notamment. Neil Young : j'ai toujours une image dans la tête. Je visualise une scène tandis que je suis en train d'écrire une chanson. Ca commence toujours avec une image. Puis, quand je veux planter le décor, les mots sont là pour ça. R&F : Peut-on parler de l'art délicat de la BO, qui doit vous tenir à cur puisque vous avez déjà travaillé avec John Lurie et Tom Waits... Quelle est sa véritable importance ? Certains pensent qu'un bon film n'a pas besoin d'une bande-son trop envahissante qui risquerait de distraire le spectateur, d'autres estiment qu'elle peut au contraire mettre le film en valeur, lui donner plus de relief, comme dans le cas de la collaboration Leone-Morricone... J. Jarmusch : Pour moi, c'est très délicat. La musique doit vraiment être totalement imbriquée avec l'histoire. C'est comme pour tout : selon les objectifs à utiliser, les plans à filmer, vous allez modifier la façon de toucher émotionnellement le spectateur. Et comme la musique est pure émotion, c'est encore plus délicat. Disons qu'en général, je me sens insulté quand une partition me dicte ce que je dois ressentir. Ca peut marcher de temps en temps, comme avec Hitchcok. Mais pour moi, mes films étant plus de la prose, en termes poétiques, la musique doit être très subtilement amenée. Les musiciens avec qui j'aime travailler doivent être plus intéressés par l'histoire que par le simple fait de mettre de la musique dessus. Et ils ne doivent pas pousser le film dans quelque direction que ce soit. R&F : La bande-son de "Dead Man" est assez similaire, dans le fond, à celle de "Paris Texas", qui semblait également très improvisés. La façon dont la musique colle au film, et le thème très simple qui revient plus souvent que dans les BO conventionnelles... J.Jarmusch : C'est peut-être vrai. Mais je n'ai jamais pensé à la musique de Cooder pour le film de Wim. Je suppose donc qu'elle devait être valable puisque je ne l'ai pas remarquée. R&F : Donc, cela veut dire que vous n'achèteriez pas le disque ? Que la musique sans son support n'a pas grand intérêt ? J.Jarmusch : Je n'en sais rien. J'ai pourtant beaucoup de BO dans ma collection de disques. Neil Young : Si vous regardez un film et que vous ne remarquez pas la musique, ça ne veut pas dire que vous n'allez pas acheter le disque. Qu'est-ce-qui se passe, par exemple, si vous achetez le disque et que vous n'avez pas vu le film ? Vous y verrez autre chose. C'est difficile de vous répondre, parce qu'il y a tellement de raisons différentes qui vous font acheter -ou ne pas acheter- quelque chose... Vous pouvez découvrir dans la BO des subtilités que vous n'aviez pas remarquées lorsque vous étiez distrait par le film... J.Jarmusch : C'est vrai. Neil Young : C'est autre chose que ce que font actuellement la plupart des réalisateurs : passer dix secondes de vingt tubes cachés au fond du film, ce qui permet de gagner un paquet de dollars... J.Jarmusch : C'est un truc de marketing. On choisit des stars en fonction du public qu'on est supposé toucher. R&F : Parlons-en. Aujourd'hui, il sort quasiment tous les mois une BO uniquement constituée de morceaux plus ou moins inédits joués par des stars du rock. Peut-on encore parler de BO, dans ce cas ? J.Jarmusch : C'est seulement fait pour l'argent. On ne parle plus de bande-son ici. Neil Young : Si, c'est une bande-son, mais ça n'est pas une BO. J.Jarmusch : C'est juste. Et ça peut être cool, si ça a réellement quelque chose à voir avec le film. Par exemple, si le héros écoute Link Wray à la radio... Neil Young : Vrai. J.Jarmusch : Et dans ce cas, vous avez cette chanson de Link Wray sur votre bande-son... Neil Young : Sûr. J.Jarmusch : Mais c'est différent d'acheter de la musique au mètre. «Donnez-moi cent mètres de Soul Asylum et deux cents mètres de Coolio». C'est comme si vous achetiez des livres simplement pour remplir votre bibliothèque... R&F : On parlait de Link Wray. Votre plaisir évident à jouer de la guitare électrique sur des chansons qui pourraient être instrumentales, qui sonnent presque instrumentales («Cortez» «Like A Hurricane»), ou sur cette bande-son que vous venez de réaliser est-il dû à votre passion légendaire pour Link Wray ? Neil Young : Certainement. J'adore Link Wray, l'une de mes premières influences avec Dick Dale, Hank Marvin et Jimmy Reed. Et Wes Montgomery. R&F: Wes Montgomery et son fameux jeu en octaves ? Neil Young : Oui, j'utilise ça énormément. R&F : Que pensez-vous de l'appellation cinéaste rock dont se voient affublés certains réalisateurs, sous prétexte qu'ils font jouer des acteurs musiciens, ou parce qu'ils utilisent une bande-son très rock, comme Tarantino. J.Jarmusch : C'est l'exemple type du genre de BO que je déteste. Je ne sais même pas si la BO de «Pulp Fiction» est vraiment dans le film... Neil Young : C'est dans le fond. Moi, ça me rappelle «Miami Vice»... C'est «Miami Vice» qui a lancé ça. J.Jarmusch : je n'aime pas ça. R&F : Il y a eu l'opération Agnès B en France. On peut s'acheter le costume Pulp Fiction, les lunettes Pulp Fiction, etc. Neil Young : Tout ça, c'est comme Mickey Mouse. On est envahis. On nous propose les oreilles Mickey, les gants Mickey. Le truc de «Pulp Fiction», ça se veut