Year of the horse, le film!
Neil Young & Jim Jarmusch




La horde sauvage " Year of The Horse ", un film sur la tournée 96 de Crazy Horse qui n'apprendra rien à l'inconditionnel de Neil Young. Pas plus qu'à celui de Jarmusch. Quelle différence y a-t-il entre un fan qui filme un des plus grands musiciens de rock en tournée et ce même musicien réalisant un film sur un de ses plus mémorables concerts ?

Il aura fallu attendre presque vingt ans pour pouvoir répondre à cette question. Le musicien, c'est Neil Young ; le fan, c'est Jim Jarmusch. En 1978, Neil Young se produit avec Ralph Molina (batterie), Billy Talbot (basse) et Frank " Pancho " Sampedro (claviers et guitare rythmique), plus connus sous le nom de Crazy Horse, au Cow Palace de San Francisco. Sous le pseudo de Bernard Shakey, Neil Young filmait en grande pompe le concert " Rust Never Sleeps ", " un des plus grands événements live des vingt dernières années " selon " Rolling Stone ".

En 1996, Jim Jarmusch, à la demande de Neil Young, décide de suivre, " fièrement en super-8 ", le groupe en tournée. Désormais, on ne parle plus de Neil Young & The Crazy Horse mais uniquement de Crazy Horse, comme le raconte le rocker canadien dans le film de Jarmusch, jusque-là inédit en France. Mais là où le guitariste se mettait lui-même en scène, le cinéaste se contente, un peu paresseusement, de filmer les scènes de groupe.
Si le premier n'hésitait pas à utiliser les plans larges jusqu'à devenir un point jaune, s'accompagnant à la guitare sèche, perdu dans un immense décor, Jarmusch, lui, colle au plus près la meute des guitaristes physiquement soudés, sous la batterie surélevée de Ralph Molina, dans les moments de transe les plus intenses. Tout est dans ce parti pris minimaliste qui le pousse parfois à utili-ser un noir et blanc sursaturé afin d'accentuer l'excès d'émotion.

Il y a la dégaine, débraillée, de tout ce petit monde en tournée. La palme revenant sans conteste au vieux grizzly, qui n'hésite pas à se présenter devant des milliers de supporters vêtu d'un inénarrable caleçon long à la couleur indéterminée…
Le look, il s'en fout. Pourtant, à l'époque de " Rust Never Sleeps ", Neil Young n'avait pas hésité à affubler ses musiciens de combinaisons blanches de cosmonaute ni à déguiser ses roadies en moinillons aux yeux rouges clignotants…

Puis il y eut " Dead Man ", leur premier road-movie. Invisible à l'écran, l'ours canadien imposait, seul à la guitare, une atmosphère somnambulique en parfaite harmonie avec les images du film. Ces deux-là ne pouvaient que s'entendre. Jarmusch rêvait d'être une rock star. Dans les années 70, il se produisait au sein de Del Bizanteens, un groupe digne des premières parties de Joy Division ou d'Echo and The Bunnymen…

Si le cinéma devint son métier, des musiciens comme John Lurie (dans " Permanent Vacation ", " Stranger Than Paradise ", " Down by Law "), Tom Waits, Rufus Thomas ou Joe Strummer (leader des Clash) se retrouvaient à l'écran ou sur la bande-son. Il n'y a pas de hasard. On suivra donc avec bonheur celui dont on dit qu'il est l'un des meilleurs musiciens de country, baladin incomparable, inventeur du grunge ou, comme il se qualifie lui-même, simple membre d'un garage band. Mais " Year of The Horse " n'apprendra rien à l'inconditionnel de Neil Young.

Pas plus qu'à celui de Jim Jarmusch. Cuisinés de temps à autre (devant une machine à laver !), les musiciens, le père du guitar heroe ou la " bête " elle-même ne se livrent guère. Les quelques documents anciens insérés ne font qu'ajouter au mystère de l'homme, épileptique et père de deux enfants atteints du même mal. Seules quelques séquences dans le bus de la tournée montrent à quel point les musiciens sont soudés. La plus amusante étant celle où Petit Jim, s'entretenant brièvement avec Grand Neil sur la puissance destructrice de Dieu dans l'Ancien Testament, lui demande : " T'es Dieu ? " Réponse : " Oui "... Jean-Pierre Bielec " Year of The Horse ", Neil Young & Crazy Horse (CD chez Reprise Records, 1997).