très hip. Mais je ne sais pas vraiment ce que c'est au juste. On dirait un truc de beatniks sous drogues dures. J.Jarmusch : J'aime la culture populaire. Et de toute évidence, c'est ce que Quentin Tarantino fait. Mais si vous voulez citer des trucs hip, comme la télé des années 70 ou les films de Hong Kong, Jackie Chan, John Woo, «Star Trek» ou quoi que soit d'autre, pourquoi pas... J'adore tous ces trucs, et j'aime bien les références. Mais ce qui compte avec les références, ça n'est pas où on les prend, mais où on les emmène. Et moi, je me demande pourquoi ces références sont là, ce qu'elles ont à voir avec les personnages, ce qu'elles sont supposées suggérer comme réflexion, ou est-ce seulement une histoire de mode ? Si c'est le cas, ça ne m'intéresse pas, parce que ça ne m'emmène nulle part. Neil Young : Ca a plus à voir avec une sorte de longue publicité, présentée de manière artistique. R&F (à Neil Young) : Vous voyez beaucoup de films ? Neil Young : Pas vraiment, j'habite à la campagne. Je ne suis pas un fanatique... Je dois y aller une fois par mois. R&F (à J. Jarmusch) : et vous, vous achetez beaucoup de disques ? J.Jarmusch : Oui, et j'enregistre beaucoup de choses. J'ai une collection énorme. C'est la musique qui me permet de vivre. Pour moi, le grand avantage d'être un homme, c'est de pouvoir écouter de la musique. J'aime toute sorte de musique. Neil Young : «L'oreille est une fenêtre ouverte sur l'âme»... Ca n'est pas de moi. Quelqu'un a dit ça il y a longtemps. Quand quelque chose va se passer, vous l'entendez avant même de le voir. Les premières impressions sont en général auditives. J.Jarmusch : Et la musique vous apprend des choses, vous enseigne la vérité. Aujourd'hui encore, l'Amérique nie que sa culture est en fait un amalgame de toute sorte de cultures. Si vous écoutez du rock'n'roll, vous réalisez le mix des cultures noire et blanche, de country, de blues et de R&B. Si vous écoutez les premiers enregistrements de jazz, vous apprendrez beaucoup sur l'Amérique. R&F : Que pensez-vous de la musique noire aujourd'hui ? par rapport à sa richesse d'hier, jazz, blues, soul, R&B, rock'n'roll, on dirait qu'il ne reste plus que deux alternatives : la soupe commerciale ou le rap J.Jarmusch : Je ne sais pas. J'ai toujours pensé que 99% de la musique en général n'avait aucun intérêt. Beaucoup de merde, peu de perles. Le 1% du rap est absolument fantastique. Les productions Schocklee, Dr Dre, les vieux Public Enemy sont grandioses. Pour moi, le hip-hop est une extension du blues, du R&B. Mais, comme d'habitude, il y a davantage de daubes répétitives que de réels trésors. Neil Young : C'est ça qui est important : ne pas se répéter . Ne pas s'auto-digérer. R&F : C'est un sujet qui doit vous toucher si l'on en juge par la diversité de vos albums... Neil Young : Je ne pose même pas la question . Si je tome sur ce qui me semble être une bonne idée , si c'est amusant à faire, alors je le fais. Je n'ai aucun programme. R&F : Et que se passe-t-il avec Crazy Horse ? Neil Young : je suis actuellement en train d'enregistrer avec eux. Ca va être un disque avec leurs chansons. Je produis, je joue de la guitare et je chante les churs. Crazy Horse parle (rires). R&F : Vous pouvez nous dire pour quelle raison il est toujours impossible aujourd'hui de se procurer certains de vos disques, dont «On The Beach» ? J.Jarmusch : Ouais, j'aimerais bien savoir, moi aussi. Et «American Stars N' Bars» ? Neil Young : On est en train d'y travailler. J.Jarmusch : Ah, ça fait six mois que tu me dis ça. Neil Young : Non, sérieusement, on va les sortir en 24 bits. Actuellement on les transfère. On vient seulement d'arriver à la qualité audio acceptable pour le CD. J.Jarmusch : Ce serait pas mal, parce que sur mon vinyle de «On The Beach», «Ambulance Blues» craque tellement que je ne peux plus l'écouter. Neil Young : Ouais, crac, crac. Mais au moins, tu as toujours le son. Si tu écoutais ça en digital, tu serais déçu. Donc, on les re transfère tous en 24 bits au lieu des 16 habituels. R&F : Tous vos disques ? Ca signifie qu'il va encore falloir se le racheter ? Neil Young : Eh oui. Cherchez ceux en HDCD, ou les nouveaux vinyles. On va tous les ressortir en vinyle. Avec les masters analogiques. J.Jarmusch : C'est plutôt ça que je vais me prendre. R&F : et l'Arlésienne, votre coffret de soixante CD's ? Neil Young : (rires) soixante CD's ? Oh, le coffret , je sais pas... J.Jarmusch : Et les seize heures de vidéo ? C'est ça que je veux. J'ai entendu parler de trucs incroyables qui remontent à 1974. Neil Young : On a plein de trucs cool. Un truc qui s'appelle «Muddy Track» , de 85 ou 86, je te filerai une copie. Le groupe se bat, les chaussettes volent. R&F : Ca a l'air intéressant. Neil Young : (rires) Oui, c'est le succès. On a même un montage avec uniquement les larsens à la fin des morceaux, impossible de les reconnaître. Et aussi des interviews, avec seulement les questions des journalistes. C'est assez drôle (rires)... J.Jarmusch : Qui dois-je tuer pour avoir ça ? Neil Young : Elliot Robert, mon manager...
Extrait de Rock & Folk n° 345 de mai 1996, par Nicolas Ungemuth.
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